Le nuage
Nuage changeant
où le poète a mis
le mystère à l’épreuve
Appuyé sur la terre
et le silence
Nuage qui prend forme
pour éprouver l’image
Le poète a toujours
une éclaircie d’avance.
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Le dit
On dit rumination
mais c’est de l’herbe folle
agitée par le vent
On dit même harmonie
c’est de la pierre qui refuse
d’aller plus loin contre l’abîme
Et parfois on dit rêve
c’est le troupeau
debout sur ces arêtes
et ruminant
l’herbe contrariée.
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Bois tombé branches mortes
un fagot plein de souvenances
mais le feu ne prend pas.
- Quel hiver sans amour
avons-nous ramassé
et serré dans nos bras ?
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POEME
Le poème tient dans la main
le temps d’un voyage à fleur de chair
A la lisière d’un bruit fragile
dont l’envie dure
Au remous des sables galants
quand la mer se retrousse
pour arranger l’étoile…
Avec ses trous d’oiseaux
c’est la maison du printemps
Avec ses veines bleues
c’est l’habité par ses douleurs
Avec ses feuilles
qui ont plus que du vent à raconter
c’est la permission de séjour
Avec ses fruits
tombés à terre
il décide des grands départs.
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Sonnet d’amour
L’amour-matière est une option pour vide
Ou pour fumée, l’abîme est son terrain ;
L’encre l’éprend de sa nature avide,
Sur le papier où se courbent ses reins.
L’amour-esprit, les émois s’en déplissent,
Qu’il soit d’hommage ou de cœur démotté.
Le verbe accroît ses maraudes complices,
Le long de vers inverses de beauté.
L’amour-silence ensemble nous façonne.
Nos corps fouillant l’un vers l’autre jetés
Créent le désir où l’autre à l’un se donne.
L’amour-silence est notre éternité,
Tel ce géant, près du rouet d’Omphale,
Toujours penché vers l’ombre conjugale.
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Sonnet du mal-être
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Le feu me gèle et le froid me calcine,
Le jour m’aveugle et la nuit m’éblouit,
J’erre dans l’air et je m’évanouis,
Dans l’eau j’aspire à l’air que j’imagine.
L’esprit me prend quand mon corps s’étudie,
Le corps m’absorbe au moment où j’exprime
Une pensée qui soit de sève ourdie,
Comme en ma chair l’esprit plonge et s’anime.
L’amour m’octroie ce qui me l’interdit,
Quand devant moi la nudité m’invite
A m’assouvir de l’absent qu’elle agite.
La mort appelle à son coucher maudit
Ma destinée, qui d’elle agrée la rime,
Puisqu’elle naît de nos liens intimes.
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L’auteur
Claude Albarède (à droite sur la photo) est né à Sète en 1937, dans l’ambiance valéryenne de « Midi-le-Juste », et à « deux pas des flots bleus… » chantés par Brassens. Fils d’ouvriers et de petits vignerons, il a passé son enfance sur les contreforts du Larzac, entre les vignes et les guarrigues languedociennes. Professeur de lettres en région parisienne, de nombreuses revues l’ont publié (Sud, Le Pont de l’Epée, Rétroviseur, L’Arbre à paroles, N.R.F., etc). Saluée par Luc Bérimont comme une oeuvre de premier plan, avec son arrière-goût de pierre à feu, et la retenue d’une eau secrète, la poésie de Claude Albarède, âpre, rugueuse et ensoleillée, se développe suivant un cheminement contradictoire, comme les drailles de son arrière-pays, à travers ses recueils de poèmes. Il est aujourd’hui reconnu dans l’ensemble du monde francophone. Il a reçu de nombreux prix dont le Prix François Villon (1980), le Prix de poésie du Lion’s Club International (1984) et la Bourse de poésie Guy Lévis Mano (1985).
Le Fond des choses, Gaston Puel éditeur, 1967. L’Incandescence intérieure, Atelier de l’Agneau éditeurs, 1973. L’Ambigauche, Guy Chambelland éditeur, 1974. Pensées du Causse nommé Larzac, Fond de la ville éditeur, 1975. Lampe habillée d’autrui, Millas-Martin éditeur, Prix François Villon, 1980. Cours fermées (non paru), Prix du Lion’s Club International, 1984. Mémoire à petits feux, Folle Avoine éditeur, 1984. Jours ouvrables (non paru), Bourse de Poésie Guy Lévis Mano, 1985. Montants de terre, Folla Avoine éditeur, 1988. Les Trajets sous l’écorce, Folle Avoine éditeur, 1993. Les Reculées, Folle Avoine éditeur, 2001. Faux-Plat, Editinter éditeur, 2003. Ajours, L’Arbre à paroles éditeurs (Prix Amélie Murat 2005). Fulgurante résine, Les Vanneaux éditeur, 2007 (Prix Aliénor 2008). Résurgences, Folle Avoine éditeur, 2008.
Le livre
Vision d’un poète hors la ville. Quatre saisons de l’année – ou d’une vie ? – embrassent la profusion d’éléments de la nature : « La dépensée du petit jour / petite fontaine écrite au couteau / entre les eaux et les résines ». Tout en sourdine, bien des questions essentielles sillonnent ce recueil : « Il reste à décider / si le vide est coupable / et s’il cache un secret / nourricier du vertige ».
Rio Di Maria
Source Maisondelapoésie D’amay