Depuis que je suis arrivée à Toronto (il y a une semaine), je me sens engluée. Peut-être par la chaleur, la mauvaise bouffe, les mauvais quartiers qu'on se sent à tord obligé de faire avant de s'autoriser à découvrir les bons, pour lesquels il nous restera trop peu de temps à la fin. Par l'anglais dans lequel je patauge comme une enfant qui voudrait être prise pour une grande. Engluée par les longs trajets dans un tramway chaud, lent, bondé dont je me sers comme d'autres montent sur le toit de ces cars pour touristes, pour regarder la ville de haut. Engluée surtout par les traces de mes passages précédents dont je n'arrive pas à me délivrer.
Dans ma tête, Toronto, Vancouver et San Francisco ne font qu'un. Trois villes nord-américaines au bord de l'eau, explorées à deux. Alors je ne vois de Toronto que ce qui me manque. Ce qui n'est pas San Francisco, pas Vancouver, ce qui n'excite plus rien que le retour d'un souvenir. Je me sens inconsistante, dans une ville vaporeuse, dont je n'arrive pas à dire si je l'aime ou non, parce que je ne l'ai pas vraiment encore regardée.
Dans cette brume, j'ai quand-même eu un coup de coeur pour deux artistes exposés actuellement dans des petites galeries de Queen St Ouest. À la GaleryWest, Emily Vey Duke (de Nouvelle Écosse) et Cooper Battersby (de Colombie britannique) présentaient leurs derniers dessins, sérigraphies, sculptures et vidéos. Il y a des mots qui me saisissent en anglais. Comme «unbearable», «in between», mais c'est surtout les compositions en -less qui me fascinent le plus: «relentless». Leur exposition, «Beauty is Relentless» explore les connexions entre amour et mort, entre sexe et délabrement, à travers des dessins au crayon humoristiques et des textes d'une ironie légère, décalée, qui me faisait penser à celle de Miranda July. En cherchant sur internet, j'ai découvert cette vidéo aussi, «Bad Ideas for Paradise».
L'autre artiste, Shauna Born, dessine au stylo bille des portraits de jeunes hommes. Ils sont d'une précision presque photographique, mais noyés en même temps d'idéalisme et de nostalgie. L'artiste travaille à partir des photographies de magazines, et les réinterprète à la manière des poètes ou des héros romantiques de la tradition picturale classique.
« Flowers barely come to a full bloom before they begin to fade, droop, whither. Born perceives her subjects in a stage of perfect youthful bloom that she has plucked in a vain attempt at preservation.»
Source: DukeandBattersby, kmcap