Méfiez vous des thématiques que l'on croit percevoir en lisant une quatrième de couverture. J'avais lu métissage sur le dos de ce roman, alors je l'ai mis en veilleuse, pensant revenir plus tard sur ce sujet sur lequel j'aime m'appesantir en étant parfaitement disposé.
Heureusement, j'ai pu me lancer dans la lecture de cette narration faite par un jeune médecin métis qui raconte à une connaissance, l'histoire de la séparation de ses parents. Un couple mixte. Entre Paris, le Sud de la France, la Provence, les Cévennes. Le jeune revient sur les derniers épisodes de la relation tumultueuse entre sa mère, son écrivain de père camerounais, beti, décimeur de jupon et sur lequel, une cévenole tente de mettre le grappin.
Le père a disparu depuis plusieurs années. Le narrateur se remémore par le biais de plusieurs anecdotes qu'il prend le temps de décrire comme un fil d'Ariane pour mieux saisir le sens, les raisons de ce divorce. Vacances à Lectoure. Passage chez les grands parents maternels qui n'ont jamais intégré cet écrivain camerounais au sein de leur famille. Ressenti tel que "père" comme l'appelle le narrateur intitule "Le Caveau", la résidence de sa belle-famille. Ou encore les rapports délicats avec un voisin pied noir, très aigri de son état pour ne pas aller plus loin.
Le narrateur porte également un regard sur son frère et sa soeur, sur l'Africaine, la maîtresse de père qui tente de dompter le Don Juan indomptable.
C'est pourtant un regard respectueux que porte le narrateur. A la fois critique, distant, sans jamais donner l'impression de juger, dans les épisodes qu'il narre, il termine son adolescence. Cela peut expliquer cette distance qu'il affecte vis à vis de la figure paternelle qui le fascine et qu'il ne saisit pas. Il parle de l'impact de la séparation sur son travail scolaire, la réaction des frangins, le soutien de ses amis, le regard satisfait de ses parents maternels. Il se souvient des incompréhensions, du choc des cultures ou plutôt de la méfiance qu'elle engendre.
Eugène Ebodé porte un regard dense sur une séparation. Il ne disserte pas sur l'incompatibilité d'un couple mixte. Non, il regarde un couple se déliter du point de vue de ceux qui en sont les premières victimes, à savoir les enfants. Il parle du manque de cette figure paternelle qui a soudainement disparu, lui qui, malgré ses nombreuses rencontres littéraires, a été longtemps très présent auprès de sa famille. Eugène Ebodé ne tranche jamais. Il suppose et laisse le lecteur interprété avec le jeune homme sur les faits et gestes de cet homme fascinant.
Le métissage n'est pas le thème de ce roman. Du moins l'auteur mène sa barque en nous faisant oublier cette posture.
Par un style distingué, maîtrisé, le romancier arrive à maintenir le rythme des pensées récurrentes du narrateur sans lasser le lecteur en ne tombant pas dans le piège d'une particularité du couple mixte. Il jette aussi par le biais d'un personnage atypique, un portrait d'un pied noir déboussolé portant ainsi un propos sur les non dits de la guerre d'Algérie.
Merci à Farida pour cet exemplaire !
Eugène Ebodé, Madame l'Afrique
Editions Apic, 1ère parution en 2011
Voir également la chronique de Liss dans la vallée des livres
Prix Yambo Ouologuem 2012 pour ce roman.
Vous pouvez également lire un interview de l'auteur sur la thématique du métissage sur Cultures Sud.