Entouré par des pentes recouvertes de pins verts foncés, sous le ciel bleu et les nuages blancs aux contours nets que l'on trouve en altitude les jours de beau temps, il aurait pu être un lac de montagne comme les autres. Mais, dans le parc de Yellowstone, c'était impossible. "Grand Primatic Spring" - c'est son petit nom - est une surface irisée avec des eaux bleu curaçao en son centre, un cercle d'eau verte à la périphérie de celui-ci, un autre un peu plus grand d'un beau jaune souffre et une ultime circonférence d'eau rouge qui caresse une berge plate sillonnée de petits rus. Il est surmonté d'un nuage de vapeur à la fois dense et léger, car ses eaux sont bouillantes.
Devant ce spectacle, j'avoue avoir été saisi d'une émotion indicible, un peu comme devant une oeuvre d'art. Un sentiment qui m'était totalement étranger jusqu'à ce jour.
Pourtant, "Grand Prismatic Spring" n'est qu'un des milliers de lacs, bassins ou flaques bouillonnantes de toutes formes et de toutes couleurs que l'on trouve avec une centaine de geysers et d'innombrables fumeroles dans cet univers volcanique qu'est le plus ancien des parcs nationaux des Etats-Unis. Mais pour moi, un peu mystérieusement, il est devenu en quelques secondes le symbole de ce monde. Il est devenu ce monde.
Pourtant, sa beauté même est peut-être celle du diable. Ma coéquipière (celle qui parle à l'oreille des bisons) m'a fait remarquer avec raison que notre mince couche vitale paraît bien fragile à la surface de notre Terre, cette boule de feu qui se trahit si bien à Yellowstone.
L'Enfer n'est peut-être pas aussi éloigné qu'on ne le pense et, pour le moins, le voyage au centre de la Terre que nous a promis l'ami Jules n'est sûrement pas pour demain.