“Ce qui est étrange avec le voyage, c’est qu’on ne comprend qu’après – et encore pas toujours – ce qu’on est allé chercher.”
Quoi de mieux qu’une bande dessinée sur le voyage en ces mornes jours de rentrée ?
L’album, réalisé par Emmanuel Lepage, est probablement la plus belle bande dessinée qu’il m’ait été donné de lire. Rien que ça. Question graphisme, tout me plaît. Les planches, surtout celles en couleur, sont d’une beauté impressionnante. J’ai d’ailleurs eu envie plus d’une fois de découper les pages et de les afficher au mur tant les aquarelles et les croquis sont saisissants. Lorsque le noir et blanc laisse place à la couleur, on assiste à une véritable tempête iconographique !
En plus d’en prendre plein les yeux, on apprend beaucoup de choses en feuilletant les 150 pages de ce “reportage”. Et pour ne rien gâcher, celles-ci sont souvent dites avec humour et poésie. Je ne savais quasiment rien de Kerguélen, cette île lointaine de la taille de la corse, et de la géographie des îles de la désolation, et c’est, je trouve, une belle approche de ce bout du monde, tant pour mieux appréhender le mode de vie des scientifiques que pour avoir une petite idée de la faune et de la flore présentes.
Mais venons-en au coeur du sujet… Emmanuel Lepage a un jour l’opportunité d’embarquer sur le Marion Dufresne, un énorme paquebot chargé d’aller ravitailler les TAAF (Terres Australes et Antarctiques Françaises) en carburant mais aussi d’assurer les rotations des personnels (militaires, contractuels, scientifiques).
Parti de la Réunion, l’équipage devra faire face aux conditions climatiques nouvelles et au mal de mer qui tourmente plus d’un passager. Les cadrages utilisés pour les planches qui sont consacrées au phénomène sont d’ailleurs assez intéressantes. Ce qui est assez frappant, c’est que le dessin d’Emmanuel Lepage est si captivant qu’on a finalement l’impression d’être aussi de la traversée et d’attendre avec impatience le prochain repas, rythmant inlassablement les journées.
“Alors que le “Je” fait place au “Nous”, chacun semble plongé en lui même. Peu à peu nous prenons la mesure de l’infini qui nous entoure. De notre vulnérabilité. Nous sommes seuls. Plus de retour possible, plus de portable, plus d’internet, plus rien de ce qui, aujourd’hui, régit notre quotidien et nous rassure n’existe ici.”
Finalement, c’est aussi la thématique de l’inconnu qui est abordée dans cet album. Face à une beauté saisissante, à de nouvelles réalités (des animaux jamais aperçus par le dessinateur) se pose la question de la représentation. “Je n’arrive pas à comprendre ce que je dessine.” La présence du dessinateur est assez importante, puisqu’il s’agit d’un carnet de voyage, d’une autobiographie de quelques dizaines de jours, et celui-ci ne cache pas sa difficulté à croquer ce qu’il voit (ne serait-ce qu’à cause du vent, des tempêtes.). L’émotion transparaît souvent au fil des planches, et la frustration de n’être que de passage sur ces terres se fait continuellement sentir.
Une très belle “invitation au Voyage” aux îles de la désolation… et un hommage certain à ces hommes qui vouent leur vie aux TAAF.
A lire et à relire !
Emmanuel LEPAGE, Voyage aux îles de la désolation, éditions Furturopolis