Au premier abord, quiconque devrait frémir lorsqu’il entend un ministre de l’éducation nationale prétendre vouloir “redresser moralement” le pays. Devrait frémir l’historien des régimes totalitaires, qui a une bonne conscience de ce qu’implique la prise en charge de la morale par les pouvoirs publics. Devrait frémir l’historien des idées, qui sait que nul n’a encore réussi à définir ce que pourrait être une morale «laïque» sans idéologie sous-jacente. D’où une inquiétude certaine…
Que recouvre le terme de “morale laïque” ?
C’est dans l’air du temps que de proposer des systèmes éthiques “laïcs”, républicains et universalistes. Il s’agit de fait de poursuivre la tentative des philosophes des Lumières, Rousseau en tête, qui tentèrent de solutionner les guerres de religion en proposant une «religion naturelle» ou «religion civile», qui comprend des “propositions irréductibles” (qu’il y a un Dieu, qu’il faut faire le bien, etc.) qui pourraient rassembler les hommes au-delà des divergences. Une idée qui se poursuivra jusqu’au «calendrier révolutionnaire» de 1793, absout de toute référence religieuse, qui a connu la postérité qu’on connaît…
Mais la «morale laïque» qui prétend, selon les mots de Peillon, s’imposer aux religions. Elle recouvre en fait et surtout une volonté de réduire encore plus les convictions de la sphère privée, notamment religieuses. Si effectivement, comme le dit Peillon, «La bataille que doit mener l’école est aussi une bataille des valeurs», c’est que l’État est clairement en guerre contre des religions vues comme d’idéologie dogmatique et vecteurs d’extrémismes.
Existe-t-il une morale sans idéologie ?
Lorsqu’on lit de plus près les propos de Vincent Peillon, on s’aperçoit vite des idées qui portent sa «morale laïque» c’est plutôt une morale clairement affichée «anti-capitaliste». Lorsqu’il affirme vouloir inculquer aux enfants “la connaissance, le dévouement, la solidarité, plutôt que les valeurs de l’argent, de la concurrence, de l’égoïsme…“, c’est à partir du dogme socialiste qu’il pense, car aucun libéral n’avouerait accorder le statut de valeur à l’argent ou à l’égoïsme. Nul n’est hors de tout système dogmatique, et celui de Peillon est la religion civile et universaliste qui, bien qu’invisible, n’en est pas moins une certaine forme de religiosité. Et représente à ce titre une vision du monde spécifique, qui s’imposera dorénavant à tous nos enfants.
Cette «nouvelle religion» voit dans l’universalité prétendue de la République et de ses valeurs le nouveau lieu du sacré. Un sacré que l’on vénérera dans les écoles de la même façon que les enfants du XIXème apprenaient la morale thomiste dans les manuels. L’«humanisme transcendantal» de Luc Ferry en est la bonne illustration, elle qui sait se présenter dans des manuels grands-publics sur «la manière d’être heureux». Une morale de manuel, voilà ce que propose le pouvoir socialiste pour résoudre les grands conflits interne de ce pays ?
Cette morale est, malgré tout, encore chrétienne
«Le monde est plein de valeurs chrétiennes devenues folles», disait G-K Chesterton. Sans présumer de la folie des propositions de Vincent Peillon, il est évident qu’elles sont les descendantes directes du christianisme. Luc Ferry le reconnait, lorsqu’il affirme que la modernité n’a découvert aucune nouvelle morale, mais a simplement produit une «laïcisation des valeurs traditionnelles du christianisme». Aussi voit-on la charité chrétienne devenir «fraternité», ou la commune filiation à Dieu devenir «égalité». On s’interrogera sur la consistance, tant éthique d’épistémologique, d’une valeur prétendue universelle, arrachée, comme dit Peillon « de tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel». Il n’y a de transcendance – donc d’universalisme – qu’incarné, accessible, disponible, afin de pouvoir réellement le mettre en oeuvre, dans sa famille, vers ses proches et ses concitoyens.
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Prions donc Vincent Peillon de bien faire attention à ne pas verser dans une laïcité d’opposition, mais laisser sa place à toutes les visions du monde dans une école qui donne aux enfants des armes pour mieux choisir entre des visions du monde. Pas pour en subir une.