Créer, créer…encore créer !
Créer, c’est un accès de fièvre, un excès, un halètement ; c’est une prolifération. Qui gangrène le quotidien.
Quelquefois, le stylo sur la page blanche se met à filer ; sa pointe court librement, avec une aisance confondante, avec une fluidité quasi aérienne qui survole les lignes; et dans ces moments j’ai l’impression – à vrai dire curieuse –qu’il est devenu une automobile en train de prendre de la vitesse…un véhicule lancé droit vers l’horizon, sur une route de campagne ouverte et entourée d’espace, qui n’a plus qu’un unique souci : foncer, fendre l’air, avaler du kilomètre et procurer à celui qui l’occupe une sensation de fuite, de griserie, d’évasion et de liberté aussi absolue que délicieuse.
En écrivant, on entrevoit toujours une sorte d’absolu, une possible perfection dans le texte qui, si elle nous attire à la manière d’une véritable étoile du fait même de sa brillance presque aveuglante, peut également, dans la même mesure, nous brûler les ailes, nous paralyser d’impuissance, car trop éclatante.
Par certains côtés, on peut dire que les écrivains sont infréquentables.
Si les créatifs sont, comme tendent de plus en plus à le mettre en évidence les recherches en neuroscience et en génétique, porteurs de certaines tendances schizophréniques, rien d’étonnant à ce qu’ils soient tellement polarisés sur eux-mêmes et sur leur œuvre, que celle-ci soit scientifique, artistique ou bien littéraire. Les exemples, on le savait déjà, abondent de génies novateurs « à côté de la plaque » dans bien des domaines de la culture : Michel-Ange, Van Gogh, Gauguin, Camille Claudel, Virginia Woolf, Nietzche, John Nash, Gödel, Turing…pour ne citer que ceux-là.
C’est parce qu’elle le coupe des autres, des formatages sociaux que la maladie mentale (à un stade où, toutefois, elle n’a pas encore trop désorganisé le fonctionnement du cerveau) rend l'individu inventif et peut donc, dans certains cas, donner lieu à du génie.
Les couleurs ! Ce sont aussi des pulsations, des mouvements et des textures ! Des sons et des odeurs. Elles ne mobilisent pas seulement le voir, mais impliquent l’ensemble des sens : l’odorat, l’ouïe, le sens tactile et jusqu’au goût.
Leur luminosité est une fête pour toutes les facultés sensorielles et sensitives. A commencer par la principale d’entre elles – que je m’apprêtais à oublier : l’imagination.
Il est des réponses qui ne vont pas au-delà de la question qui les a fait naître. Ce sont peut-être celles que je préfère…
L’envieux est un imbécile…car l’envie est une totale perte de temps. On n’aura jamais ce qu’a l’autre parce que, tout bonnement, nous ne sommes pas à sa place. Parce que tout individu, tout destin sont par essence exceptionnels, uniques, incomparables.
Notre manière de vivre le Temps, de le percevoir est peut-être une des plus éclatantes illustrations du fait qu’il y a bel et bien un EN-SOI et un POUR-SOI des choses. Car, à côté des horloges qui rendent compte du temps avec une exactitude toute mathématique, il y a ce qui, pour nous, dans notre vie de tous les jours, lie étroitement notre perception de ce dernier à nos différents rythmes de vie.
Le Temps de l’attente ou de la contemplation n’est pas celui de l’action. Le Temps découpé et aménagé par les rythmes de la vie moderne n’est en aucun cas analogue à celui qui régissait (dans certains cas, régit encore) les sociétés de chasseurs-cueilleurs ou les sociétés d’agriculteurs dites « traditionnelles ».
Le Temps varie en fonction des cultures humaines, des idées religieuses et même…du progrès technique. Le Temps biologique (celui du rythme circadien qui régit nos corps selon l’alternance jours/nuits et selon celle des différentes saisons) a lui aussi une logique propre qui n’obéit pas nécessairement à celle des horloges.
De tout ceci, des expressions courantes telles que « trouver le temps long » ou encore « ne pas voir le temps passer » rendent clairement compte. Et que dire des Temps géologique et cosmique qui ne sont même pas accessible à notre perception ?
C’est dire si, en un certain sens, le Temps se plie aux humeurs et aux limites de l’Homme.
Le Temps possède à la fois un aspect absolu (rigide) et un aspect relatif (élastique). Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas avare d’avatars.
Reste cependant que les seules choses qu’on n’est pas en mesure de modifier, c’est son écoulement et le sens de celui-ci.
La perception ne restitue pas le monde. Elle le recrée.
Elle y réagit, certes, mais elle le fait toujours à sa manière. Ainsi, chaque appareil perceptif donne lieu à un monde nouveau.
La perception est un acte créatif.
Pour quelles raisons la réalité filtrée et modifiée par notre perception, c'est-à-dire le POUR-SOI de la réalité ne serait-il pas aussi réel, aussi valable que l’EN-SOI du réel qui, de toute façon, ne se peut atteindre (et encore, sans doute imparfaitement) que par le biais du logos et des mathématiques ?
Comme dirait le bon vieux Platon, quand on est prisonnier d’une caverne…
Certes, la réalité absolue, EN-SOI préexistait (et préexiste encore) à toutes les autres. Pourtant, le fait que nous soyons là et que nous la percevions, l’interprétions, la déformions nous rend réels, et aussi réels qu’elle peut l’être. La Baghavad Gita nous dit : « Les sens se meuvent au milieu des objets des sens ».
Il y a l’EN-SOI et le POUR-SOI. Il y a ce que certains scientifiques appellent « le réel voilé ». Il y a le fait qu’au contact de notre perception, le réel, forcément, est l’objet d’un retraitement, d’un filtrage et, par conséquent, se déforme. Il y a LA vérité et notre vérité (telle que nous la pensons, l’interprétons, la ressentons). Il y a ce que les psychologues appellent le « phénomène de projection » et que le bon sens populaire français, pour sa part, traduit par des maximes telles que « on juge toujours d’après soi ». Comment, dans de telles conditions, prétendre parler de vérité et, surtout, prétendre la détenir ?
Dans la mesure où elle nous est accessible, la vérité ne peut l’être, dans l’état actuel des choses, que par les mathématiques ou par une expérience spirituelle qui nous mène au-delà de notre ego et demeure profondément intime. Toutes les autres « vérités » ne sont que des consensus sociaux ou des faits de perception qui sont toujours susceptibles d’être mis en doute et remis en cause.
P. Laranco