Le coup de Hollande en Syrie.

Publié le 31 août 2012 par Juan
Mardi, François Hollande a livré son premier discours aux ambassadeurs depuis qu'il a été élu. Ces discours posent les principes de l'action diplomatique pour l'année à venir. La démarche est importante. C'était la XXème conférence du genre. C'est devenu « un rite, une tradition, un rendez-vous. »
Du temps de Sarkozy, on s'y régalait de ses formules à l'emporte-pièces. Cette fois-ci, on s'attendait à de la continuité.
Mais il y eut une surprise.
Rupture ?
En Sarkofrance, ce moment était chéri. Sarkozy s'agitait derrière l'estrade, livrant ses leçons, délivrant des oukazes, répétant ses messages d'un exercice à l'autre. En cinq années, l'Iran fut menacée de guerre... cinq fois. En 2007, il critiqua l'intervention américaine en Irak (après avoir dit le contraire pendant la campagne), et menacé la Turquie qui voulait négocier son entrée dans l'Union Européenne. En 2008, il voulait se féliciter de sa négociation de la crise géorgienne, mais il venait d'être désavoué par ses amis Poutine et Medvedev: la Russie avait reconnu l'indépendance des deux anciennes provinces géorgiennes. En 2009, il joua au taurillon contre l'Iran, qui détenait pourtant une otage française. En 2010, il était furieux contre le terrorisme, toujours en guerre (psychologique) contre l'Iran à qui il proposait quand même le nucléaire civil. En 2011, il était satisfait de sa guerre en Libye - Kadhafi n'avait pas encore été capturé ni le pays totalement libéré. Il loua le printemps arabe mais fit silence sur l'attitude française en Tunisie, en Egypte ou à Barheïn.
Bref, en cinq années, l'agitation diplomatique de Nicolas Sarkozy s'incarnait rituellement dans cette  Conférence des ambassadeurs.
Avec François Hollande, qu'est-il  ?
Evidemment, c'est moins agité.  A droite, on dit même que c'est trop calme. Il y a des points communs avec Nicolas Sarkozy, qui lui-même entretenait des similitudes avec Jacques Chirac: l'élargissement du Conseil de sécurité à de nouveaux membres permanents et à à de nouveaux enjeux « comme celui du défi écologique »; une meilleure gouvernance mondiale y compris une réforme du G20;  la mis en œuvre des règles prudentielles décidées en 2008, la lutte contre les paradis fiscaux, la lutte contre la prolifération nucléaire, le renforcement des coopérations militaires européennes (notamment avec le Royaume Uni) ou les inquiétudes à l'encontre du programme nucléaire iranien.

