L’incroyable saga de l’été 2012 nous a cependant apporté un certain nombre de nouveaux éléments.
En premier lieu, la « victimisation ». Plusieurs des victimes de Dutroux et Martin se sont largement exprimées, dont notamment Jean-Denis Lejeune. Que les choses soient claires : je partage fondamentalement la douleur de ces victimes. Celle-ci leur confère-t-il pour autant une justesse dans leur jugement ? Leur donne-t-elle des droits supérieurs à ceux du commun des mortels ? À ces deux questions, je réponds « non ». Toutes les victimes ne se sont d’ailleurs pas larmoyées : j’admire la dignité des parents de Melissa Russo, la sobriété de la maman de Eefje Lambrechts, la volonté de vie de Sabine Dardenne.
À côté de ces victimes volontairement en retrait, essayant sans doute avant tout de faire leur « deuil » dans le respect de la société, on en a vu d’autres surtout animées par leur esprit de révolte. Celui-ci est tout aussi respectable, la question n’est pas là. Mais ce n’est pas parce qu’on est victime qu’on a forcément raison sur tous les points et qu’on est en droit d’imposer à la société certaines orientations. Les victimes ont bien sûr le droit de s’exprimer et de se faire entendre. Mais elles n’ont pas forcément raison du simple fait d’être victimes. Quand on voit l’hyper-médiatisation de Jean-Denis Lejeune, il y a de quoi se poser des questions. Non pas sur sa souffrance. Celle-ci est son histoire. Mais pourquoi être présent en permanence dans les médias, pour dire parfois tout et n’importe quoi ? Cet homme souffre, c’est certain. Mais il a aussi désormais besoin d’être omniprésent dans la presse pour surmonter sa souffrance en soignant avant tout son ego. Trop, c’est trop. Il ne semble pas le comprendre.
Cela amène à traiter une autre question : la « récupération politique » de toute cette affaire. J’en parle d’une part parce qu’on sent bien – malheureusement – que toujours le même Jean-Denis Lejeune est aussi en campagne électorale pour les élections communales du 14 octobre. Mais tous les politiciens le sont aussi. Comment expliquer que ce sempiternel Jean-Denis Lejeune soit reçu par deux ministres (Justice et Intérieur) plus encore le Premier Ministre lui-même, sans émettre l’hypothèse d’une récupération politique ? Sans compter le minable conflit lancé par Charles Michel, président du MR, accordant au PS la responsabilité politique de la libération de Michèle Martin, réécrivant ainsi l’histoire sans aucune vergogne !
Cette récupération politique essaie de suivre le mouvement populaire, évidemment. C’est un autre trait du feuilleton de l’été : le « populisme ». Le peuple a raison, envers et contre tout, simplement parce qu’il est le peuple… et donc on le caresse dans le sens du poil. Ce qui guide le « peuple » - du moins est-ce ce qu’on essaie de nous faire croire – c’est la vengeance, la loi du talion. Cette femme, Michèle Martin, a fait des horreurs – et effectivement, c’est bien le cas ! – et elle ne peut donc être elle-même que l’objet de l’horreur. Il faut la faire souffrir, la nourrir uniquement de pain et d’eau, l’humilier, la torturer… voire la tuer ! La loi primaire du talion est encore bien présente. Ce « peuple » ne semble pas se rendre compte que l’humanité s’est promue quand elle a remplacé la vengeance brutale par un système de justice – fusse-t-il imparfait – en comprenant qu’il faut prendre un minimum de recul pour juger de choses innommables et pour prendre des décisions humaines, fondées sur la reconstruction et l’espoir, plutôt que sur la punition et la négation de l’autre. Ce qui me semble assourdissant dans cette démarche « populaire », c’est que la seule réponse apportée à la violence est la violence. C’est un débat que je tiens depuis longtemps face à la peine de mort. Tant que la seule réponse qu’on peut apporter à la violence absurde d’un assassin est de lui faire à son tour le mal qu’il a fait à d’autres, on ne peut être que son égal, à savoir un assassin parmi d’autres.
Un phénomène à analyser dans ce feuilleton de l’été est aussi l’« hyper-médiatisation ». Depuis que la nouvelle d’une éventuelle libération de Michèle Martin a surgi, les medias en ont parlé en long et en large tous les jours, attisant ainsi surtout la haine et l’absence de recul, ce qui est exactement l’inverse de ce que les medias devraient faire ! Cependant, aujourd’hui, les medias ne sont plus des instruments de parole à sens unique. Un journaliste écrit un article. Celui-ci est éventuellement publié dans un journal en papier, mais la plupart du temps il paraît surtout sur Internet. Dans ce cas, tout le monde peut réagir et donner son avis, quel que soit celui-ci. Il faut bien l’avouer : c’est, la plupart du temps, parfaitement désolant. J’avoue – et c’est là un autre débat que je me refuse d’approfondir ici en ce moment – mais en lisant de nombreux commentaires, je me suis dit « Heureusement qu’on n’est pas dans une démocratie directe ! ».
Dans tout ce magma nauséabond, il y a quand même une éclaircie, qui fait que je range ce billet dans mon libellé « Lumières » ! C’est bien sûr l’attitude des Clarisses de Malonne, ces religieuses qui envers et contre tout ont décidé d’accueillir Michèle Martin, non pas dans leur Communauté, mais dans leur maison. Il fallait l’oser. Alors qu’on est aujourd’hui souvent confronté à une Église égoïste et hautaine, sertie de ses convictions morales abscondes, voilà des Sœurs qui – simplement – essaient de mettre en pratique les leçons de l’Évangile. Juste quelques paroles d’un certain Jésus-Christ : « Que celui qui n’a jamais pêché lui jette la première pierre » ; « Si on te frappe sur la joue droite, tends la joue gauche » ; « Ce que tu as fait au plus petit des miens, c’est à moi que tu l’as fait »… Je ne veux pas ici me prononcer sur le bien-fondé ou non de ces paroles. Je constate simplement que les Clarisses de Malonne, en accueillant Michèle Martin, n’ont fait qu’essayer de les mettre en pratique. Et c’est réjouissant de voir qu’il y a encore au sein de l’Église des personnes qui, en toute humilité, se réfèrent avant tout au message évangélique et non pas à un discours aseptisé et péremptoire d’une hiérarchie morale détachée de toute réalité.