Adieu Margaret, lettre ouverte à 20th Century Fox

Par Tred @limpossibleblog

Il y a des billets que je préférerais ne pas avoir à écrire. Des billets qui dans un monde cinéphile idéal n’auraient pas lieu d’être. Des billets dont chaque mot reflète une part de chagrin, de colère, d’incompréhension que je voudrais ne pas ressentir. Mais parce que la branche française du studio 20th Century Fox existe, ces billets doivent exister, parce que non content de pourrir la vie de nombreux cinéphiles, je ne voudrais pas que le distributeur s’en tire sans qu’un maximum de personnes leur crache le fond de leur pensée quant à leur politique de distribution.
Depuis de trop nombreuses années maintenant, Fox France a une ligne bien précise en ce qui concerne la comédie américaine : neuf fois sur dix, ces messieurs et dames estiment que sortir le film dans une poignée de salles en France en VF uniquement est ce qu’il y a de mieux à faire, histoire que le film soit sorti en salles et vendu plus facilement à la télé, et tant pis si des spectateurs avaient l’espoir de voir le film, qui plus est en VO, après tout on n’est pas là pour faire plaisir au spectateur, on vend pas du rêve on fait du pognon nous. Pardon de me mettre dans vos bottes, mais j’essaie de comprendre ce qui vous passe par la tête, et le dégoût m’assaille.
Bien sûr, même si cela fait mal de voir ces comédies américaines alléchantes sortir uniquement au Publicis en VF, les « Machine à voyager dans le temps », les « Gentlemen Broncos » et tant d’autres encore, malheureusement on a fini par s’y habituer. Nous, vous savez, les spectateurs sans morale aucune qui osons exprimer le désir de voir les films que VOUS distribuez, mais qui préférons les voir en VO parce que c’est ainsi que se voient avec le plus grand plaisir les films en général, et les comédies plus que tout autre genre cinématographique. C’est bon, on a fini par intégrer, une comédie américaine distribuée par la Fox, c’est la mort cinéphile assurée, un jet à la poubelle en sortie technique, et tant pis pour nos gueules.
Cette semaine pourtant, vous, hommes et femmes travaillant à la 20th Century Fox, vous êtes démenés pour me mettre - moi et je le sais un nombre incalculable d’amateur du 7ème Art (oups j’ai dit un gros mot) – dans une colère monstre. Comme si finalement, nos réclamations régulières et désespérées de vous voir sortir les comédies en VO vous amusaient particulièrement. Je vous imagine si bien dans vos bureaux, balayer d’un geste de la main les mots durs que vous ne pouvez manquer de lire ici ou là, « C’est pas ces connards de spectateurs qui vont nous dicter comment on doit distribuer nos films, on les sort en VF et puis point barre, ils font chier ceux-là ».
Cette semaine, allez, vous aviez même l’occasion de vous racheter en partie de votre politique de distribution des comédies américaines, avec Margaret de Kenneth Lonnergan. Ce film, j’en avais rapidement parlé il y a presque un an, lors de la sortie américaine, pour souligner les difficultés qu’il avait rencontré pour enfin trouver le chemin des salles obscures, des années après avoir été tourné. Le film était sorti en salles aux États-Unis dans une combinaison de salles assez ridicule, dans une version qui n’était pas la director’s cut du réalisateur. La date de sortie française était déjà fixée à l’époque si je me souviens bien, et n’a jamais varié d’un iota, ce mercredi 29 août 2012. Pendant ces longs mois, le film a été encensé aux États-Unis, et la version de trois heures destinée au DVD s’est vite vue accusée d’être un grand film.
Finalement, la longue période entre la sortie américaine et la sortie française aurait même pu être bénéfique. Allez, avec un peu d’audace, vous auriez peut-être pu sortir en salles la director’s cut, pour confirmer que la France était bien le pays de la cinéphilie, et qu’ici c’était la voix des cinéastes que l’on écoutait, et non celle des financiers. C’est déjà arrivé par le passé, alors pourquoi pas pour Margaret. Depuis combien de temps aviez-vous condamné le film ? Car il ne fait aujourd’hui aucun doute que vous ne vous êtes jamais posé la question de sortir la director’s cut en salles, puisqu’il vient de s’avérer que depuis tout ce temps, vous n’aviez même pas l’intention de sortir le film en VO.
Ce sort si cruel, pour les cinéastes et pour les spectateurs, que vous vous plaisez habituellement à réserver à la comédie, vous l’avez cette semaine infligé à un film d’auteur qui, se murmure-t-il depuis des mois, est une œuvre majeure du cinéma américain contemporain. Martin Scorsese lui-même avait mis la main à la pâte pour aider le film à sortir. Tous ces mois, nous avons attendus, impatients, avec cette date en ligne de mire. Tous ces mois, naïvement, nous ne nous sommes pas doutés du sort que vous réserviez à cet évènement cinéphile.
Le couperet est tombé en début de semaine. Le film ne sortirait qu’au Publicis, en VF. A vos yeux, rien d’important là-dedans. Rien d’essentiel dans ce film. Un film américain de plus dont il faut se débarrasser discrètement. J’imagine que vous n’avez pas pris la peine de prévenir Kenneth Lonergan (vous avez peut-être entendu parler de lui, c’est le monsieur qui a réalisé le film) du sort de son film dans la capitale mondiale de la cinéphilie. Le cinéaste a déjà tellement souffert pour mener à bien la sortie de son film, vous avez probablement préféré lui épargner ce coup de poignard de plus, dans un grand geste de pitié, ou de lâcheté.
Alors voilà, me voici aujourd’hui, ici, sur mon insignifiant petit blog d’insignifiant petit spectateur amoureux de cinéma, excédé, agacé, dégoûté. Et triste, infiniment triste, qu’une petite poignée de personnes dans leur bureau de la Fox ait choisi de condamner un cinéaste, une œuvre, et toute une population de spectateurs qui espéraient pouvoir voir un film qui peut-être marquera son époque. Mais je dis ça en l’air, puisque grâce à vous, je ne l’ai pas vu, et je ne le verrai pas au cinéma. Je ne vous remercie pas.