En fait, la Parole est tombée auparavant, et elle est demeurée sur cette terre emplie d’églises et saints. Mais les ronces ont gagné du terrain, par mauvais entretien et par manque – ou peur – de défrichage L’homme comme Dieu en devenir est objet de culte par l’homme lui-même, selon Feuerbach. Si Dieu n’est plus, l’homme est son propre Dieu. L’immanence et la suffisance deviennent les temples saints dans lesquels se déroulent les rites du monde post-moderne. L’homme ne veut plus vivre bien, mais bien vivre. Simple déplacement qui contient en lui l’abandon de Dieu.
La “mort de Dieu”, proclamée par Nietzsche, annonce aussi cette divinisation de l’homme, mais enveloppe cette nouvelle d’un terrible fatum “Ne fait-il pas plus froid ? Ne vient-il pas plus de nuits, de plus en plus de nuits ?” – c’est la suite moins célèbre du paragraphe prophétique de Nietzsche. Le Dieu des chrétiens est mort lui aussi, mais ressuscite aussi dans l’homme. Et cette hétérogénéité spirituelle est pour lui une garantie contre l’ennui et la dépression qui environne nécessairement celui qui ne peut compter que sur lui-même.
Un souffle de froid sur notre monde ? Évidemment. La charité, devenue fraternité, est évidée de son sens. Lorsque les vertus théologales chrétiennes ne sont plus que des “valeurs” républicaines, elles perdent leurs plumes d’ange et plongent sur la terre, errant sans queue ni tête, sans origine ni fin, dans l’immanence d’un monde qui s’aveugle à force d’illusion su lui-même. La fraternité permet d’être bon, mais l’homme est fait pour le Bien ultime, pour l’embrasser comme son père et lui donner son autonomie comme à un enfant. La vérité rassure et libère : encore faut-il l’héroisme d’accepter d’être libéré de sa petite vie et rassuré par cette libération.