Les figurines… Un domaine qui a évolué de manière notable dans l’hexagone ces dernières années. Il nous a fallu presque deux décennies pour comprendre que nous étions cernés par la contre-façon, pour que les fabricants officiels s’organisent et viennent frapper aux portes du marché européen et pour qu’on assiste, enfin, à la naissance d’une société européenne et française dans ce domaine : Tsume.
Ce projet assez singulier de figurines haut-de-gamme revisite les personnages cultes de licences ultra-populaires comme Naruto, Saint Seiya, Soul Eater et d’autres en misant sur un savoir-faire et une qualité hors-norme… C’est en regardant les dernières statues réalisées par Tsume que je me suis dit qu’un résultat comme celui-là n’arrivait pas par hasard et que je devais partir à la découverte des gens qui étaient derrière tout ça. Il ne me manquait plus qu’une occasion pour caler une entrevue avec Cyril Marchiol, le fondateur de la boite. Et, une fois de plus, le hasard des rencontres a frappé.
Il y a un an et demi je dédiais le 150ème post du blog à une autre rencontre fortuite, celle de Made et d’Aleksi Briclot (à lire ici). Non seulement cette rencontre accoucha d’une interview de 2 heures qui compte parmi les moments les plus marquants et motivants de mon jeune parcours, mais elle m’a permis aussi de découvrir Aleksi, un illustrateur – ou faiseur d’image comme il se définit lui même – d’un talent rare et d’une simplicité bluffante. Je ne le connaissais pas du tout avant cette rencontre de 2010 mais je pense qu’aujourd’hui je pourrais vendre son artbook Worlds & Wonders à la terre entière (tiens d’ailleurs, achète-le cher lecteur, après avoir bavé sur le trailer ci-dessous !).
Donc quand j’ai su qu’Aleksi Briclot travaillais avec Tsume sur une figurine inspirée de la couverture de Worlds & Wonders et que Cyril et Aleksi étaient disponibles à Japan Expo 2012 pour des interviews… Je n’étais qu’enthousiasme et curiosité. Forcément.
Je vous livre aujourd’hui le compte rendu de ces deux entrevues, où l’on parle du projet de la figurine Azzar’hi dans le détail, d’Aleksi et de Cyril, de la création, de la philosophie et du fonctionnement de Tsume, mais aussi de la façon de se réapproprier un univers, celui de notre enfance, y mettre son vécu, son art et parfois ses tripes, pour le transcender.
Retour sur un jeudi après midi de JE très enrichissant… Bonne lecture
Aleksi Briclot : une histoire de challenge…
Avant de se croiser sur le projet de la statue Azzar’hi, Cyril et Aleksi ont déjà fait un bon bout de chemin chacun. En ce qui concerne Aleksi Briclot, je ne vous retracerais pas son impressionnant parcours, déjà détaillé dans l’ancien dossier, mais on peut lui attribuer de multiples casquettes : illustrateur pour Marvel et admiré de Todd Mc Farlane (Spawn), illustrateur emblématique des cartes Magic, scénariste de BD et de comics, graphiste, illustrateur et concept designer au sens large sur pléthore de jeux vidéo. Il est d’ailleurs co-fondateur du studio de jeu vidéo Dontnod Entertainment dont le premier bébé, Remember me, devrait arrive dans les bacs en 2013 (un petit trailer ci-dessous).
