Résumé: Fauché et criblé de dettes, notamment envers le caïd local, Chris (Emile Hirsch) convainc son père Ansel (Thomas Haden Church) de s’associer à lui pour tuer sa mère. Celle-ci a en effet récemment contracté une assurance-vie en faveur de Dottie (Juno Temple) la sœur de Chris. Afin de mettre en œuvre leur plan sans attirer les soupçons sur eux, Chris et Ansel décident d’embaucher Joe Cooper (Matthew McConaughey), un flic véreux, pour effectuer l’assassinat. Mais Joe n’accepte de nouveaux contrats que s’il est payé d’avance…
Cinq ans après l’étrange Bug, qui plongeait Ashley Judd et Michael Shannon en pleine paranoïa, le grand William Friedkin revient au cinéma pour mettre en scène une fois de plus une adaptation d’une pièce de Tracy Letts.
Cohenien en diable (du moins à première vue), Killer Joe s’attache à une famille fauchée convoitant avidement la prime d’assurance-vie de l’ex-femme du père de famille. Afin de récupérer cet argent, père et fils décident d’engager un flic véreux pour éliminer leur victime. Manque de bol pour eux, le Killer Joe du titre a des principes, et notamment celui de demander à être payé d’avance pour tout nouveau contrat. Mais par chance, il accepte de faire une entorse à cette règle d’or, à condition de garder la sœur du héros en garantie. Bien entendu, ce plan a moitié foireux va très vite déraper et se transformer en jeu de massacre tour à tour réjouissant et glaçant.
Car si les prémisses du film font immanquablement penser aux longs-métrages des frères Cohen, Friedkin rappelle très vite au cinéphile qu’il a son propre style, et que les années ne l’ont pas assagi. Killer Joe a beau progresser sur un rythme lent, presqu’indolent, endormant peu à peu la méfiance du spectateur à l’image du personnage-titre, c’est pour ensuite mieux le réveiller à grands coups de pompe dans la gueule. Le film est du coup traversé de moments d’une violence intense, qu’elle soit psychologique ou graphique, ainsi que de scènes au suspense insoutenable. On n’oubliera pas de sitôt la scène du repas, à se ronger les ongles de stress, se terminant sur un coup de poing d’une violence inouïe, et une fellation forcée sur un pilon de poulet…
Grand manipulateur de génie, Friedkin s’amuse visiblement comme un fou à organiser ce jeu de massacre, étudiant le délitement de la cellule familiale dès que de l’argent entre en jeu. D’une ironie mordante, Killer Joe prend un malin plaisir à mettre en scène l’avidité extrême de ses personnages, se révélant souvent très drôle, et jonglant avec aisance entre les genres, jouant avec les sentiments du spectateur. Et si un montage au cordeau et une réalisation implacable sont de mise, c’est aussi en termes de direction d’acteurs que Friedkin révèle sa maitrise. Matthew McConaughey, dans le rôle-titre, est juste monstrueux de charisme, passant sans ciller d’un calme olympien, voix douce et mielleuse à l’appui, à une sauvagerie inouïe. Chaque scène dans laquelle il apparait est un monument de tension, et il bouffe la vedette sans effort à ses partenaires, pourtant tous très bons (même si Emile Hirsch a un peu tendance à surjouer). La seule à arriver à lui tenir tête est la jeune Juno Temple (Kaboom, The Dark Knight Rises), dans le rôle difficile de la jeune sœur, à la fois d’une naïveté attendrissante et d’une lucidité confondante, tout en possédant une pointe de folie inquiétante. La scène de strip tease entre les deux personnages restera certainement dans les annales comme l’une des plus sensuelles vues sur un écran depuis longtemps.
Vous l’aurez compris, Killer Joe est une éclatante réussite, une perle noire d’une maitrise incroyable, un polar magistralement mis en scène et interprété qui fouille les tréfonds de l’âme humaine et balance la réalité à la figure du spectateur sans prendre de gants. A près de 80 balais, papy Friedkin n’a rien perdu de sa virulence, et il le prouve une fois de plus d’une manière éclatante.
Note : 9/10
USA, 2012
Réalisation : William Friedkin
Scénario : Tracy Letts
Avec: Matthew McConaughey, Emile Hirsch, Juno Temple, Thomas Haden Church, Gina Gershon