Si le cinéma est à la base un art du passé, Davy Chou double la mise en exhumant un cinéma lui-même passé, enfoui, perdu. Le documentaire fait habilement dialoguer ces deux absences : celle des créatures (les êtres extraordinaires peuplant les films en question) et celle des créateurs (les réalisateurs et les acteurs, disparus ou non). La dimension ludique de ce dialogue n'est pas ignorée, par exemple lorsque l'un des cinéastes explique l'histoire de son film, mimant l'action par les gestes les plus improbables (la réalisation n'est pas en reste, le faisant disparaître et réapparaître à l'écran).
Le grand mérite du documentaire est de faire de ces témoins des personnages. C'est-à-dire à la fois des acteurs ayant un rôle le récit et des figures qui, le temps du film, redeviennent mythiques. Il y a une vraie tendresse dans le regard du documentariste, qui soigne pour tous les intervenants une présentation très graphique, rendant à chacun une forme d'aura. Mais le film fait aussi la part entre ce qui peut être sauvé et ce qui est perdu à jamais. D'un côté, un film projeté sur le mur en brique d'un ancien cinéma, sous le regard curieux des familles qui habitent là désormais. De l'autre, l'un des plus beaux témoignages du film : un cinéaste en exil retrouve l'amour de sa vie, mais celle-ci à changé - elle s'est mise à fumer, s'est occidentalisée, a rencontré quelqu'un d'autre - et sa passion n'a plus de raison d'être. Quand le documentaire arrive à ce niveau de mélancolie, on se dit que, s'il était impossible de rendre aux cambodgiens leur cinéma, Davy Chou aura réussi à formuler leur nostalgie.