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"(... J'ai débarqué une première fois de la vie sans que quiconque s'en aperçoive . Sur les raisons, prélude à cette situation impromptue, nul besoin de s'étendre. Une seule question valait d'être posée: qu'avais-je seulement vu, à ce moment-là, qui ne s'était pas révélé à mes yeux? Sachant que l'émotion emporte souvent dans son tournis la part aveugle de l'image, au final la plus importante. Je raconterai donc: le jour se levait par la fenêtre est de la maison quand les deux hommes en civil ont pénétré chez nous, le visage trop grave pour ne pas trahir leur malaise, presque en état de faute lorsqu'ils ont, après un bref échange, passé les menottes à mon père. Je n'avais rien entendu de ce qu'ils s'étaient dit. en repartant, ils avaient pris soin de le pousser devant eux. Je me souviens des restes d'un vent de noroit s'engouffrant dans le vestibule, qui avait obligé ma mère à vite refermer la porte. Du seuil de ma chambre, j'avais suivi l'action sans un battement de coeur, sans dérobade physique, rien sur quoi mettre un mot, une larme. Longtemps après, je m'étais fait la réflexion que le désarroi devait ressembler à une absence de cette sorte. L'unique manifestation vitale, palpable, d'une intensité quasi physique, avait été la présence de la lumière du matin avec son curieux mélange d'énergie et d'épuisement. C'est elle qui en définitive, avait déclenché l'émotion. Je n'avais su si j'allais me perdre dans son éclat mais l'idée d'une sorte d'aboutissement, de fin de parcours -alors que j'avais l'âge du contraire-, s'imposa.
A peine avais-je éprouvé une sorte de glissade intime, donnant l'impression de traverser le flot de lumière sans que mes yeux ne s'obscurcissent une seule seconde. Le passage accompli, je m'étais réveillé doué d'égarement. Une partie de moi laissée dans une existence précédente dont je n'avais pas une conscience suffisamment aiguë pour qu'elle se transforme en mémoire franche. Peut-être me restait-il du corps héroïque de mon père la violence issue d'une guerre mondiale passée dans les maquis. De ma mère, un regard d'automne déjà enclin à la Pensée. Et par-ci par-là, quelques airs dur un tourne-disque : des musiques militaires et des cha-cha-cha d'époque. Déjà, rien qui n'allait avec rien. Il n'y eut, d'un coup, plus de promesse d'origine, de parole certaine de son fait, redevable d'un territoire affectif. Avait-il vraiment existé d'ailleurs? Peu importait, puisque le délit obscur- ainsi fut-il vécu- me libéra de toutes sortes de lien: de l'obéissance, d'une certaine inquiétude à regagner chaque soir la maison, d'une geste masculine à endosser, de l'apprentissage d'une langue difficile, déjà, à installer dans des phrases. Inculpé par filiation, je découvris la rumeur et la mise à l'index, sans les mots pour me défendre. Il convint alors d'entrer en nudité et la lumière de ce matin-là, si côtière, si métallique, fit son travail. Ainsi ma vie - et je n'en étais qu'au début - allaiut-elle dorénavant se jouer dans une géographie ténue, un état portuaire de l'ordre de la suspension que je me devais d'occuper, à charge d'inventaire. Une chose était d'ores et déjà certaine: mes prochains s'annonçaient ...)"
-extrait de: "Un coeur portuaire" de Jean-Luc Marty éditions Julliard-
source: Toile
"Inclassable ! Mais pourquoi faudrait-il tout classer ? Ne relevant ni du reportage ni du récit de voyage, la métaphysique de Jean-Luc Marty s’avoue « foraine ». Il rôde sur un fil dont lui seul connaît les multiples points de rupture, l’exacte tension. « Ce qu’il aime et ce qui l’envoûte, écrit Gilles Lapouge dans sa préface, ce sont les navires marchands fatigués et remplis à ras bord de mémoires. » De fait… Du vent, des vagues, du ciel, de l’horizon ; le bleu piqué d’un bois de chalutier, l’eau stagnante d’un khlong de Bangkok ; des tempêtes açoriennes et des plages andalouses ; les descentes de Santiago de Cuba ; le tremblé du monde, son temps fragile ; le son obscur du tambour, les sirènes policières, le sifflement des balles aux Orients… Au carrefour de lointains réunis par la grâce de corps et d’esprits divers, Marty tente de deviner « la tripe du paysage ». Une esquisse d’autobiographie poétique, « et tout cela aux heures portuaires lorsque les équipages descendent les échelles de coupée, insensibles au rassemblement des chats »."
Maurice Lemoine source: Le Monde diplomatique-
source: Toile
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