Bref, un CV comme ça alors que l’homme a le même âge que moi, ça vous colle le vertige.Je finis par demander au jeune homme s’il a finalement une limite, des horizons artistiques où il ne mettrait pas les pieds et je me rends rapidement compte qu’il ne lui manque que quelques trous dans le calendrier pour essayer, encore, de nouvelles choses : « ça me ferait peut-être même du bien (d’essayer de nouveaux horizons, NDLR). Mais après je pense que la limite c’est le temps. Le temps et l’investissement. Mais il y a beaucoup de projets personnels que j’aimerais bien creuser : la peinture, revenir à la sculpture, les images en mouvement, les livres pour enfants et ce qui se rattache à la narration… »
Forcément les livres pour enfants dans la bouche d’un mec qui a apposé sa patte sur Spawn ou designé du Splinter-Cell (cf illustrations ci-dessous), ça m’intrigue… Il s’explique : « oui, à un moment j’en parlais pas mal et je n’ai pas eu le temps de concrétiser mais rien que le fait d’en parler en interview ça me permet de garder ça en toile de fond – parce que je n’ai pas envie de le perdre – pour, le cas échéant, relancer le projet. En plus il y a une certaine prise de risque car personne ne m’attend là, que les éditeurs ne me connaissent pas forcément et que si j’arrive avec mon artbook en leur expliquant que je veux faire des contes pour les 5-6 ans ils vont me regarder bizarrement…Mais c’est justement ça le challenge, changer complètement de style. »
Comme Aleksi aime bien les challenges et que nous sommes à Japan Expo, je lui en propose un autre : et pourquoi pas un manga ? Il ne dit pas non, mais pas n’importe comment et surtout pas « à la japonaise » : « je serai intéressé par l’exercice de style, en essayant de construire une histoire courte et en tentant de reprendre les codes du genre, de les poser puis de me les approprier, pour rentrer dans ce type de problématique…
Par contre, par rapport à l’industrie japonaise, je ne me vois absolument pas travailler là bas de la manière dont ils le font. Même pour le marché français je ne me verrais pas produire 180 pages de mangas en noir et blanc… Ça demande un investissement intense et dans la durée.«
Cela dit, Aleksi est de la génération Club Dorothée et le Japon fait forcément écho à un fantasme de gosse : « il y aurait forcément pas mal de plaisir à réussir une petite percée sur le marché japonais où ont été produits énormément de choses qui ont accompagné mon enfance et qui m’ont influencé, comme les méchas par exemple (Aleksi est un grand fan de Macross, NDLR). Mais je ne vois pas comment je pourrais trouver le temps à l’heure actuelle… . Il y songe une seconde ou deux – essayant de s’y voir – et conclue, dans un sourire : « mais c’est vrai que ce serait super classe. »
En fait s’il y a bien une limite de temps, qui existe pour tout le monde après tout, c’est plutôt l’absence de barrière qui est frappante chez Aleksi, il est d’accord pour aller se balader n’importe où tant qu’on lui permet de trimballer son petit bagage avec lui, pour s’installer quelque soit le domaine artistique, faire connaissance avec les lieux et ses contraintes avant d’y apporter ses touches personnelles. Puisque l’on parle de manga et de réappropriation on tombe logiquement sur Naoki Urasawa et son Pluto : « j’ai lu Pluto dernièrement et j’aime beaucoup ce travail de réappropriation qu’à su faire Urasawa avec l’histoire de Tezuka. Être fidèle à l’esprit tout en ré-insufflant les souvenirs d’enfance mais aussi ce que tu aimerais lire dans cette histoire en tant qu’adulte 30 ou 40 ans plus tard, tout ça c’est un travail que je trouve passionnant. » C’est assez amusant parce que 48h plus tard, Urasawa himself expliquera la naissance de Pluto de la même façon… (cf intégrale Urasawa ici)
Je lance alors l’idée d’un héros de manga repris par Alexis… Et je comprend que ça fait belle lurette qu’il y avait pensé, en reprenant trois personnages culte d’un seul coup l’animal ! « À un moment j’ai eu un projet, qui n’a jamais abouti et qui est resté à l’état de croquis : c’était une relecture avec Albator, Ulysse 31 et Cobra glissés au sein d’une même histoire. C’était des personnages que j’aimais beaucoup avec un univers SF en commun et des mondes pas si disparates. Je voyais des axes qui permettaient de les lier les uns aux autres…
Après c’est encore une histoire de temps. Le faire pour moi j’aimerais bien mais j’ai déjà tellement de choses en cours que ce serait difficile. Si c’était une commande ce serait très différent et ça pourrait quelque chose de passionnant. Ça dépendrait du personnage original, de l’affect que j’ai pour lui et de la marge de manœuvre qui m’est laissé… Si c’est juste pour refaire une pose ou une tête en collant à ce qui a été déjà fait ça ne m’intéresse pas. Mais si on me laisse un peu plus de place, comme re-designer une armure d’un Chevalier du Zodiaque tout en conservant l’esprit original, en faire un personnage moderne et non pas kitch ça peut donner un petit challenge super intéressant ! »
Les challenges, encore et toujours, rythment la vie d’Aleksi… Tout comme ils dynamisent et donnent du sel à celle de Cyril Marchiol… La preuve ci-dessous !
Cyril Marchiol : une motivation à toute épreuve !
