Entre le chanvre sauvage et la désintox, Obama truque les chiffres de manière créative.
Par Mike Riggs, depuis les États-Unis.
« Depuis le premier jour, le président Obama a ouvert la voie à une réforme de la politique de la drogue de notre nation, par exemple en s’attaquant à la consommation de drogue et à ses conséquence en termes de santé publique », peut-on lire sur We the People, le site de pétitions qu’a ouvert le gouvernement Obama. Si vous avez été victime d’un raid d’agents fédéraux (par exemple, le genre de raid où votre enfant de deux ans a été arraché de son berceau), ou si vous avez travaillé dans un des 500 dispensaires de marijuana médicale que la DEA, l’agence de répression anti-drogue, a fait fermer l’an dernier avec l’aide des services fiscaux, vous êtes sans doute en train de rire jaune.
En aucune manière, Obama n’a mis fin à la guerre contre la drogue. Dans ce cas, pourquoi son conseiller spécial pour les drogues [NdT : drug czar en anglais ; ces « Tsars » sont de hauts fonctionnaires, en nombre variable et ayant une large autorité sur un sujet donné ; ils sont généralement nommés par le Président sans que le pouvoir législatif ne puisse donner son accord] persiste-t-il à affirmer qu’il l’a fait ? La pensée magique aide, mais la comptabilité créative aussi. Les guerriers de la drogue de Washington se sont appuyés depuis des décennies sur des statistiques farfelues et des affirmations sorties de leurs contextes pour justifier l’interdiction de certaines substances, tout en approuvant que d’autres soient commercialisées. Et les promesses politiques floues mises à part, le gouvernement Obama n’est en rien différent. Voici trois astuces comptables que les agences fédérales continuent à utiliser sous Obama pour justifier la guerre contre la drogue et masquer son coût véritable.
1. Les agences anti-drogue oublient les chiffres liés à l’alcool pour exagérer les dangers des drogues illégales.
Significatif, à quel point ? En cliquant sur le lien dans la lettre de Kerlikowske parlant des admissions dans les services d’urgence, on tombe sur un rapport émis par DAWN, le Drug Abuse Warning Network [NdT : en français, le réseau d’alerte sur la toxicomanie] qui répertorie les admissions en service d’urgence par substance :
Avec 376.467 visites par an, la marijuana semble être un problème majeur. Mais il y a deux problèmes avec ce chiffre. Le premier, c’est que la donnée, qui vient du NHAMCS, le National Hospital Ambulatory Medical Care Survey qui paraît chaque année, ne distingue pas entre les gens qui vont aux urgences à cause de la marijuana, et ceux qui en avaient consommé avant d’aller aux urgences. D’où la formulation prudente utilisée par le DAWN : « Les drogues les plus couramment associées dans les visites aux services d’urgence ».
Mais admettons que le cannabis soit responsable de l’intégralité de ces visites aux urgences. Peut-on le comparer à l’alcool ? Si vous lisez les notes en bas du tableau, vous remarquerez que ces chiffres ne comptabilisent l’alcool que quand il est associé à d’autres drogues, ou quand il est consommé par des mineurs. Une note à la fin du rapport nous explique pourquoi : « La consommation d’alcool seul par un mineur est considéré comme de la toxicomanie ».
Autrement dit, le National Institute for Drug Abuse (NIDA) ne considère pas les adultes qui vont aux urgences sous l’influence de l’alcool seul comme ayant consommé de la drogue. Et pourtant, l’alcool, cette drogue légale et disponible un peu partout, ne fournirait-il pas une bonne référence pour comparer l’impact aux urgences des autres drogues ?
Bien entendu ; mais cela saperait aussi les déclarations du tsar de la drogue sur les dangers du shit.
Voilà les faits. L’alcool, utilisé seul, est « associé » dans bien plus de visites aux urgences que toutes les drogues illégales cumulées. Selon le Center for Disease Control, « Durant la seule année 2005, il y a eu plus de 1,6 millions d’hospitalisations et plus de 4 millions de passages aux urgences pour des situations liées à l’alcool ». Une étude publiée cette année dans Annals of Emergency Medicine suggère que jusqu’à 50 pour cent des passages aux urgences pourraient avoir un rapport avec l’alcool. Et ce chiffre ne fait qu’augmenter. À New York, par exemple, « près de 74.000 personnes se sont rendues à l’hôpital en 2009 pour des raisons liées à l’alcool, contre juste 22.000 en 2003 ».
Si le NIDA a reconnu que « les passages dans des services d’urgences impliquant une alcoolisation parmi la population générale sont généralement considérés comme significativement plus nombreux que ce qui est rapporté par DAWN », il n’est pas besoin de préciser « généralement considérés ». Il est clair d’après ces données que l’alcool seul envoie plus de gens aux urgences que la marijuana et n’importe quelle autre drogue.
Qui plus est, davantage de personnes cherchent à se faire désintoxiquer de l’alcool que de la marijuana. Selon la Substance Abuse and Mental Health Services Administration, près de la moitié de l’ensemble des admissions en cure de désintoxication « impliquant des étudiants en faculté ou dans d’autres institutions supérieures entre 18 et 24 ans étaient associés directement à des problèmes d’alcool ». En fait, l’alcool mène le peloton des admissions en cure de désintoxication parmi tous les groupes d’âge.
Ce qui fait assez de données pour recontextualiser les drogues illicites. Pourquoi le NIDA, « la plus grande source au monde pour la recherche sur la toxicomanie » selon Kerilikowske, cherche-t-il à les cacher ? Parce que le travail du NIDA n’est pas seulement de répertorier des effets de drogues illégales, mais aussi de fournir la justification « scientifique » permettant de les garder hors-la-loi.
