L’incapacité à se séparer de la mère
Pour le psychiatre Jacques-Antoine Malarewicz, auteur de Repenser le couple (Robert Laffont, 2001), la crainte toute masculine du vide et de la solitude renvoie à l’angoisse de la rupture avec la mère. En effet, enfant, le garçon s’imagine qu’il est tout pour elle et qu’elle ne saurait vivre sans lui. Il ne prend conscience de son erreur que dans la période œdipienne, où il réalise que le véritable objet du désir de sa mère n’est pas lui mais son père. Cette révélation l’angoisse, mais simultanément le soulage. Quand cette prise de conscience n’a pas lieu – père trop peu présent, mère investissant réellement trop son fils –, le garçon continue imaginairement à croire qu’il est son partenaire. La quitter serait la tuer. D’où, plus tard, la difficulté à la fois à se lier à une femme et à s’en séparer. Oscillant constamment entre désir de partir et culpabilité, l’homme n’agit pas, tandis que la femme prend des décisions. « Les hommes expriment rarement leur désir de rupture avec des mots, constate Martine Teillac, psychanalyste. Ils développent plutôt un comportement agressif ou provocateur, assez immature. Souvent, le fait que leur couple ne marche pas constitue une faute qu’ils essaient de rejeter sur l’autre. » « Je m’arrange toujours pour être quitté plutôt que de quitter, explique Philippe, 27 ans. Comme ça, je n’endosse pas les habits du salaud, du bourreau, et tant pis si cela suppose de se montrer odieux pour rendre l’atmosphère irrespirable et pousser ainsi l’autre à prendre l’initiative. C’est peu glorieux mais très efficace ! » Yvan, 31 ans, en couple depuis bientôt dix ans et père d’un petit garçon, connaît une autre tentation : « J’ai envie de tout plaquer, de partir loin au moins vingt fois par an et je ne le fais jamais. Ma compagne, elle, quand elle a eu envie de me quitter, a pris deux fois sa valise pour partir réfléchir ailleurs. » Cette dissymétrie totale de comportement ne surprend guère Jacques-Antoine Malarewicz tant, pour lui, le rapport de l’homme au couple est radicalement différent de celui de la femme. « A l’heure actuelle, le couple est féminin ou n’est pas », résume-t-il en une formule un brin provocatrice. Selon lui, les femmes ont en effet développé une aspiration au bonheur et à une vie de couple réussie – à savoir épanouie sur le plan sexuel et sentimental – en même temps qu’elles ont acquis leur autonomie sociale. Aussi n’hésitent-elles pas à rompre si leurs conditions de réussite du couple ne sont pas remplies.Une difficulté à s’exprimer clairement
Les hommes, eux, en sont restés à un modèle archaïque du couple, datant du XIXe siècle, où, une fois la phase de séduction passée, ils n’ont plus rien à construire ni à travailler. C’est pourquoi ils prennent conscience du délabrement de leur couple très tard. Trop tard. Et le thérapeute prédit que les choses ne changeront que si les hommes deviennent plus exigeants et définissent leurs propres critères d’une relation réussie.Pour Christine Halphen, psychothérapeute, spécialiste du couple, les hommes auront fait un grand pas en avant quand ils auront appris à "se séparer" plutôt qu’à "rompre". L’homme qui rompt brutalement donne rarement à sa partenaire les raisons de sa décision, et cette incapacité à s’expliquer clairement augmente la souffrance de celle-ci. « Quitter l’autre sans explication, c’est ne lui laisser aucune chance de se défendre, aucune chance de dire : “Je ne suis pas d’accord” ou “Toi aussi, tu portes ta part de responsabilité”, explique la psychanalyste Martine Teillac. Pouvoir établir une liste des griefs, c’est aussi en écarter certains, tandis que n’en évoquer aucun, c’est les considérer tous comme justifiés. Le non-dit tue l’autre, qui, dans ce silence, va investir tous ses fantasmes, toutes ses incertitudes. Il est ensuite très difficile pour la femme quittée de se reconstruire car, d’une certaine façon, elle se trouve niée dans sa totalité. »
Les femmes préfèrent les “vrais” hommes
Après tout, la vie de couple n’est pas toute la vie… C’est la découverte qu’a faite Christophe, 35 ans, après quatre ans d’analyse : « J’ai vécu une relation très fusionnelle avec ma mère. Seule celle qui est devenue la mère de mon fils a eu assez de force pour couper ce cordon. Mais c’est alors avec elle que la fusion s’est reproduite : nous nous nourrissions l’un l’autre, nous ne voyions que des amis communs, etc. Il y a un an, au cours des vacances d’été, il m’est tout d’un coup apparu évident que nous ne pouvions plus continuer de la sorte. L’automne venu, je suis parti. » L’analyse l’a ensuite aidé à comprendre qu’il n’était pas seulement un fils ou un petit garçon, mais aussi un conjoint. Bref, un homme. Son ancienne compagne semble l’avoir également compris et essaie, depuis peu, de renouer avec lui. Ironie de l’histoire, ce sont précisément les hommes qui savent rompre que les femmes désirent le plus séduire et garder le plus longtemps auprès d’elles. « A l’inverse de ceux qui vivent dans une sorte d’indécision, souvent associée à la féminité, les hommes capables de dire : “Je ne t’aime plus” ou “Je te quitte” savent ce qu’ils veulent et où ils vont, souligne Jacques-Antoine Malarewicz. Bref, aux yeux de la plupart des femmes, ce sont eux, les “vrais” hommes. »L'avis du spécialiste :« Les plus jeunes savent repasser leurs chemises »
Psychologies : Dans le passé, l’initiative de la rupture était-elle toujours masculine ?Trois questions à Christine Castelain-Meunier, sociologue, chercheur au CNRS, auteur notamment de La Paternité etPaternité et mouvement culturel (PUF, 1997 et 2002). Christine Castelain-Meunier : Oui, à de rares exceptions près. D’abord parce que, légalement, les femmes n’en avaient pas la possibilité ; ensuite, et surtout, parce que, socialement, la cellule familiale était centrée sur l’homme. A l’heure actuelle, au contraire, quand un couple se sépare, c’est la femme qui, dans 73 % des cas, demande le divorce. Comment en est-on arrivé là ?
Le déclic a été l’instauration, en 1975, du divorce par consentement mutuel. L’idée selon laquelle mieux vaut être seule que mal accompagnée a fait son chemin. Un peu perdus, cherchant de nouveaux repères en matière de paternité ou de masculinité, les hommes n’en sont pas encore là. Les choses changent-elles ?
Oui, les hommes de 20-25 ans ne rencontrent pas les mêmes difficultés. Plus à l’aise dans leur tête, ils le sont aussi dans leur couple et n’hésitent pas à le remettre en cause s’il ne leur convient pas. Surtout qu’à l’inverse de leurs aînés qui avaient besoin de Madame en ce qui concerne la logistique – nourriture, repassage, etc. –, de plus en plus de jeunes hommes savent vivre seuls. On devrait donc assister à un lent rééquilibrage de la tendance, la rupture ne leur faisant plus forcément aussi peur.