Contrairement à Aleksi, il s’agissait de ma première entrevue avec Cyril… donc resituons un peu le monsieur. Il est le créateur de Tsume et son directeur artistique… Ce qui signifie, dans la réalité : gérer les licences, les artistes, donner les idées générales pour les statues, s’occuper des marchés extérieurs… « Un peu tout en fait » résumons-nous avec le sourire. Au départ ce jeune homme et un énorme fan de jeu vidéo, grâce à son grand-frère qui semble lui a voir refilé le virus à l’époque de la mythique NEO GEO. En grandissant il acquiert une certitude : il travaillera dans un domaine proche du Japon.L’homme a de la suite dans les idées : il rentre dans un magasin de jeu vidéo puis devient rapidement responsable de l’importation des produits dérivés… Le début de son histoire avec les figurines. Comme je le disais plus haut, le marché de la figurine est resté longtemps un marché de niche et surtout un terrain en totale friche. Cyril le comprend et se lance en 2006 pour fonder sa société KMImport.
C’est d’ailleurs à cette époque que le milieu du manga va entendre parler de lui pour la première fois et qu’il se fait connaître des éditeurs « notamment pour la campagne que j’avais réalisé à l’époque de KMImport contre la contrefaçon. J’avais fait des grandes affiches « NON à la contrefaçon » et lorsque j’avais un stand Konci à coté de moi, j’ai fabriqué des affiches avec la figurine originale et la pirate l’une à coté de l’autre pour que les gens voient bien la différence. J’ai donc fait un gros travail là-dessus et ça a bien plus aux éditeurs.«
Du coup, lorsqu’il récupère la licence Art Of War, tout commence à se débloquer : « j’ai pu avoir des contacts avec Glénat pour Berserk et ainsi de suite…«
L’aventure va durer quatre ans et Cyril va apprendre beaucoup mais il va également se frotter à des barrières en bossant pour cette société nippone. Il a de nombreuses idées qu’on ne laissent pas éclore. Manquant de liberté, Cyril refuse la frustration et lance, en janvier 2010, Tsume.
Les idées fondatrices de Tsume sont simples mais très ambitieuses « L’idée de Tsume c’est de faire des produits japonais aussi bien que des japonais mais en Europe, avec la French Touch, de proposer une vision différente avec des produits différents…«
Et là, à ce moment de l’entretien, je comprends que derrière l’homme passionné il y avait aussi quelqu’un d’ultra-motivé, bouillonnant d’énergie : « Au tout départ le constat était qu’on était obligé d’aller chez les américains ou chez les japonais pour aller trouver l’inspiration alors qu’en Europe on est tout à fait capable de bien faire, et ça c’est frustrant.
La finalité c’était de prouver qu’on peut créer en Europe des concepts mortels, comme ce qu’on a fait justement avec Aleksi, ou même avec Reno (Lemaire, NDLR). Ce qu’on a fait avec Aleksi c’est du 100% européen, du dessin d’Aleksi jusqu’à notre production et le résultat est un vrai produit qui défonce, ce n’est ni du franco-belge traditionnel, ni du japonais… Je suis vraiment fier d’être le premier à avoir fait ça, une création qui n’a pas à avoir peur des produits US ou des produits nippons… Et ça c’est cool ! »
Bien sur toute la bonne volonté du monde ne fait pas le travail à votre place, comme convaincre les japonais de leur céder leur licence, surtout quand on est un gaijin : « Comme tout le reste c’était complexe, très complexe. (Rires) En fait il faut faire ses preuves : quand on leur a envoyé Gaara pour validation on a gagné des points parce qu’on était les premiers à faire quelque chose d’aussi poussé. Au fur et à mesure on continue de gagner des points comme ça… Maintenant ça a beaucoup progressé, la toute dernière Naruto (ci-dessous, NDLR) a été validée du premier coup et on a même eu les félicitations… C’était la première fois qu’un produit hors-japon était validé du premier coup.«
Leur toute première figurine Gaara fut aussi l’occasion pour Cyril de définir une ligne artistique avec ses collaborateurs sculpteurs et peintres, comme il le raconte dans cette anecdote : « Je me rappelle du premier prototype de Gaara que j’ai fait, il ne ressemblait pas du tout à la version actuelle. Quand on l’a sorti on était comme des fous, on était tellement content… Mais en fait c’était de la merde ! (Rires)
Bon quand je dis ça je m’entends, mais ce n’était pas bon du tout. On était tellement content qu’on a lancé la peinture. Guillaume Hémery, peintre chez Tsume, était en freelance à l’époque pour m’aider sur les premiers tests… Il m’avait peint une de ces bouses, c’était infâme ! (Rires) Il n’avait rien compris à ce que je lui avais demandé parce qu’il vient de l’univers médiéval fantastique et il m’avait fait un truc super dark, très foncé, sans aucun reflet, avec des aplats… Une catastrophe.