2. La DEA gaspille des centaines de millions à éradiquer des plants de chanvre qui ne peuvent pas être fumés, mais en oublie le coût dans ses rapports annuels.
Depuis des années, les partisans de la légalisation du cannabis ont accusé la DEA de gâcher de l’argent et d’exagérer la quantité de cannabis cultivée dans le pays (la plupart des gens, et les journalistes, distinguent rarement entre le cannabis sauvage et celui dont on fume la résine). En 1998, la cour des comptes du Vermont a rendu un rapport critiquant la DEA de se concentrer sur le chanvre sauvage. « Il faut noter que le programme fédéral finance spécifiquement, et en fait, encourage l’éradication du cannabis sauvage », a noté le rapport.
En 2006, Allen St Pierre, de l’association NORML a condamné que la DEA cible un cannabis sauvage qui pourrait créer des emplois si le chanvre industriel était légal. « L’ironie, bien entendu, est que le chanvre industriel est cultivé dans la plus grande partie du monde occidental pour être vendu pour ses fibres. Pourtant, l’État fédéral dépense l’argent des contribuables pour cibler et éradiquer cette même matière première agricole ».
Après avoir subi tant de critiques durant des années, la DEA a tout à coup arrêté de relever les éradications de plants de chanvre après 2006. Depuis, le nombre total de plants de marijuana détruits par la DEA chaque année est selon elle passée de 250 millions (dont 99% de chanvre sauvage) à environ 10 millions.
« L’État fédéral semble avoir mal interprété les critiques selon lesquelles cette pratique était un gaspillage de ressources », observe Matthew Donigian, de la faculté de droit de l’université de l’Illinois dans un rapport de 2011. « Les critiques n’étaient pas outrés par le fait que l’administration rapportait des chiffres concernant le chanvre sauvage, mais plutôt la pratique d’aller chercher et bruler des plants de cannabis non cultivés et non fumables ».
« La pratique actuelle de ne plus rapporter ces chiffres donne aux Américains peu d’information sur la manière dont la DEA utilise ses ressources, conclut Donigian, et cache la quantité d’argent dépensée pour une pratique incompréhensible ».
3. Le gouvernement Obama affirme dépenser davantage pour la prévention que pour la répression, ce qui est faux.
Ce changement, affirment les soutiens d’Obama, est le premier de ce genre, et un indice fort qu’Obama veut sérieusement une réforme (et non la fin) de la guerre contre la drogue. C’est un point tellement important, en fait, que Kerlikowske, les acteurs majeurs du milieu de la désintoxication (qui en sont tous bénéficiaires), et les journalistes mainstream l’ont tous repris en chœur.
Au juste, est-ce exact ? Non, même pas en partie. John Walsh, de l’ONG Washington Office on Latin America a passé en revue la stratégie d’Obama pour 2012 et a conclu que, si le budget de l’année fiscale 2012 avait alloué 10 milliards de dollars pour la prévention et les traitements, contre 9,3 milliards pour la répression domestique, ces deux lignes budgétaires ne racontent pas toute l’histoire.
« L’État fédéral dépense aussi des milliards chaque année pour des efforts d’interception et de réduction de l’offre à l’étranger », écrit Walsh, « et les collectivités locales comme les États fédérés dépensent d’autres milliards supplémentaires pour la répression, et notamment l’incarcération, dans le but de réduire la disponibilité de la drogue ».
Qui plus est, Walsh a écrit : « Le prédécesseur d’Obama à la Maison Blanche, George W. Bush, aurait pu affirmer la même chose durant son second mandat. Entre les années fiscales 2005 et 2008, les dépenses fédérales pour réduire la demande ont dépassé les dépenses de répression, d’une moyenne de 1,2 milliard chaque année ; les chiffres figurent dans le document budgétaire qui accompagne la nouvelle stratégie ».
En fait, quand on les compare, la guerre d’Obama contre la drogue ressemble beaucoup à celle de Bush :
En prenant en compte les programmes de contrôle international de la drogue, et les dépenses fédérales relatives à son interception, il est clair que les efforts de « réduction de l’offre » continuent à recevoir la plus grande partie de l’argent dédié au contrôle de la drogue. En se basant encore sur les chiffres de l’historique du budget fournis avec la nouvelle stratégie, pour 2008, sous Bush, 58,8% (soit 13,236 milliards de dollars) du budget fédéral relatif aux drogues étaient alloués à la réduction de l’offre (répression intérieure, interception et programmes internationaux), contre 41,2% (soit 9,264 milliards) alloués à la réduction de la demande (traitement et prévention). La ligne budgétaire correspondante pour 2013 est plus grosse de 3,1 milliards, mais est répartie de manière identique, avec 58,8% (15,062 milliards) pour la réduction de l’offre, et 41,2% (10,538 milliards) pour la réduction de la demande.
La stratégie d’Obama pour 2013 comprend plus de 5,6 milliards de dollars pour l’interception et les efforts de contrôle de l’offre à l’étranger, ce qui, même en ajustant les chiffres par l’inflation, représente 6% de plus que les dépenses de Bush en 2008 pour les efforts à l’étranger et l’interception.
Gardez ces chiffres en tête quand Kerlikowske, Obama ou les soutiens du gouvernement vous diront qu’Obama a radicalement changé la politique de la drogue.
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Paru sur Reason.com sous le titre 3 Accounting Tricks the Obama Administration Uses to Hide the Cost of the Drug War.
Traduction : Benjamin Guyot pour Contrepoints