Le mot "morale" pose problème. Le "vivre ensemble" suppose certes des règles de politesse, mais déterminer ce qui est juste va au-delà.
Par Vladimir Vodarevski.
L'enseignement de la morale laïque doit "arracher l'élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel" a précisé Vincent Peillon.
Deux articles qui se télescopent dans Le Figaro d'hier. L'un traite des projets de "morale laïque" de Vincent Peillon, le ministre de l'éducation nationale français. L'autre des cours "d'éducation morale et nationale" que le gouvernement chinois veut imposer aux élèves du territoire de Hong Kong. Coïncidence malheureuse, ou rappel de ce que peut être la "morale" ?
L'éducation est un domaine sensible. Éduquer les enfants au "vivre ensemble", pourquoi pas. Les règles de politesse, se lever quand un professeur entre en classe, pour apprendre à se lever pour saluer quelqu'un plus tard, s'habiller correctement, ne pas être débraillé, ne pas parler trop fort dans son mobile en public, baisser le son de son baladeur dans les transports, aider les personnes âgées, les mamans avec une poussette dans les escaliers du métro, dans les transports en commun. Sensibiliser aux règles de santé publique, à l'utilité de se laver, aux problèmes de l'alcoolisme, de la drogue, du cannabis. Sensibiliser au surpoids.
On remarquera que même dans les domaines ci-dessus, il peut y avoir des dissensions. Les règles vestimentaires ne font pas l'unanimité. La critique du cannabis non plus. Se lever quand entre un professeur, un proviseur, n'est pas acceptable pour tous. Il n'y a pas de consensus. Mais Vincent Peillon veut aller plus loin. Le Figaro le cite : « La morale laïque, c'est comprendre ce qui est juste, distinguer le bien du mal, c'est aussi des devoirs autant que des droits, des vertus et surtout des valeurs ».
Où finit l'éducation, où commence l'embrigadement ? Où commence le domaine de l'école, où est celui des parents ? L'écologie est-elle une valeur ? Faut-il enseigner la discrimination positive comme une valeur ?
Ce qui pose problème, c'est le mot "morale". Il est très fort. Le "vivre ensemble" suppose des règles de politesse, de respect d'autrui, de sa propriété, de la propriété commune. Déterminer ce qui est juste va au-delà. Est-il juste de se défendre avec une arme à feu quand on est soi-même menacé d'une arme ? Est-il juste de gagner beaucoup d'argent en revendant une entreprise qu'on a créée ? Ce ne sont pas des sujets consensuels. Qui peut décider ce qui est juste ? Cela doit-il être enseigné comme une morale, ou être un débat ?
Le danger est d'empêcher tout débat, de déterminer par la loi, et donc de l'imposer à la société, ce que doit être l'opinion de chacun. De décréter ce que nous devons penser du régime politique idéal. Alors que la République doit autoriser la liberté d'expression, le débat, et que l'école doit former au débat, à l'autonomie de pensée. Sans compter le rôle des parents : l'enfant appartient-il à l’État ou est-il sous la responsabilité de ceux qui l'ont conçu ?
Le concept de "morale laïque" est ainsi ambigu, et ouvre la possibilité à des dérives. Il doit être précisé. Il est cependant étonnant qu'il ne suscite pas plus de débats, à gauche comme à droite. Notre société semble incapable de débattre, de réfléchir sur les sujets de société, se contentant de la communication, du marketing, et des effets de mode ou d'annonce. Les médias dominants se contentant d'être une caisse de résonance, plutôt que de susciter le débat.
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