Mais on était fier, on savait qu’on pouvait aller jusqu’au bout du process. C’était énorme ! (Rires)«
Heureusement, avec le temps et de la communication, Tsume arrive au bout de ses premières figurines. Le public répond rapidement présent et les premiers sold out montrent à l’équipe qu’ils sont sur la bonne voie. À l’heure des premiers bilans, les perspectives sont donc plutôt bonnes : « Le bilan est très bon. La première année fut catastrophique parce qu’on était en période de conception. Il faut un an pour pondre une statue. Donc une fois que le process de la première est lancée, on en lance une autre le mois d’après et là encore il faudra un an avant la sortie du produit fini, etc. Tout est donc réalisé en décalé, ça a été compliqué. Mais dès l’année dernière nous avons réussi à être rentables, sur notre dernier bilan, ça a donc été très vite et ça a même impressionné nos banques. Peu de gens y croient au départ mais les sold out sont venus très vite, sur des pièces qui coutent très cher.«
Le succès n’est pas là par hasard, il se construit avec le public. Un public entre 25 et 35 ans, fan d’un série et constitué à 90 % d’hommes, même si certaines figurines correspondent à la clientèle féminine : » Byakuya s’est très bien vendu auprès des femmes par exemple, et Ikki aussi dans une moindre mesure. «
Un public qu’il faut écouter, conseiller et mettre au cœur de leur fonctionnement selon Cyril : « On a donc de bons outils de communications, on est à l’affut, à l’écoute de nos clients et on ne les prend pas pour de la merde. On prend toujours le temps d’être là pour eux, de les renseigner… Le SAV est prioritaire sur tout. On fait tout pour être une vraie boite haut de gamme, comme lorsque tu achètes une voiture chez Audi, pour que tout se passe bien du début à la fin… Je pense que c’est important car les gens suivent le projet, ils ont l’impression d’être dedans et de pouvoir y participer. C’est ça notre point fort.
Les japonais et les américains communiquent très bien mais ils ne laissent pas assez de place pour une implication des clients. Nous on travaille différemment, on communique et on travaille avec eux. Il y a que comme ça que ça peut marcher de toute façon, dans ce milieu-là. Il faut savoir être humble, ne pas se prendre pour des stars… Faut comprendre qu’on ne guérit pas le cancer non plus, on fait des figurines. On est super content de ce qu’on fait, très fier. Mais on ne fait pas de miracle non plus. »
Haut de gamme et licences populaires : la figurine selon Tsume
La particularité de Tsume vient donc à la fois des personnages proposés, des stars du manga, et de la figurine elle-même… Cette fameuse histoire de « haut de gamme« . Un qualificatif si souvent galvaudé que je préfère éclaircir le cas de Tsume, en demandant tout simplement à Cyril ce qu’il entend par là : » Une édition limitée déjà… Une finition à la main aussi. Le haut de gamme c’est packaging de luxe, attestation et numéro de série. Le packaging compte beaucoup et il faut que derrière la figurine soit au top, bien au dessus de ce que l’on peut faire en PVC. [...] On a aussi choisi d’utiliser la résine parce que c’est un produit plus lourd, plus noble, qui fait penser un peu à la pierre. »Dans l’inconscient collectif haut de gamme est également associé à un prix de vente élevé… Et ça aussi il faut l’expliquer, le justifier : « Il (le prix, NDLR) n’était pas compris par le public au départ. Maintenant que les gens ont vu le résultat il n’y a plus ce problème. Maintenant le seul souci c’est plus une question de moyen, de pouvoir ou non acheter ce produit… Les gens ne disent plus que nos figurines ne valent pas leur prix mais juste qu’ils n’ont pas les finances. Ils aimeraient bien l’acquérir si leur compte en banque le leur permettait.«
Cyril et Tsume s’orientent donc vers un artisanat à très forte valeur ajoutée, très différent d’un Good Smile Company par exemple… Mais ça ne m’empêche pas de lui demander de ce qu’il pense de cette société : « J’en pense que Good Smile est un expert de la conception en PVC. L’une des grosses différences d’après moi entre résine et PVC c’est que, en PVC, la difficulté vient de la conception et pas du coté artistique. Le PVC c’est 30,40, 50 pièces découpées en petit morceaux. Si l’usine est bien coachée ça peut aller très vite. La difficulté est dans ingénierie et je ne renie absolument pas le travail que ça demande. J’en fais moi-même donc je sais bien ce que c’est. C’est dur à faire, ça demande beaucoup de temps et beaucoup de personnel. Par contre ce n’est pas comparable avec ce qu’on fait qui tient plus de l’artisanat.