Un monde désespérant

Hollande rappelle des évidences, le monde est instable. Depuis la disparition de l'URSS et surtout le 11 septembre 2011, le constat s'est imposé à tous. Il pointe, sans emphase, sur les dangers et les nouvelles menaces: « le terrorisme qui a même gagné d'autres terrains comme en Afrique, la drogue qui devient le fléau majeur de la décennie à venir, les grandes pandémies qui se propagent en ignorant les frontières, le détournement des nouvelles technologies de l'information qui peuvent donner le meilleur, mais aussi le pire par rapport aux libertés individuelles
Le monde est instable, et la liste est longue: instabilité économique et financière mondiale, régulation internationale insuffisantes face aux excès de la finance, ralentissement de la croissance, menaces protectionnistes, volatilité incontrôlée des cours des matières premières, manipulations géopolitiques du prix des carburants, chute du pouvoir d'achat des ménages, incertitude environnementale et climatique, attaques contre la biodiversité, risque de la prolifération nucléaire, permanence des conflits comme au Proche-Orient.
Tout juste Hollande souligne-t-il quelques raisons d'espérer: « il y a la vitalité des peuples, leur aspiration démocratique, les exigences d'une bonne gouvernance et la capacité d'innovation que trouvent toujours les êtres humains ». C'est mince...
Nouveauté ?
Pour « déterminer la place de la France », le président évoque... l'identité nationale. Oui, tout à fait, celle-là même que l'ancien monarque aimait tant à revendiquer à tout bout de champ. Mais Hollande usait d'une autre formulation. La démarche était habile. Hollande chipait les concepts de l'adversaire, pour les replacer à sa sauce.
« Je partirai de ce qui fait notre identité historique, géographique, politique, celle qui nous permet d'être écoutés, attendus, espérés et surtout utiles. Je partirai donc de nos valeurs universelles, dont la France a éclairé le monde et qui doivent continuer à déterminer son action internationale. Ces valeurs sont celles des droits de l'Homme, de la démocratie, de la justice internationale, de la laïcité, de l'égalité entre les femmes et les hommes.
(...)
La France est un pont entre les nations, y compris les émergentes, entre le Nord et le Sud, entre l'Orient et l'Occident. Notre pays est un acteur et un médiateur du dialogue entre les civilisations. »
Hollande revendique aussi « la promotion de la langue, de la création française ».La ministre Yasmina Benguigui, présente dans la salle, est heureuse.
Le Hollandisme diplomatique repose sur la concertation, le droit, le dialogue. Au passage, Hollande tacle, à nouveau, les quelques critiques de l'été qui l'enjoignaient d'intervenir en Syrie: « Nous nous inscrivons dans la légalité internationale et je confirme ici que notre pays ne participe à des opérations de maintien de la paix ou de protection des populations qu'en vertu d'un mandat et donc d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.»
Hollande reste atlantiste. Mélenchon aime Chavez, Hollande se soucie de ses convergences avec Obama. Il ne sortira pas la France du commandement intégré de l'Alliance Atlantique; mais il en a demandé un bilan à l'ancien socialiste Hubert Védrine, par rapport « à nos objectifs et à l'Europe de la défense. » Védrine est trop atlantiste pur contester la décision sarkozyenne.
C'est quoi, la France dans le Monde ?
En Méditerranée, Hollande ose rappeler que si la France « porte depuis longtemps une ambition » , elle « ne manquera jamais de rappeler que le respect de l'opposition, la liberté de la presse, les droits des minorités, la capacité pour chacun de participer à la vie publique, quelles que soient ses opinions politiques ou religieuses, sont pour la France autant de principes essentiels. » Peut-on espérer qu'il a répété ce message aux rares autocrates rencontrés cet été ?
Idée plus concrète que l'ancienne Union pour la Méditerranée qui porta jusqu'à Bachar el Assad sur nos Champs Elysées, la « Méditerranée de projets » aura son délégué interministériel à la Méditerranée pour y travailler. Avec l'Afrique, il veut « établir une nouvelle donne ». Le discours de Dakar est bien loin, la Françafrique sera-t-elle abandonnée ? Il l'a promis: « notre politique doit être différente du passé. Elle doit être fondée sur la transparence dans nos relations commerciales et économiques. Elle doit être fondée sur la vigilance dans l'application des règles démocratiques et le respect aussi des choix souverains. » Il a confirmé sa visite au Sommet de la Francophonie à Kinshasa. En République démocratique du Congo, il a promis d'y rappeler les droits de l"homme.
Hollande évoqua le besoin de réciprocité des relations avec la Chine, le développement de l'Inde ou du Brésil et, au passage, le traité budgétaire européen, et l'intégration européenne qu'il qualifie de « solidaire ».
Le coup
Mais la vraie nouvelle, la véritable annonce concernait la Syrie, la seconde urgence du moment: la France ne reconnaissait plus le gouvernement Assad. Et Hollande marque un coup.
Le principe est simple : Bachar EL-ASSAD doit partir. Il n'y a pas de solution politique avec lui. Il constitue une menace, il continue avec une violence inouïe à massacrer la population, à détruire les villes et à provoquer la mort de femmes et d'enfants, nous en avons encore la preuve ces derniers jours. C'est insupportable pour la conscience humaine, inacceptable pour la sécurité et la stabilité de la région. La Cour pénale internationale devrait être saisie pour que les responsables de ces ignominies puissent être un jour jugés.
Ces belles paroles, de plus en plus dures au fil des mois à l'encontre d'un gouvernement syrien devenu l'ennemi public numéro un de la diplomatie occidentale, ne changent rien à la situation locale, sauf à accroître la pression. Hollande le reconnaît: « nous devons surmonter des obstacles au Conseil de sécurité ». Et sans attendre que la Russie et la Chine abandonne le boucher Assad, Hollande lâche sa bombe:
« La France demande à l'opposition syrienne de constituer un gouvernement provisoire, inclusif et représentatif, qui puisse devenir le représentant légitime de la nouvelle Syrie. Nous engageons nos partenaires arabes à accélérer cette démarche et la France reconnaîtra le gouvernement provisoire de la nouvelle Syrie dès lors qu'il aura été formé.»
Il est rarissime que notre pays désavoue la légitimité d'un gouvernement en place sans attendre une alternance politique. Cette déclaration signifie un abandon total et sans retour du dictateur Assad.
Seconde annonce, le soutien « matériel » à l'opposition:
« Ensuite et sans attendre, nous apportons un soutien appuyé à ceux qui œuvrent sur le terrain pour une Syrie libre, démocratique et garantissant la sécurité de toutes ses communautés. Nous aidons notamment ceux qui organisent les zones libérées sur les territoires syriens.»
A l'étranger, le WallStreet Journal n'en revient pas.  Dans un article titré: « leader du monde libre: le Président français dirige le front contre la Syrie », le journal commente:
« Un chef d'État occidental a donné à l'opposition assiégée de Syrie son plus fort soutien à date, (...), ce chef d'Etat s'appelle François Hollande, le président socialiste de France.»
Rien n'est encore gagné. L'opposition syrienne est divisée.
Jeudi, il est tard quand la chaîne d'information iTélé retransmet l'intervention de Laurent Fabius à l'ONU. Le ministre des affaires étrangères anime une séance restreinte du Conseil de Sécurité. Il parle en regardant tour à tour les représentants syrien, russe et chinois:
« Personne ne pourra dire qu'il ne savait pas.»