Une Souris craignait un Chat
Qui dès longtemps la guettait au passage.
Que faire en cet état ? Elle, prudente et sage,
Consulte son Voisin : c’était un maître Rat,
Dont la rateuse Seigneurie
S’était logée en bonne Hôtellerie,
Et qui cent fois s’était vanté, dit-on,
De ne craindre de chat ou chatte
Ni coup de dent, ni coup de patte.
Dame Souris, lui dit ce fanfaron,
Ma foi, quoi que je fasse,
Seul, je ne puis chasser le Chat qui vous menace ;
Mais assemblant tous les Rats d’alentour,
Je lui pourrai jouer d’un mauvais tour.
La Souris fait une humble révérence ;
Et le Rat court en diligence
A l’Office, qu’on nomme autrement la dépense,
Où maints Rats assemblés
Faisaient, aux frais de l’Hôte, une entière bombance.
Il arrive les sens troublés,
Et les poumons tout essoufflés.
Qu’avez-vous donc ? lui dit un de ces Rats. Parlez.
En deux mots, répond-il, ce qui fait mon voyage,
C’est qu’il faut promptement secourir la Souris,
Car Raminagrobis
Fait en tous lieux un étrange ravage.
Ce Chat, le plus diable des Chats,
S’il manque de Souris, voudra manger des Rats.
Chacun dit : Il est vrai. Sus, sus, courons aux armes.
Quelques Rates, dit-on, répandirent des larmes.
N’importe, rien n’arrête un si noble projet ;
Chacun se met en équipage ;
Chacun met dans son sac un morceau de fromage,
Chacun promet enfin de risquer le paquet.
Ils allaient tous comme à la fête,
L’esprit content, le coeur joyeux.
Cependant le Chat, plus fin qu’eux,
Tenait déjà la Souris par la tête.
Ils s’avancèrent à grands pas
Pour secourir leur bonne Amie.
Mais le Chat, qui n’en démord pas,
Gronde et marche au-devant de la troupe ennemie.
A ce bruit, nos très prudents Rats,
Craignant mauvaise destinée,
Font, sans pousser plus loin leur prétendu fracas,
Une retraite fortunée.
Chaque Rat rentre dans son trou ;
Et si quelqu’un en sort, gare encor le Matou.
Jean de LA FONTAINE (1621-1695).
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