Les histoires belges sont rarement drôles, sauf quand on remplace l’infortuné sujet d’Albert II par un ressortissant de Meurthe et Moselle. Et encore, il faut vraiment avoir consommé force liqueurs à haute teneur en éthanol et fumé moultes variétés d’urticales de la famille des cannabaceae pour esquisser un sourire quand un avatar aviné de Jean-Marie Bigard déploie toute sa verve afin de prouver par l’exemple que le belge et la blonde n’ont que très peu de probabilités de contribuer au renouveau de la physique quantique. Et si l’on essaie de prouver le contraire en citant François Englert, le conteur médusé vous opposera le même regard bovin qu’il réserve à la contemplation de son idole Johnny Halliday, qui est belge et doté d’une blonde épouse, comme quoi le con n’a pas toujours tort.
Or par delà les frontières qui nous séparent d’un pays qu’on trouve éminemment sympathique du fait de la qualité de sa production de bière et de son incapacité à former des gouvernements (comme quoi le con a parfois tort), se joue une histoire vraiment pas drôle. Si la Moselle a longtemps pu se targuer d’être le berceau du serial killer à la française, la Belgique jouit pour sa part d’une solide réputation dans le domaine de la pédophilie, la faute notamment au dénommé Marc Dutroux, qui a plus oeuvré pour l’infanticide que Jean-Luc Delarue pour le racolage télévisuel putassier. Ce n’est d’ailleurs pas une spécialité locale: de Gilles de Rais aux époux Courjault, la France a aussi su donné ses lettres de noblesse à ce cruel artisanat. Mais voilà, Marc Dutroux, c’est le chef de file de la corporation, l’archétype du pédophile qui n’a pas eu besoin de se cogner dix ans de séminaire pour faire venir à lui les petits enfants, c’est l’Usain Bolt de la spécialité comme Ted Bundy est le prince incontesté des dépeceurs.
Et donc, la justice belge a décidé d’élargir l’ex-épouse de Dutroux, Michelle Martin qui venait de purger seize ans de prison pour complicité. Libérer est un bien grand mot puisqu’il est peu probable que la dame puisse se réinsérer dans une société qui a déjà du mal à insérer les gens qui n’ont rien à se reprocher, demandez aux acquittés d’Outreau si c’est pas vrai et si le soupçon peut s’effacer du casier judiciaire que tient le pékin moyen à l’endroit de son concitoyen. A sa sortie de cabane, Michelle Martin est donc allée se réfugier dans un couvent de clarisses près de Namur, car elle a rencontré Dieu en détention, on ignore pourquoi il était incarcéré en Belgique mais il y aurait pas mal de chefs d’accusation si on se donnait la peine de chercher. Les bonnes sœurs, confiantes dans le projet de réinsertion de Mme Martin, se sont donc disposées à accueillir cette dernière sous un étroit contrôle judiciaire (et sans l’inclure dans la communauté) pour lui filer un coup de paluche dans le cadre de sa rédemption.
Malheureusement, les sœurs clarisses, qui avaient le bon goût de mener une vie recluse et contemplative sans embêter personne avec leurs contes de fées, commencent à avoir un avant-goût de l’enfer depuis l’arrivée de Michelle Martin. Les familles des victimes, qui se sont opposées de toutes leurs forces à la libération redoutent en effet de voir Marc Dutroux être lui aussi affranchi. Et c’est là que la mauvaise histoire commence. Avant même l’arrivée de Michelle Martin au couvent, deux cents personnes se sont réunies pour dire tout le bien qu’elles pensaient en termes choisis, pour demander le rétablissement de la peine de mort, ou pour marquer leur incompréhension envers les clarisses. Le père d’une victime se demande même comment l’Eglise qui interdit le préservatif et le remariage peut accueillir une criminelle, comme si elle avait été reçue au Vatican. Un important et couteux dispositif policier a dû être déployé pour éviter un lynchage potentiel, flicaille qui aurait sans doute été mieux employée à traquer les réseaux pédophiles qu’à canaliser des fachos en mal de vengeance. Un député flamand, sans doute un émule de Claude Guéant, a même proposé sur Twitter d’engager un tueur à gages ou un junkie pour assassiner Michelle Martin. Et sur Internet fleurissent les doux messages réclamant la tête de celle-ci, et de tous les criminels.
Alors certes, il n’est pas question de recevoir la complice de Dutroux avec un bouquet de fleurs et une boîte de chocolats à sa sortie de zonzon. Pas question non plus de « pardonner », la notion de pardon n’ayant rien à voir avec la justice commutative qui a cours en démocratie. Le déferlement de haine teinté de paranoïa dont a fait l’objet Michelle Martin est quand même très inquiétant à plusieurs égards: d’abord parce qu’il est toujours effrayant de voir une horde de gens se comporter comme des bêtes assoiffées de sang, exactement comme les bourreaux des enfants. D’autre part parce qu’en Belgique comme partout ailleurs, on a encore trop souvent tendance à penser la justice uniquement en terme de sanction, de peine, de durée d’incarcération, ou d’indemnisation sans se soucier de réintégration, ou dans le cas qui nous intéresse, de soins, car la pédophilie relève sûrement plus de la psychiatrie que du droit pénal. Impossible donc de rendre la justice paisiblement sous un chêne quand le droit est dit par des glands qui n’ont pour tout horizon que leur prochaine échéance électorale. En passant, on peut rappeler que des milliers d’enfants sont torturés quotidiennement qui dans des usines, qui dans des mines ou dans des champs, les armes à la main ou sur un trottoir quelconque, pour la plus grande gloire de notre mode de vie prospère mais plus pour longtemps, et que personne n’a encore été lynché pour cela, sans doute grâce à l’éloignement géographique. Et on peut féliciter le courage des clarisses de Namur, c’est pas souvent qu’on dit du bien des grenouilles de bénitier dans ces lignes, mais là, respect.
Dans un prochain épisode, nous prendrons la défense de Charles Manson. Certes, c’était un monstre sanguinaire, mais il a écrit quelques jolies chansons.