Rien ne va plus pour l'équitation française. A la crise économique s’ajoute maintenant celle des institutions. La guerre de succession à la tête de la Société Hippique Française est à peine refermée que c'est désormais la Fédération Française d’Équitation qui entre dans la tourmente. Les piteux résultats aux JO de Londres ont ouvert la porte à une remise en cause de la stratégie fédérale et à un mode de gouvernance peu démocratique. En fait ce sont les trois piliers qui ont fait le succès de l'équitation française qui aujourd'hui vacillent : un délicat mélange entre soutien de la puissance publique, initiative privée et modèle associatif.
Le vent qui souffle sur l'édition 2012 de la grande semaine de l'élevage à Fontainebleau n'est pas celui de l'enthousiasme. La génération des éleveurs de renom a bien du mal à se retrouver dans un secteur en pleine mutation. La concurrence des stud-book étrangers met à mal le fragile équilibre économique d'un monde agricole sur le fil du rasoir. Le démantèlement des Haras Nationaux hérité de Napoléon est perçu à juste titre comme l'abandon du secteur par la puissance publique. La revanche des grands étalonniers privés sur les Haras laisse sur le carreau les petits éleveurs ruraux dont la diversité donnait toute sa substance au milieu de l'élevage. L'heure de la retraite a sonné pour beaucoup, lassés par l’explosion du coût des saillies et la fin du service public des Haras si précieux par sa présence sur tout le territoire, ses agents passionnés et ses soutiens financiers.
Mais la crise de l'équitation française est d'abord une crise de représentativité avec des structures mélangeant bénévolat et professionnalisme. L'élection de Serge Lecomte à la tête de la FFE en 2004 a marqué un tournant et surtout une OPA d'un modèle commercial développé dans le secteur du poney sur le milieu associatif des sports équestres. Derrière le plus visible, à savoir une approche commerciale de l'enseignement de l'équitation qui se traduit par une érosion des valeurs inhérente au cheval (travail, rigueur, respect…), se cache une dérive éthique des dirigeants amplifiée par une quasi-disparition des tutelles publiques et des contrôles. Opacité, copinage déguisé derrière l'appellation cooptation, et népotisme se sont multipliées. Les dix années d'instruction judiciaire à l'encontre du président de la FFE n'ont rien d'anecdotique même si elles n’ont accouché que d’une réprimande sur un mauvais mélange des genres. Elles laissent surtout un arrière goût nauséabond et un doute profond sur les motivations des dirigeants.
L'idée qu'on pouvait se servir sur la bête et bénéficier de rentes de situation ont contribué à tuer l'initiative privée dans ce qu'elle a de meilleur. La success story de Marcel Rozier loin d'avoir ouvert une voie est restée une exception. Et pourtant quel exemple : arrivé avec un simple baluchon à Fontainebleau, le père de Philippe et de Thierry au-delà de son palmarès sportif a su créer à Bois-le-Roi une remarquable structure qui accueille tous les ans, notamment avec les ventes Fences, tout ce qui compte du monde de l'équitation.
A lui seul le cadre magique du Grand Parquet de Fontainebleau résume bien la complexité Française. Propriétaire d'un foncier de 26 hectares hérité de l'armée la communauté de communes du pays de Fontainebleau a mené avec l'aide de l'Etat pendant deux ans une réhabilitation d’envergure du site (12 millions d’€). Bien certes mais pas très bien faute d'un entretien perfectible et d'une poussière omniprésente générée par des circulations négligemment laissées en sable. Mais surtout, c'est le morcellement de la vision publique qui est en cause. A quoi sert un stade équestre de ce niveau si la Fédération et les propriétaires rechignent à mettre de l'argent pour l'accueil de manifestations d'envergure ? Danièle Mars, organisatrice de l'été du Grand Parquet (CSI****), philosophe, fait remarquer que les aides publiques ne constituent qu'un pourcent de son budget.
L'équitation française est aujourd'hui à l'image de son équipe olympique : l'ombre d'elle-même. Xavier Libbrecht l'impétueux rédacteur en chef de l'Eperon, le magazine équestre de référence, a dégainé la plume pour signer un éditorial au vitriol qui décrit le naufrage de l'équitation française et pointe les responsabilités fédérales. La polémique est un art très français. A défaut d'un sauveur c'est de nouveaux hommes habités par des visions stratégiques dans un monde bousculé par la mondialisation dont ont besoins éleveurs et cavaliers français. La mutation de la SHF en société-mère du cheval de sport engagée par Marc Damians semblait aller dans le bon sens. Où conduira la révolution de palais menée et réussie par Yves Chauvin président des éleveurs de selle français (ANSF)? Plus que de la nostalgie, elle marque la fin d'une époque.
Car les perspectives s'annoncent délicates. Le relèvement annoncé de la TVA applicable au secteur exigé par Bruxelles a des allures d'iceberg que personne ne veut voir. Le choc s'annonce pourtant rude avec le risque de ne voir survivre, comme dans la tragédie du Titanic, que les passagers de 1ére classe.