Plapla Pinky est une sorte d’OVNI au sein de la musique électro-expérimentale française, se situant entre noise, musique concrète et symphonie pour synthétiseurs. Radicalement dépouillée, débarrassée d’apparats séduisants, l’électronique du duo parisien – composé de Maxime Denuc et Raphaël Hénard – figure l’éloge panégyrique de claviers perclus de basses tutoyant l’abysse. Récemment invités pour ouvrir le cycle des Siestes Électroniques dans les jardins du Quai Branly à Paris (lire), qui demandait du 1er au 29 juillet dernier à dix artistes ou groupes – autour des thèmes de la diversité culturelle, du nomadisme et de la lenteur – de piocher dans le fond audio inépuisable du musée, afin d’aboutir à une création originale présentée live, Plapla Pinky a ensorcelé de par sa virtuosité dans l’art du collage de documents sonores puisant en plein coeur du Moyen-Orient : l’Irak et l’Afghanistan.
S’il n’en fallait pas plus pour faire référence à une discussion de deux éminents membres de Can – en l’occurrence Holger Czukay et Irmin Schmidt (Modulations, Ed Allia p.49) – une entrevue introduisant le mix en écoute ci-après s’imposait. Chose faite, à raison.
« Czukay (Can) : Ce qu’il y a d’intéressant dans la pratique du collage, c’est le fait de faire s’assembler deux mondes en apparences inconciliables. Prenez par exemple un instrument venu de quelque part au Moyen-Orient. Il aura été conçu pour un système tonal complètement différent du nôtre et qui ne sera même pas compatible avec notre système harmonique. Maintenant réunissez ces deux éléments, cet instrument et ce système harmonique, et vous avez une bonne chance d’obtenir un résultat convaincant. C’est remarquable. Si l’on s’en tient aux règles, ça ne devrait rien donner, et pourtant…
Schmidt (Can) : Ou alors, ça ne donne rien, mais c’est surprenant. Intéressant… »
Entrevue avec Raphaël Hénard
Votre musique semble s’attacher plus aux textures qu’aux rythmiques ; comment définiriez vous votre approche et que tentez-vous de retranscrire à travers celle-ci ?
Notre émotion lorsque nous fabriquons des sons est essentiellement régie par la question du timbre et de la matière, et particulièrement par ce qu’on pourrait appeler la « surface » du son. Les tracks de Plapla Pinky ne contiennent que très peu de couches, très peu d’éléments, si bien que chaque élément doit pour nous exprimer quelque chose qu’on estime juste et essentiel. Ceci témoigne aussi d’un refus de l’ornementation et de l’arrangement, le montage de petits sons « décor » qui paraissent jolis et qui rendent la musique agréable, bien produite ou esthétique. Nous préférons l’aspect primitif, l’épure pour la clarté du discours.
Plapla Pinky, il y une explication à ce patronyme, ou est-ce le hasard des circonstances ?
Les raisons ne sont que stupides. On aime malgré tout l’idée que le nom, plutôt doux et rond, soit une fausse piste totale par rapport à notre musique.
Pouvez-vous expliquer vos liens avec le Japon, outre Sonore, le label via lequel vous avez sorti votre premier EP. Votre musique y est-elle mieux accueillie ou est-ce vous qui vous sentez plus proche de cette culture ?
Notre lien avec le Japon se traduit, outre notre admiration pour certains bruitistes (Ikeda Rioji, Merzbow…) par une tournée dans une dizaine de villes japonaises en 2011.
C’était très excitant de jouer notre musique là-bas où globalement le rapport au « bruit » est très différent d’ici. L’exemple le plus frappant à été à Omuta , une ville totalement désindustrialisée du sud : durant les passages les plus « noise » de notre live, le public, assez jeune (des ados du coin qui s’ennuient), devenait fou et hyper enthousiaste. Des passages durant lesquels nous avons déjà été sifflés en France, par la même génération.
