[feuilleton] « Jours naturels, cahier CIII », de Bernard Collin 3/15

Par Florence Trocmé

Paralysie de l’esprit, vous vous êtes mis dans une position, coin ou loin contre le bras du canapé, qui vous empêche d’écrire, ainsi impossible de lire, d’écrire et paralysie de l’esprit qui fait que le malade ne s’arrête pas d’avancer, de tourner, coincé, ou plutôt le bras soulevé à cause, votre bras celui qui écrit tenu en l’air à cause du bras figuré qui est trop haut, et obligation de tenir le coude levé, pas de contresens, il n’a rien bu de la journée de carême, donc lever le coude empêche de le poser nulle part et la main suspendue, ce serait plus facile si vous posiez la main sur le cahier, mais alors changer de place, et il dit que non, sa place est ici, nous sommes assis sur le canapé devant la fenêtre ou ma fenêtre est dans leur dos, il est important de se tenir immobiles ou à l’arrêt à cette heure-ci, et vous trouvez convenable de parler de votre installation, de la difficulté de trouver sa place, pas du tout, je vous dis que la place de celui-là en ce moment est ici où nous sommes, la notre place matrimoniale, la siamoise dormant, le siamois gribouillant, vous croyez qu’il faut mettre un i devant les deux l, comme vous écrivez bouillir, pareil, ne peut pas se lever, paralysie de l’orthographe aussi, il suffit d’un léger empêchement, de la plus légère contrainte, on vous attache un bras ou une jambe, et l’ignorance vous gagne, et le voilà enfoncé dans l’eau noire, et le peu de lumière, ou l’éloignement de l’ampoule, vous n’y êtes plus du tout, et faire une page, on lui demande le nombre de signes, il faut compter les blancs aussi, vous avez dit deux mille ou vingt mille, je vous rappellerai, vous ne croyez pas que c’est indécent pour vous à votre place de parler d’un dérangement ici. 
épisodes précédents : 1 (avec présentation du feuilleton), 2 
prochain épisode lundi 3 septembre 2012