Le défi de la gauche : reconquérir les classes populaires

Publié le 04 mai 2012 par Lbouvet

Article publié dans L’Humanité le 4 mai 2012.

Dire de Nicolas Sarkozy qu’il est pétainiste peut faire plaisir et même contenter quelques esprits simples qui n’ont pas d’autre argument politique à lui opposer, mais cela n’apporte rien au débat, sans même parler du caractère douteux d’une telle comparaison historique. Sarkozy n’est pas plus pétainiste qu’il est gaulliste. Sans idéologie ni même « colonne vertébrale », selon les mots de sa propre collaboratrice Emmanuelle Mignon, il a toujours été, et a fortiori comme candidat, une sorte de pragmatique opportuniste, prêt à tout du moment que cela peut le propulser plus haut dans l’échelle du pouvoir. Ce qu’il a parfaitement réussi.

Le problème d’une telle analogie historique est que, si l’on en voit bien l’usage, elle éloigne encore un peu plus de toute tentative d’analyse sérieuse de ce qui s’est passé lors du premier tour de cette présidentielle, et de ce qui est en train d’advenir pour le second. Le score historique de Marine Le Pen est un tremblement de terre de bien plus grande ampleur dans la vie politique française que la qualification de son père en 2002 car il l’installe dans une position clé pour la suite. Pour le second tour d’abord puisque les deux candidats finalistes ont besoin de ses voix. François Hollande un peu, Sarkozy beaucoup. Ce dernier est allé plus loin qu’aucun responsable majeur de la droite avant lui dans sa tentative de conquête des voix lepénistes. Il a même ouvert les bras républicains à la dirigeante du FN, sous l’influence de son conseiller 
Patrick Buisson, qui n’a pas hésité en connaisseur de l’histoire, lui, à lui faire emprunter les mots mêmes de Pétain, dont le « vrai travail ». Mais ce qui compte vraiment, c’est la suite : l’après-élection. Car deux phénomènes vont se croiser qui, s’il n’y ait pas pris gare, pourraient bien déboucher sur une catastrophe incommensurable cette fois en 2017 : la prise de pouvoir par une droite remodelée sur la base d’une alliance voire d’une fusion d’une partie d’elle-même avec le FN. Le premier, c’est la recomposition de la droite sous l’effet de l’implosion de l’UMP et la fin de la « barrière d’espèces » entre droite et extrême droite. Personne n’en connaît les effets sur le système politique français sinon que cela mettra fin aux facilités électorales longtemps offertes à la gauche par les triangulaires par exemple.

Second phénomène : la destination du vote des catégories populaires. Et c’est là que la gauche a un rôle à jouer. Car si cette fois elle est bien partie pour gagner en emportant la majorité du vote des catégories populaires, cette victoire ne devra pas être mal interprétée, c’est-à-dire comme une reconquête durable de cet électorat. Car, après son vote massif pour Le Pen au premier tour, son report à gauche au second n’est qu’un effet de l’anti-sarkozysme, de la réaction violente contre celui qui a trahi les promesses qui lui avaient permis de siphonner les voix frontistes tout en étant majoritaire dans les catégories populaires en 2007. La reconquête de ces catégories par la gauche commencera en fait au lendemain de l’élection et se jouera sur les politiques mises en place par la future majorité, sur la rupture avec le passé des gouvernements de gauche, notamment en matière européenne. Le fort besoin de protection qui s’est exprimé dans le premier tour contre les insécurités économique et sociale comme culturelle devra être pris très au sérieux. Si ce n’était pas le cas, les conséquences pourraient être terribles. Là, les bons esprits de gauche qui hurlent au fascisme depuis trente ans et condamnent indistinctement les électeurs du FN, avec l’efficacité que l’on constate, auront une bonne raison de s’alarmer. Même s’il sera alors trop tard.


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