Il n’y a donc aucune comparaison car ce sont des choses très différentes. Je trouve que Good Smile est très fort dans ce qu’ils font même si – et là ce n’est pas l’avis de Tsume mais le mien – je trouve que les choix se ressemblent beaucoup : très souvent des nanas, dans des positions assez similaires… Je sais que ça marche et je ne suis sûrement pas le public visé, mais à titre personnel j’aimerai bien voir un produit complètement différent, qui montre leur talent mais d’une nouvelle manière !«
Ce choix du haut de gamme se situe donc entre exigence et désire de renouveau : « Le haut de gamme… Ça me correspond. C’est un choix personnel je pense… Je veux aller plus loin, tout le temps. Ce n’est même pas une histoire d’argent, c’est surtout que j’ai envie de faire quelque chose que personne n’a jamais fait… Je veux que, en 2015, on soit les meilleurs. Je nous laisse quelques années pour qu’on soit vraiment au-dessus du lot.«
Mais le public manga ne mettra pas plusieurs centaines d’euros sur la statue d’un inconnu, même en finition plaqué or… C’est là qu’interviennent les licences de Tsume. Quoi de mieux que des icones du manga pour porter du haut de gamme ?
La preuve avec Ikki, le mythique chevalier du Phoenix, qui est aujourd’hui la meilleure vente du catalogue : « On a pu écouler 300 exemplaires en un mois et demi alors qu’on n’était pas encore connu, ce n’était que notre second produit. » À l’inverse, la déception vient d’une licence moins forte, celle de Soul Eater, avec la figurine de Makka : « mais ce n’est pas une déception, c’est juste que c’est une licence moins forte. L’impact est donc plus faible. Mais pour moi c’est un coup de cœur, c’est une série que j’aime beaucoup. En plus le design n’est pas un pur design japonais, c’est un intermédiaire avec lequel je voulais marquer les esprits, pour montrer qu’on pouvait changer un peu. C’est un de nos premiers produits et j’en suis fier. Bien sur si je le refaisais maintenant je changerais des choses mais j’en suis content, et on va finir par toutes les vendre de toute façon.«
Il faut donc se tourner vers des blockbusters pour continuer à être libre, tout en se s’endormant pas sur les lauriers apportés par la notoriété colossale des modèles : « il faut quand même que les blockbusters accouchent de quelque chose de bon. Ce que je veux dire c’est que prendre la licence Naruto c’est pas la voie de la facilité pour autant, car on se rajoute plein de contraintes. Comme tu le vois ce qu’on a fait n’est pas vraiment un truc simple ! (Rires)
On veut donc prouver aux gens que si on bosse sur des licences mainstream…Ce n’est pas pour faire du gashapon. »
Enfin, le dernier avantage d’un artisanat de haute-qualité c’est qu’il ne souffre pas de contrefaçon, comme nous le confirme Cyril. D’ailleurs, j’entreprends d’emmener ce fervent combattant de la figurine pirate sur le terrain de la contre-façon à Japan Expo. Dans plusieurs interviews, dont celle réalisée ici pour Paoru, les dirigeants de JE expliquent que leur travail se limite à la dénoncer, car ils ne sont pas spécialistes de la contrefaçon. Je demande alors son avis à notre interlocuteur…