Votre discographie compte un EP sur Sonore justement. Le futur proche de Plapla Pinky passe par une suite à celui-ci ?
Le futur de Plapla Pinky se fera à travers l’élaboration d’une pièce musicale dont le rapport au temps sera inspiré par certaines oeuvres de musique classique et contemporaine ; une écriture par mouvements. Nous aimerions créer une vraie dramaturgie dans nos lives, qui tentent d’interroger et de briser l’aspect fonctionnel de la musique club, qui peut devenir très facilement une musique démagogique. C’est peut-être pour cette raison que nos lives peuvent être déroutant parfois pour le public, on leur rappelle souvent que ça n’est pas eux qui décident s’ils vont danser ou pas. Cette prochaine recherche long format donnera lieu à notre premier album qui sortira vraisemblablement chez Sonore.
Comment avez-vous été contactés par les Siestes Électroniques et quel intérêt la nature du projet proposé a suscité pour vous ?
Nous venons de la même ville, et Samuel et Les Siestes nous suivent et nous défendent depuis un certain temps. Par nature on est curieux et on aime apprendre, le côté un peu risqué de l’affaire nous a excités.
Pouvez-vous narrer la façon dont vous vous êtes emparé de celui-ci et ce que vous avez mis en son sein ? N’est-ce pas un peu flippant de se retrouver devant une telle source documentaire, radicalement différente de son domaine de prédilection ?
Le projet fut en effet un peu vertigineux au départ car, d’une part le musée et Samuel nous laissaient totalement maîtres de notre création, et d’autre part le fond sonore à disposition englobait la quasi totalité des musiques du monde. Nous avons rapidement décidé de chercher dans la musique du Moyen-Orient et particulièrement celle de l’Irak et de l’Afghanistan dont nous aimions à la fois la simplicité, les rythmiques cassées et l’émotion harmonique à fleur de peau.
Nous avons aussi rapidement décidé d’utiliser uniquement des enregistrements ethnologiques où la question essentielle est celle du point de vue et non de la qualité de la prise de son et d’éviter ainsi au maximum tous les enregistrements « world music », c’est-à-dire le traitement occidentalisé, en studio, qui nous a toujours paru infâme.
Nous voulions également éviter l’idée de remix ou d’arrangements électroniques de ces oeuvres, afin de conserver leur sens et leur histoire. Nous avons donc décidé de créer une dramaturgie de l’écoute parsemée seulement de traitements d’espace et de volumes et d’insérer des prises « field recording » que Maxime avait enregistré au Caire (chants religieux, ambiances de rue, travaux, etc.). Le set se clôture par une prise de son de vent dans lequel émerge une procession libanaise, seul morceau d’inspiration chrétienne de l’ensemble.
Quel sentiment vous habitait durant le concert ? Vous avez ressenti l’adhésion du public ?
Nous étions immergés dans notre travail, il est difficile de sentir le public dans un tel contexte. Mais il régnait un calme et apparemment une certaine attention.
Cette expérience aura-t-elle des conséquences sur vos productions ultérieures ?
Absolument, une conséquence très concrète : ce set nous a donné l’envie de sortir à l’automne notre première mixtape (K7 et digital) qui s’articulera uniquement autour de la musique baroque française : des pièces pour orgue, clavecin et viole de gambe composés pour la cour ou pour l’église (des compositeurs comme Couperin, Rameau, Royer, Corrette, Marais, mais aussi des oeuvres et des compositeurs très rares). Nous cherchons un certain parallèle entre cette musique et le principe de « l’anthem » dance. La mixtape utilisera différents procédés d’enregistrements et de mixage : vinyles, bandes magnétiques, autoradio…
On vous revoit quand sur scène ?
Le 8 septembre à Berlin pour L’ICAS Suite Festival, le 27 à Paris au Petit Bain et le 29 à Toulouse au Bikini.