Comment vous est venue l'idée de ce livre ?
Je connaissais depuis longtemps l’aventure de ce jeune pilote de 26 ans, parti « pointer » Hiroshima pour le lancement de la première bombe atomique, et plus tard, tenaillé par la culpabilité, sombrant dans une dérive totale marquée par des internements psychiatriques et des braquages. Je me suis souvent interrogé : qu’aurais-je moi-même ressenti durant et après cette nuit où il fallait piloter une de ces immenses forteresses volantes et participer à la mission d’extermination instantanée la plus meurtrière de l’histoire humaine ? Il y avait là une énigme lancinante d’autant plus que la pensée de l’homme allait demeurer pour tout le monde mystérieuse. Les psychiatres se cassaient les dents : était-il tenaillé par le remords, vraiment psychotique ou ce joueur de poker voulait-il seulement entrer dans l’histoire, quitte à endosser toute la culpabilité d’Hiroshima ? Le paradoxe est qu’une biographie n’aurait rien donné d’intelligible.
Seul le roman, avec sa subjectivité, et les possibilités quasiment infinies de tourner autour d’un être, permet d’approcher au plus près ce personnage ambivalent, fascinant, à moitié fou, d’une séduction ahurissante, qui s’appelait Claude Robert Eatherly. Il fallait aussi que ce soit une femme qui se laisse happer et absorber, par cet homme et que celle-ci ne soit pas un simple faire-valoir mais qu’elle ait sa profondeur, elle aussi. Leur rapport intenseallait les dessiner, l’un et l’autre, en creux. A partir de là, le roman suivait une logique et un cheminement naturels, nés du sujet lui-même.
Quelles recherches avez-vous effectué? Sur Internet, on trouve des informations sur Claude Eatherly (*) où il est mentionné "qu'il s'est rendu à Hiroshima où il est accueilli par les Japonais comme "un frère retrouvé". Et "qu'en 1962, il participe à une gigantesque manifestation contre l'arme nucléaire à New-York."
Votre roman reflète la vie de Claude Eatherly ( ses déboires avec la justice, sa correspondance avec Günther Anders ), pourquoi ne pas avoir inclus ces éléments?
Vos deux exemples sont très intéressants car ils montrent à quel point ce personnage est entouré de mythes. En réalité, Claude Eatherly n’a jamais mis les pieds à Hiroshima. Pas un orteil ! Ce qui exclut qu’il ait pu être accueilli par les Japonais « comme un frère retrouvé » (quelle formulation maladroite dans le contexte!). En 1962, il n’a pas participé à la « gigantesque manifestation » à laquelle il est fait référence (en réalité la 17ème commémoration du bombardement d’Hiroshima). Il a reçu une distinction (avec Pablo Casals) pour sa contribution majeure à la paix et un texte de remerciement, en son absence, a été lu en public. Le même article que vous citez reprend une avalanche de contre-vérités comme la référence à un survol sur Nagasaki (qu’il n’a jamais fait) ou la légende des chèques envoyés au Japon pour lesquels il aurait été directement condamné (je découvre d’ailleurs là une nouvelle fable…). Pour demeurer dans le droit fil de sa vie, suffisamment chaotique et effarante, j’ai fait remonter sur la France une masse conséquente de journaux, livres et documents (des Usa, de Grande Bretagne et d’Allemagne, mais aussi du Japon) qui existaient sur l’homme jusqu’à sa mort, mais aussi sur la mission numéro 13 et Hiroshima, puis en les recoupant, presque mois après mois, j’ai éliminé les divagations. Cela m’a permis d’écrire un livre au plus près de la réalité de cet homme complexe. J’ai suivi parallèlement trois ans de cours en psychologie à la fac me permettant de mieux cerner son état mental, oscillant entre névrose de guerre et psychose. C’était d’ailleurs là une des difficultés de ce roman : construire une fiction à partir d’un travail très pointilleux sur le plan psychologique et historique, que ce soit autour de la biographie du personnage ou les évènements de l’époque. Lorsque j’évoque par exemple les pique-niques atomiques, rien n’est inventé tout comme les concours de beauté déshabillés à Vegas avant les programmes nucléaires…Par contre tout ce qui tourne autour de Rose Martha est fictionnel.
Quel est votre sentiment personnel sur Claude Eatherly, sur sa personnalité ?
Je me suis senti proche de cet homme en permanence pour lequel j’ai une immense affection qui tient peut-être à quelques traits de ressemblance avec lui. Ecrire un livre très subjectif sur un tel personnage, c’est prendre le risque de s’y attacher de manière indélébile. C’est d’ailleurs une expérience étrange que d’avoir un contact aussi intime, presque physique, avec un mort…
Par rapport à d'autres auteurs français, vous êtes discret sur le plan médiatique. Est-ce un choix délibéré ?
Pour être franc, non. Je crois que mes livres ne collent pas forcément à ce qui est attendu. Chamelle, qui racontait la lente disparition d’une petite famille dans un désert, n’a pas eu une seule ligne dans la presse pendant trois mois. Puis tout d’un coup, il y en a eu beaucoup, suite à des prix littéraires. Je ne maîtrise pas ces choses-là. Je n’ai aucune envie de le faire. Je ne veux pas choisir mes sujets en fonction de leur médiatisation. Mon prochain roman sera sur un thème qui n’a rien à voir avec celui-ci et déconcertera peut-être. Tant pis. Je suis fidèle à un chemin dont je ne connais pas la direction mais en même temps il m’est impossible d’en dévier d’un pas. C’est en ce sens que je trouve mes éditeurs admirables : Plon (comme autrefois Lattes) m’accompagne avec confiance. Ce rapport est inestimable. Votre livre à peine publié connait déjà un succès auprès des lecteurs, que ressentez-vous? Cela me fait d’autant plus plaisir que ce sont les sites et les libraires qui me font connaître.
Accordez-vous de l'importance aux avis publiés sur les blogs ?
Je les juge en ce qui me concerne essentiels.
(*): http://deuxiemeguerremondia.forumactif.com/t7632-claude-eatherly-l-homme-qui-n-a-pas-detruit-hiroshima
Un grand merci à Marc Durin-Valois pour ses réponses et sa disponibilité!