L'été photographique de Lectoure (qui vient de se terminer) a été l'occasion, entre autres, de voir, dans cette charmante ville du Gers, l'oeuvre photographique d'Arnold Odermatt, et d'en débattre. Le policier du canton de Nidwald (en Suisse centrale, là où les femmes ne votaient pas il y a 40 ans...) a, pendant des années, à côté de ses photos policières officielles (dont hélas aucune ne subsiste, après la destruction des dossiers de la police suite au scandale des fiches) pris des photographies de carambolages après l'accident, soigneusement cadrées et composées, parfois naïves, parfois poétiques, mais toujours remarquablement construites. Celle ci-dessus, d'une Volkswagen tombée dans le lac des Quatre-Cantons, évoque une ruine romantique, avec brume et saule mélancolique.
Une des séries les plus frappantes sur le plan esthétique, quasi surréaliste, résulte d'un incendie qui fit fondre les phares d'un grand nombre de voitures dans un garage : cette collection de plastique coloré, fondu, dégoulinant, oscille entre le dégoût pour ces déchets sales et la fascination pour ces baisers inquiétants.
Arnold Odermatt réalise des photographies pour promouvoir la prévention routière et pour inciter les jeunes gens à rejoindre la police cantonale : délicieusement kitsch, décalées (on pense à Tati), ce sont des mises en scène soigneusement étudiées, combinant la nécessaire rigueur de leur fonction objective avec l'ironie bonhomme du photographe.
Ces photographies s'inscrivent, l'air de rien, dans une tradition esthétique implicite (mais non revendiquée). C'est sans doute ce qui séduisit Harald Szeemann quand il présenta Odermatt à Venise, après que son fils Urs ait, le premier, découvert et montré son travail (et réalisé un film dont le personnage central est un policier photographe). Par exemple, dans cette photographie de deux policiers en bateau sur le lac, le rétroviseur livre l'image de l'auteur, miroir dévoilant l'artiste, révélation de la mise à distance. Toutes ses photographies sont travaillées, éclairées, cadrées avec le plus grand soin. Dans le très intéressant colloque qui s'ensuivit, où on tenta de cerner le concept de photographe non-homologué (plutôt que 'brut' ou 'outsider'), je proposais en guise de boutade, de distinguer le gendarme Odermatt, rigoureux perfectionniste, et le voleur Tichý, adepte du désordre, du chaos et de la photo mal faite, tous deux en marge du monde de l'art, et tous deux révélés par Szeemann.