« C’est compliqué… Disons qu’il faudrait embaucher des gens qui sont spécialistes afin de s’occuper de ça. Je pense même qu’il y a des bénévoles qui seraient prêts à le faire et qui pourraient tout à fait s’en charger. C’est complexe à mettre en place d’une part et deuxièmement ce n’est pas leur priorité. Eux ils sont là pour faire du business, c’est leur vision à eux, qu’on soit d’accord ou pas. Moi je sais que si un jour on me met un stand de contrefaçon à coté de moi, je me débrouillerai pour qu’il dégage quitte à mettre des coups de masse dedans…
Mais j’ai réussi à me protéger de tout ça avec l’expérience, car j’ai vu ce que c’était d’être à coté d’un Konci dans un salon et depuis j’ai mis tout ce qu’il fallait de mon coté pour ne plus avoir ce genre de problème. Il faut être malin et il faut que tout le monde combatte la contrefaçon, c’est le seul moyen pour que ça marche. »
Azzar’hi : de la sculpture à la figurine
En rencontrant à la fois Aleksi et Cyril, je ne pouvais pas passer à coté de leur bébé commun : une statue du nom d’Azzar’hi. L’histoire de cette femme mystérieuse commence sous la patte d’Aleksi, lorsqu’il cherche à créer un personnage emblématique de ses 10 ans de carrières, pour la couverture de l’artbook Worlds & Wonders : » je cherchais un personnage qui pouvait résumer l’ensemble de mon travail avec un petit coté Marvel mais aussi de Magic, un petit coté horrifique mais très peu, une petite dimension SF mais aussi Fantasy et que le tout soit séduisant… Une petite nénette ça ne gâche rien. » (Rires)
Si c’est Aleksi qui fait naitre la créature c’est Cyril qui a lancé l’idée de la collaboration, comme l’explique Aleksi : « C’est Cyril Marchiol, le gérant et fondateur de la boite, qui m’a contacté via Facebook pour me proposer une collaboration et déjà d’en discuter. On s’est rencontré pour de vrai lors d’un salon en Belgique où on a pu en parler. J’y avais un peu réfléchi et je me disais « pourquoi pas », ça m’attirait.
Puis on s’est revu sur Paris pour un diner pour qu’on en discute plus en détail et j’ai ressorti un personnage que j’avais créé, avec mon propre cahier des charges, pour la couverture de Worlds & Wonders. L’artbook avait pas mal tourné et s’était bien vendu, il y avait un très beau suivi de la part de la presse donc c’était intéressant de jouer avec une image qui avait déjà une certaine notoriété, qui pourrait créer chez certaines personnes – des fans – un minimum de répondant et elle ne venait pas de nulle part.«
Les deux hommes tombent d’accord, le projet se lance et Aleksi aussi, en laissant libre cours à un mix assez impressionnant d’imagination prolifique et de sens extrêmement pointu du détail : « Au tout début j’ai développé une petite bible graphique. Elle n’a jamais été vraiment achevée mais elle donnait toutes les bases et me permettait de rendre tout ça concret. J’y évoquais le sujet, le personnage, un peu de son background, il y avait même une partie consacrée au logo type que j’ai retravaillé après avec ce que je voulais y mettre, le choix de la typographie… Plein de micro-détails. J’y ai également mis mes intentions dans ce qu’il restait à faire, en termes de dynamisme par exemple. J’ai alors recherché pas mal de références pour établir une « feuille d’influence » comme on dit dans le milieu de la mode. J’ai aussi évoqué la touche pour savoir si on allait faire quelque chose de très lisse, plutôt rugueux, savoir si on allait faire quelque chose d’assez balancé ou plutôt travaillé, la peinture, un ex-libris à sortir à coté, etc.
