Au lieu-dit Noir-Etang… de Thomas H. COOK

Par Lecturissime

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 "Puisque nos passions ne durent pas éternellement, notre véritable épreuve est de leur survivre." (p. 20)

L’auteur :

Né en 1947, Thomas H. Cook a été professeur d'histoire et secrétaire de rédaction au magazine Atlanta. Il vit à New York et au cap Cod.

Avant d'être publié au Seuil, il a été traduit d'abord chez L'Archipel (2 titres) et Gallimard (8 titres en Série Noire). Un prestigieux Edgar Award a récompensé Au lieu-dit Noir-Étangen 1996 aux États-Unis , et Les Feuilles mortes (Folio policier) a reçu le Barry Award en 2006.

L’histoire :

Août 1926. Chatham, Nouvelle-Angleterre : son église, son port de pêche et son école de garçons fondée par Arthur Griswald qui la dirige avec probité. L’arrivée à Chatham School de la belle Mlle Channing, prof d’arts plastiques, paraît anodine en soi, mais un an plus tard, dans cette petite ville paisible, il y aura eu plusieurs morts.

Henry, le fils adolescent de Griswald, est vite fasciné par celle qui l’encourage à « vivre ses passions jusqu’au bout ». L’idéal de vie droite et conventionnelle que prône son père lui semble désormais un carcan. Complice muet et narrateur peu fiable, il assiste à la naissance d’un amour tragique entre Mlle Channing et son voisin M. Reed, professeur de lettres et père de famille. Il voit en eux « des versions modernes de Catherine et de Heathcliff ». Mais l’adultère est mal vu à l’époque, et après le drame qui entraine la chute de Chatham School, le lecteur ne peut que se demander, tout comme le procureur : « Que s’est-il réellement passé au Noir-Étang ce jour-là ? » (Quatrième de couverture)

Ce que j’ai aimé :

Par une triste journée d'hiver, Henry Griswald, notaire solitaire vieillissant, se souvient de ses quinze ans et du drame qui a bouleversé son adolescence et par ricochet son existence.  Petit à petit les souvenirs refont surface éclairé par le recul des années. Henry était à l'époque un adolescent épris d'évasion, rêvant de s'abstraire du carcan paternel et de l'école de garçons fondée par son père. En rencontrant Mlle Channing, professeure recrutée par son père, Henry va voir en elle l'incarnation de ses idées romantiques sur le liberté et les sentiments. Il fera sienne la devise de la jeune femme : "La vie ne vaut d'être vécue qu'au bord de la folie".

 

Henry adolescent va vivre le drame à son niveau, en prouvant là que toute interprétation des faits reste définitivement subjective, qu'il est impossible d’avoir une main mise sur les sentiments ou la réalité des faits. 

Son récit, ses actions, ses points de vue seront teintés de sa personnalité et de ses idées romantiques, sans le recul nécessaire, si bien que, comme d'autres dans le récit, il pourra faire des erreurs et mal interpréter certaines paroles, certains gestes...

Le seul personnage qui ne juge pas et ne se permet pas d'interpréter  est le père du narrateur, vu comme un être froid conventionnel mais finalement peut-être le plus humain du récit. Il sera un des seuls à considérer la belle Mademoiselle Channing avec bienveillance et tolérance :

"La vie est mal faite, Henry, reprit-il, me scrutant d'un air très solennel. Parfois, le mieux que nous pouvons donner, ou recevoir, c'est la confiance. (...) Avec les années, à mesure qu'il vieillissait et que moi-même j'avançais en âge, j'en vins à comprendre ce qu'il avait voulu dire : que la convoitise est le propre de l'homme et la loyauté le baume dont il use pour apaiser ses frustrations." (p. 253)

La question du mal est au coeur des romans de Thomas H. Cook et son talent de romancier manipulateur permet de mettre en lumière l'hermétisme du monde et des hommes difficilement appréhendables et compréhensibles.

"Aujourd'hui, quand je repense à cette période de ma vie, à ce que je ressentais à l'époque, l'inévitable m'apparaît comme n'étant ni plus ni moins que le fruit des hasards." (p. 253)

Seul celui qui raconte est maître du destin des personnages, seul l'auteur sait ce qui s'est réellement passé au Noir-Etang ce jour-là...

Ce que j’ai moins aimé :

- Le narrateur âgé raconte cet épisode tragique d'août 1926, drame dont il connaît l'issue. Thomas H. Cook use et abuse à mon sens des allusions au dénouement, ponctuant son récit de phrases sensées alimenter le suspens : 

"Je sais tout cela formellement, car ce fut ce qu'elle-même déclara par une torride journée d'été, presque un an après, devant une foule qui tanguait, fébrile, les gens tendant le cou de droite à gauche pour mieux la voir, redressant la tête tout en pestant, parlant d emort, de suicide, de meurtre, la suivant des yeux avec une fascination morbide tandis qu'elle s'avançait dans la salle et prenait place dans le box des témoins." (p. 36)

"En tous cas, jamais je n'aurais pu me douter que, dans les années qui allaient suivre, je regarderais très souvent la plaque de Me Parsons, et entendrais sa voix tonitruante crier depuis le passé : C'est vous, Mademoiselle Channing, vous et vous seule qui êtes la cause de tout." (p. 36)

"De l'endroit où nous nous trouvions, Mlle Channing avait vue sur toute la grand-rue, depuis l'église, où l'autocar l'avait déposée à son arrivée, jusqu'au tribunal, où, plus tard, elle comparaîtrait en justice aux cris de la foule au-dehors : Meurtrière ! Meurtrière !" (p. 44)

Le procédé des prolepses trop utilisé est lassant au début du roman, le lecteur attend inlassablement de plonger de plain pied dans cette histoire, mais l'auteur le retient sans cesse en restant à la lisière du drame.

- Le sujet choisi par l'auteur est somme toute assez banal, et rien de bien nouveau ne ressort de ce roman : lutter contre ses passions est chose difficile et pourtant les désirs peuvent être destructeurs... Oui, bon...  

Premières phrases :

« Mon père avait une phrase préférée. Il l'avait empruntée à Milton, et aimait la citer aux garçons de Chatham School. Planté devant eux le jour de la rentrée des classes, les mains bien enfoncées dans les poches de son pantalon, il ménageait un silence, leur faisant face, l'air grave. "Prenez garde à vos actes, déclamait-il alors, car le mal contre lui-même se retourne." Il ne pouvait imaginer à quel point la suite des évènements le contredirait, ni à quel point j'en aurais éminemment conscience. »

 

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Au lieu-dit Noir-Etang…, Thomas H. Cook, traduit de l’anglais (EU) par Philippe Loubat-Delranc, Seuil, janvier 2012, 368 p., 19.80 euros