Les deux Soudans ont apparentement conclu début août un accord pour le partage de la manne pétrolière après une longue crise politique et militaire. Comment a-t-il été possible d’y arriver ? Cet accord est-il pérenne ?
Avant tout, il faut rappeler brièvement les origines du conflit. Le Soudan du Sud avait stoppé l’exportation de pétrole via les oléoducs passant à travers le territoire du Nord à cause de l’augmentation des tarifs de transit imposées par son voisin. Ce différend s’est rapidement transformé en guerre localisée, du fait aussi d’autres différends territoriaux dans les zones les plus riches en pétrole - notamment, le site d’Heglig dans la zone d’Abyei.
Un accord pour résoudre cette crise a été confirmé le dernier 4 août (deux jours après la date butoir de l’ONU), après une visite de la Secrétaire d’État américaine Hillary Clinton. Les détails de cette entente n’ont pas encore été rendus publics par le médiateur de l’UA Thabo Mbeki (ancien Président de l’Afrique du Sud), mais selon des révélations du gouvernement de Juba, le Soudan du Sud paiera à Khartoum 9,48 dollars par baril de pétrole exporté via le Soudan pour les trois ans et demis à venir ; en outre, il devra payer à Khartoum 3,2 milliards de dollars de compensation pour la perte – à cause de la sécession - de trois quarts de ses réserves de pétrole. Juba se dit très satisfaite par l’accord ; de même pour le Soudan, ses représentants jugeant l’accord « raisonnable ».
Il est clair que cet accord est le produit d’un ensemble de pressions intérieures et extérieures qui ont mené les deux Soudans à résoudre – au moins pour le moment – ce différend.
Les intérêts à la « paix »
Les USA ont poussé fortement pour la réconciliation des deux pays et ainsi pour la reprise de l’activité pétrolière et économique. Leur action entre dans la stratégie africaine de Washington, qui cherche à stopper l’influence chinoise croissante et ce, par le biais d’actions diplomatiques. Ces actions incluent souvent le soutien à la pacification et au développement économique des pays africains, pour démontrer les « meilleures intentions » américaines (1) et montrer les avantages potentiels de l’alliance avec les USA par rapport à la Chine.
Les pressions jointes de l’Union Africaine et de l’ONU ont aussi été très importantes. Le médiateur de l’UA Thabo Mbeki a commencé en avril dernier à attirer l’attention du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur la crise soudanaise, et ces derniers accords économiques ont émané d’une conférence-cadre organisée par l’Union Africaine elle-même. L’Union a besoin de faire cesser cette crise, vu la difficile situation humanitaire qui a été générée (qui se traduit par un grand nombre de réfugiés, difficile à gérer dans les pays voisins) ; en outre, la fermeture et la possibilité de la destruction d’un site pétrolier majeur sont des éléments d’importance stratégique considérable pour le continent entier, sans oublier les risques de terrorisme. L’ONU a joué son rôle typique de pression extérieure avec l’imposition – ou surtout la menace d’imposition – de sanctions : ce n’est pas un hasard si l’accord pétrolier est arrivé très près de la date limite imposée par les Nations Unies.
Mais, à coté de tout cela, il faut rappeler le facteur principal probable de cet accord : la crise économique croissante dans les deux pays, mais surtout au Sud. Cet arrêt de la production a privé le jeune Etat de 98% de ses ressources et entraîné une forte poussée de l'inflation.
Les crises économiques se transforment souvent en crises politiques, et un gouvernement jeune comme celui du Soudan du Sud n’avait sûrement pas besoin de cela, vue aussi la constante instabilité socio-politique de ces territoires. Khartoum a aussi de bonnes raisons pour accepter l’accord, vu que son économie a été ébranlée à partir de la crise – et plus encore à partir de la sécession du Sud.
La paix définitive ?
En tous cas, à coté de cette « paix énergétique », il faut tenir en compte du fait que les différends territoriaux sont encore un problème évident entre les deux parties. Les négociations reprendront ce mois de septembre, toujours sous l’égide de l’Union Africaine, pour arriver à un accord sur une délimitation territoriale précise et acceptée par les parties concernant la zone d’Abyei, zone riche de pétrole et théâtre du dernier conflit armé. Les habitants de la zone devaient voter pour décider de leur destin en janvier 2011, mais le référendum ne s’est pas fait notamment du fait d’un désaccord sur le droit des nomades Misseriya (soutenus par Khartoum mais qui ne sont sur la zone que de manière épisodique) à participer.
Pendant les dernières négociations, les deux parties ont continué de s’accuser mutuellement de poursuivre des attaques sporadiques et de soutenir des factions terroristes et séparatistes sur le territoire de l’autre, un signal que la vraie dissension est encore à venir. Ces signaux eux-mêmes montrent que le cadre de maintien du récent accord économique est très fragile : l’accord a été obtenu pour des raisons économiques dans une situation typique de « couler ou nager » dans laquelle les pays pouvaient difficilement faire autrement. De simples actes de violence localisées pourraient contribuer à raviver à nouveau les tensions et replonger la région dans la crise.
Les résultats des négociations sur la délimitation de la zone d’Abyei seront la clé pour comprendre si vraiment les deux pays veulent pacifier leurs relations et surtout veulent reprendre le cours du développement économique. Les acteurs internationaux se sont déjà engagés avec un nouveau projet d’accord pour l’accès humanitaire, mais la voie est longue – et surtout elle passe par la volonté des gouvernements et des chefs locaux. Or, le 1er septembre, le gouvernement du Sud Soudan s’est encore une fois opposé à la proposition de Khartoum de diviser la région d’Abyei…
Giuliano Luongo, le 3 septembre 2012 - Giuliano Luongo est un économiste de l'Université Federico II en Italie et analyste sur www.UnMondeLibre.org.
(1) Il faut aussi rappeler que, comme dans les années de la Guerre Froide, les USA vont utiliser ces pays de la « nouvelle alliance » comme territoires pour construire un réseau de bases militaires. Ces installations sont/seront utilisées comme point de départ dans la « lutte contre le terrorisme » et pour offrir un soutien potentiel dans les conflits localisés.
Image : COSV.