Quand je m’embarque sur un cycle de romans – généralement des polars – comportant un personnage récurrent, je me prends à l’imaginer sous les traits d’un acteur que j’aimerais bien voir incarner son personnage. Dans le cas du héros des romans de Philip Kerr, comme aucune adaptation cinématographique n’a encore paru – je gage que la reconstitution du décor de l’Allemagne nazie serait très onéreuse – j’ai du mal à me figurer ce héros cynique, drôle, désabusé, charmeur, casse-cou …
Bernhard Gunther est un personnage fascinant : certains commentateurs ont dit de lui que c'était en fait l'alter ego de Philip Kerr (ici à droite), son auteur.. . qui pourtant ne lui ressemble pas du tout physiquement. Car Bernie est grand : 1,85 m, ce qui est beaucoup pour l’époque, chausse du 44, a tout du grand aryen blond en faveur chez les nazis. Mais ce serait une grave erreur de le confondre moralement avec cet archétype. Au fil des romans de Philip Kerr, nous apprenons qu’il a été marié à une Juive et que l’une de ses grands-mères l’était. De quoi lui faire avoir bien des ennuis dans le Berlin des années d’après 1933.
Il a fait la grande guerre, participé à la bataille de la Somme, a été versé dans la SS sans l'avoir sollicité, n'a jamais adhéré au NSDAP, pratique la boxe, ne supporte pas l’injustice et a un talent fou pour se mettre dans des situations complètement sans issue. On se demande comment il traverse les nombreux passages à tabac – il faut dire qu’il fume tout le temps, comme tout un chacun à cette époque, et qu’il a la « descente facile » pour le schnaps ou tout autre sorte d’alcool - qu’il subit, et le nombre de fois où son intelligence lui permet de retourner la situation en sa faveur au moment ultime où un canon de révolver lui est braqué sur la tempe.
Cynique, libre penseur, nostalgique de la République de Weimar et de la qualité de la police berlinoise d’avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir, tout ça n'est pas toléré dans une Allemagne en voie de nazification totale, Bernie Gunther a un sens de l'humour et de la métaphore étonnant. Depuis la Trilogie, on sait que l'ex-brillant commissaire à la Criminelle a quitté la police de Berlin au moment où les nazis déclenchaient, dès leur arrivée, ce que Kerr décrit comme «une opération d'épuration et de noyautage de la police de Berlin, qui avait à l'époque une réputation tout aussi solide que celle de Scotland Yard».
Bernie est aussi un séducteur invétéré. Deux fois veuf (sa seconde femme est morte d'une bien étrange grippe), et même près de la cinquantaine, il continue à séduire de très belles femmes qui ne résistent pas à son charme caustique et à son esprit chevaleresque.
Polyglotte enfin : de ses séjours dans les camps soviétiques, il a appris le russe, parle anglais et aussi très bien l’espagnol, ce qui lui est utile lors de son exil forcé en Argentine … Une seule ombre à ce tableau : Bernie méprise fortement les Français. Qu’en pense Philip Kerr ?
Philip Kerr a pris l'habitude de nous raconter les aventures de Gunther par bribes, en dépit des repères chronologiques. On a rencontré Gunther à Berlin, puis on l'a vu s'installer à Munich et ensuite à Vienne ; on l'a même suivi jusqu'en Argentine au temps des Perón, sur les traces de Mengele et de tous les autres nazis fugitifs.
Je suis en train de terminer une de ses aventures située en 1934, donc juste avant le premier opus de "La trilogie berlinoise". Et je vais être encore plus attentive à la sortie des prochaines traductions car le romancier écossais qui m’aura accompagné pendant tout cet été vient juste de terminer une nouvelle aventure de Gunther du temps qu'il était chez les SS, qu'il y en aura bientôt une autre située cette fois à Prague, du temps de la guerre froide, et probablement un neuvième livre pour clore définitivement le cycle, sans doute en 2013...
Quel programme, et quel plaisir de lecture en perspective!
Bon, décidément, j’ai trouvé un personnage à qui pourrait ressembler Bernie Gunther : Albert Camus, avec la cigarette toujours vissée à la bouche. Pourquoi pas un prix Nobel ?