J’aimerais bien justement faire un petit livret en bonus avec la statue, un truc collector avec les croquis initiaux et les différentes phases pour apporter un petit plus dans le package. »
C’est à peu près à ce moment là qu’Aleksi commence à rentrer en contact avec un autre Cyril : Cyril Farudga, sculpteur chez Tsume. J’aime assez comment ce dernier résume, dans une interview à Figure Maniax, sa collaboration avec Aleksi sur cette statue : « Alors là, avec Aleksi Briclot, c’est le pied !«
Un ressenti très positif, donc, qui est également palpable dans la bouche d’Alexis lorsqu’il nous parle en détail du processus : « Au départ je pensais qu’on allait travailler la figurine de manière traditionnelle directement dans une pose, elle serait figée dès le début. Mais en réalité le travail qu’on a fait s’apparente plus à celui que je connais en jeu vidéo : on travaille d’abord sur le personnage lui-même, son anatomie, son armure et ses accessoires…
On a travaillé chacun de notre coté en communiquant très régulièrement. Par exemple Cyril me disait « j’ai un problème sur le torse avec les accroches sur les côtés on ne les voit pas sur ton dessin, est-ce que tu pourrais me faire un croquis pour voir comment elles sont mises » ou « comment tu vois les motifs sur l’armure », etc. Ensuite à différentes étapes on s’est fait des sessions de travail par écrans interposés, des sessions d’une ou deux heures ou parfois plus, où il me montrait le modèle en 3D en le faisant tourner et moi je réagissais en donnant des commentaires ou des suggestions et lui en tenait compte pour retravailler directement le modèle 3D. Par moment je faisais des imprim’ écran de ce qu’il faisait, je le passais sous Photoshop pour faire des retouches puis on s’échangeait la main sur l’écran de partage et je lui montrais à mon tour un dessin avec des annotations pour lui montrer une ligne de force ou un autre détail…
C’était un travail super plaisant parce qu’en travail itératif on peut voir la sculpture évoluer à chaque fois et il y a une bonne qualité de dialogue et un échange artistique vraiment cool.«
Ce projet a demandé plusieurs mois de travail et le prototype que nous avons pu découvrir sur le stand Tsume à Japan Expo évoluera sans doute encore un peu et demande encore, mine de rien, à être peint. Mais, même là, l’histoire d’Azzar’hi ne sera pas totalement finie, comme nous l’avoue Aleksi lorsque nous évoquons les origines du nom de sa création : « C’est un peu de l’impro… Qui mélange quelques idées et les consonances qui vont avec. En fait ce personnage a connu plein de choses. À l’époque où je l’ai réalisé pour la couverture de Worlds & Wonders, une éditrice m’a soumis l’idée d’en faire une histoire à part entière et j’ai voulu l’ancrer dans le réel, que son histoire soit crédible et non pas celle d’un monstre de l’espace lambda où un truc du genre.
Ça prend forme petit à petit et peut-être que dans deux ou trois ans ce sera quelque chose qui aura pris vie… Encore faut-il trouver le temps«
Dompter le temps… C’est sans doute ça son plus grand défi. Parce que pour le reste, je ne vois pas vraiment ce qui peut l’arrêter !
Pour Cyril le futur se tourne également vers les figurines Next gen, une série de figurines qui va pouvoir profiter de toute l’expérience déjà accumulé sur les premières statues : « Next gen ça veut dire qu’on prend tout ce qu’on a déjà fait et on met tout ce qu’on a fait de mauvais à la poubelle… Et on change tout. Il faut un an pour qu’un produit aille du début à la fin. Du coup on n’a le recul des quatre ou cinq premiers produits que depuis peu de temps et on va enfin pouvoir l’utiliser dans cette nouvelle génération. On a passé un cap.«
Concrètement, les nouvelles statues comme celles de Naruto, Eyeshield 21 et celle d’Aleksi Briclot bénéficient déjà de ce recul : « elles possèdent plus de détails, plus de risques, plus de personnages sur le socle, plus… En fait le mot c’est « plus », on va plus loin.«
Pour finir et avant d’aller chasser sur les marchés américains puis japonais à l’horizon 2013, Cyril tenait à remercier ceux qui sont déjà là et qui soutiennent Tsume avec un petit message de fin : « Merci de nous suivre, de venir à Japan Expo nous voir, de partager tout ça avec nous, merci d’être fiers d’avoir des produits Tsume chez vous… C’est pour vous qu’on fait tout ça, pour de vrai. Le plaisir de montrer un produit quand on enlève la cloche c’est juste énorme. On bosse comme des fous pour ça, 15h par jour sans aucun jour de repos depuis des mois… Je suis complètement vanné ! (Rires exténués)
Mais ça vaut vraiment le coup. Les projets avec Aleksi et Reno ce sont des vrais rêves qui se réalisent et ce que je prépare en ce moment pour les prochains mois c’est tout aussi génial ! »
Un grand merci à Aleksi Briclot pour son temps, sa simplicité et son envie toujours intacte de croquer dans l’art sous toute cette forme. Un aussi grand merci à Cyril Marchiol, pour son temps et une détermination à toute épreuve. Merci enfin à Sebastien Agogué pour la mise en place de l’interview
Bonus : Les photos du stand Tsume à Japan Expo 2012 !
Japan Expo : compte-rendus et interviews pour tous les goûts !
Compte-rendu global : un chocobo à JE !
L’intégrale de Naoki Urasawa @ Japan Expo
Virgo aka Hammer : u can’t touch this interview !
Man With A Mission : le photo & vidéo report
Conférence Sunrise
FLOW @ Japan Expo 13 : le flow-rilège des rencontres
Tsume & Aleksi Briclot : challenges et figurines !