Propos recueillis par Laurent Gilot
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Le DJ et producteur américain fait partie du cercle très fermé des géniteurs de la techno "Made in Detroit". Avec ses différents projets musicaux et ses mixes uniques, Carl Craig est devenu une icône incontournable du Dijing international. Entretien avec une légende qui fait tout pour ne pas avoir l’air d’en être une.
En 2003, suite à la sortie de la compilation mixée « The Workout », tu nous confiais que tu allais te concentrer sur ton activité de musicien. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Carl Craig : En fait, je continue à produire des disques et des remixes mais, avec l’effondrement des ventes, être DJ est aujourd’hui plus rentable (rires). Je suis toujours musicien et producteur mais pour promouvoir cette activité, je me dois de jouer en public derrière les platines. Lorsque je suis sur scène avec l’un de mes projets (ndlr : The Detroit Experiment, Innerzone Orchestra…), je me comporte comme une sorte d'"Andy Warhol" : je joue parfois du synthétiseur ou je tripote des boutons mais, je m’occupe surtout de tout superviser aux niveaux des musiciens, du déroulement des concerts. En fait, je laisse les autres travailler pour moi ! (rires).
Tu as déjà à ton actif nombre de compilations mixées. Comment appréhendes-tu cet art des mélanges sonores ?
C.G. : À chaque fois que je réalise un mix-CD, c’est un exercice intéressant car il m’aide à décrypter quels sont mes points forts ou mes points faibles. J’apprends toujours beaucoup… Que ce soit pour la compilation de !K7, que je viens de réaliser, ou celle du club Fabric à Londres, je découvre constamment de nouvelles choses dans le fait d’enchaîner les titres, dans la façon de créer des edits de certains morceaux… Pour moi, c’est comme une expérimentation constante sur la matière sonore, sur la façon de trouver des combinaisons idéales. Tout ce que j’entreprends en tant que DJ part de ce principe de découverte.
Justement, peux-tu nous en dire plus sur la compilation « Sessions » qui sort sur le label allemand !K7 ?
C.G. : J’ai toujours bien aimé les réalisations du label dans le genre, comme la compilation de Kruder & Dorfmeister sortie il y a 10 ans. Je parlais de ce projet avec les responsables du label depuis un moment puis, une fois que nous sommes tombés d’accord sur la façon de le réaliser, les choses sont allées très vite. L’idée est que je ne voulais pas que ça ait l’air d’une anthologie, d’une rétrospective du travail de Carl Craig. Je veux que "Sessions" soit considéré comme une collection… Tu sais, j’enregistre des disques depuis 20 ans alors il est impossible de sortir une anthologie qui tienne dans un seul double CD. Une rétrospective de mes travaux s’étendrait sur une quinzaine de disques, au moins (rires). Plus sérieusement, « Sessions » est une sélection de travaux anciens, comme le titre "Oscillator" de mon projet Paperclip People, et de relectures que j’ai réalisées pour le compte de plusieurs artistes. C’est drôle, car, la plupart du temps, ces derniers ne m’envoient jamais de copie définitive de mes remixes !
Comment analyserais-tu la progression et la construction de "Sessions" ?
C.G. : En fait, c’est comme si la sélection démarrait à 9h du soir dans un club. Les gens arrivent, ils réagissent aux morceaux qui passent puis les ambiances deviennent plus dark, dures et l’ensemble t’entraîne jusqu’au petit matin. Quoi qu’il en soit, tous les morceaux que j’ai rassemblés dans ce double album sont parmi mes favoris… La plupart ont d’ailleurs été retravaillés en studio afin d’en offrir de nouvelles versions. Ce disque est aussi une manière de réunir pour les DJs des titres à côté desquels ils seraient passés… Pour moi, "Sessions" est un instantané idéal d’un de mes sets de DJ.
Ce disque a-t-il été enregistré dans les conditions d’un live ?
C.G. : Oui, exactement même si j’ai fait quelques edits car, parfois, les morceaux peuvent être un poil trop long pour la durée totale d’un CD. En général, j’enregistre mes vinyles sur un disque dur portable que je branche ensuite sur mon ordinateur Mac pour récupérer les fichiers dans Logic audio et mixer le tout sur une console analogique. Puis, je réarrange certains morceaux, je rajoute des effets… Une fois que j’ai rassemblé toute cette matière, que j’ai suffisamment de titres en stock, j’encode ces derniers au format 32 bits et je mixe le tout avec le logiciel Serato Scratch Live. Lorsque je joue en soirée, j’utilise des CDs pour contrôler Serato à travers la table de mixage INS, qui a été conçue par DJ Deep, un des meilleurs DJs parisiens.
Tu n’utilises donc plus de vinyles dans tes sets ?
C.G. : Non. Au départ, j’utilisais Final Scratch et Traktor puis peu de temps après j’ai découvert Serato. La chose extraordinaire avec ce logiciel, c’est qu’à chaque fois qu’il y a une soirée, tu peux jouer sans problème car tu as tous tes fichiers sous la main. Tant que ton ordinateur et le disque dur marche, c’est OK. En tant que DJ, j’ai de la chance car je n’ai jamais perdu mes disques lors d’un voyage en avion, par exemple. Mais, je connais pas mal de confrères à qui c’est arrivé. Certains se sont même fait voler leur sélection complète ! Le fait de "transporter" tes disques sur Serato te permet d’éviter ce genre de désagrément. Si jamais, mon ordinateur me lâche, je peux toujours transférer mes fichiers sur une autre machine pour jouer ma sélection. C’est un avantage non négligeable surtout lorsque tu voyages souvent à travers le monde.
Est-ce que ce logiciel a changé ta façon d’appréhender un set de DJ ?
C.G. : En fait, je trouve qu’il y a plus de potentiel. Avec les vinyles, tu es cantonné à une certaine vitesse : plus 8 ou moins 8. De plus, il y a des accidents de manipulation qui peuvent arriver, comme lorsque le diamant saute parce qu’il y a des gens qui dansent comme des fous près des platines (rires). Avec mes Cds et Serato, je garde le contrôle, je peux faire ce que je veux au niveau de la vitesse des disques. Si tu arrives à bien manipuler ce logiciel, tu as des possibilités infinies, tu peux mixer des disques de Sun Ra ou Miles Davis avec de la house music. Tu peux vraiment t’interroger sur la façon dont tu peux agencer les morceaux entre eux. Comme tu as un accès très rapide à ta discothèque, tu peux avoir un degré de sensibilité plus élevée dans la façon d’entrevoir le mixage.
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