PRÉPARER LES
LECTEURS DE DEMAIN
La réforme du CNL et ses implications sur la visibilité et les conditions
d’existence institutionnelles de la poésie ont fait couler ces derniers mois
beaucoup d’encre. Je ne me prononcerai pas sur la légitimité des procès intentés
par ceux qui croyant mortellement menacée l’avenir de notre poésie ont eu, quels
que soient leurs possibles excès, le mérite d’attirer l’attention des pouvoirs
publics et d’amener la toute nouvelle ministre de la culture, Aurélie
Filippetti à suspendre la réforme projetée et à proposer surtout qu’il en soit
discuté dans le cadre d’une vaste concertation.
Chacun s’accordera sans doute à penser que si l’ancien système permettait
assurément de soutenir l’existence de ce genre si particulier, si populaire au
niveau du discours mais si confidentiel au plan économique, ce système délicat
et complexe n’en était pas pour autant parfait. Toute aide est bien entendu
sélective. Et de nature à susciter les critiques de ceux qui à tort ou à raison
n’en bénéficient pas. Toute aide suscite aussi des convoitises et tend à
développer des stratégies visant à en obtenir la meilleure part. Les mieux
informés, les mieux introduits en profiteront toujours davantage bien entendu
que les autres. Tout cela est connu. Et chacun illustrera selon son expérience,
sa connaissance des choses et sa position dans le système, ces remarques toutes
bêtes.
Je voudrais plutôt attirer aujourd’hui l’attention sur la situation du livre de
poésie à l’école. Pour tenter de faire vivre depuis plus d’une quinzaine
d’années avec l’appui du Printemps des Poètes et le soutien officiel du
Ministère de l’Éducation nationale, le Prix des Découvreurs, prix de lecture de
poésie contemporaine destiné aux collégiens de troisième et aux lycéens, j’ai
pu réaliser à quel point les bibliothèques d’établissements, les fameux CDI,
étaient pauvres sinon misérables en terme de proposition d’ouvrages de poésie
contemporaine. Là où certains établissements croulent sous le nombre de livres
appartenant au secteur si bien portant de la littérature dite de jeunesse, il
n’est pas rare de constater qu’ils ne possèdent aucun ouvrage de poète
contemporain vivant, qu’il soit français ou étranger. Chaque année alors que
les établissements n’éprouvent à ma connaissance jamais de difficultés à
trouver les fonds ou les dotations leur permettant d’offrir aux élèves un choix
plus ou moins judicieux de romans ou de récits, parfois rapidement traduits, de
ce qui relève quand même d’une littérature de consommation trop souvent
fabriquée pour répondre d’abord aux attentes supposées des publics adolescents,
beaucoup de responsables de CDI m’informent qu’il leur est impossible de faire
participer leurs élèves au Prix des Découvreurs faute de moyens pour acheter
les livres.
Une telle situation est déplorable. Car elle touche un public potentiel, celui
de l’avenir, que seule ou presque, l’école est en mesure actuellement de
tourner vers la poésie. Un public qui a bien besoin qu’on l’aide à se délivrer
des préventions de toutes sortes qui lui font voir la poésie comme une forme
dépassée et exagérément compliquée d’expression, une disposition sentimentale,
incompatible avec l’affirmation de sa virilité, qui l’interdit massivement au
public soi-disant masculin.
Chaque année quand je constate à quel point les jeunes gens et jeunes filles
qui ont participé aux Découvreurs sont parvenus grâce aux livres qu’on a réussi
à mettre entre leurs mains à élargir cette vision tellement étriquée de la
poésie, je me dis qu’il est bien dommage qu’on ne puisse donner à beaucoup plus
de ces jeunes la chance, du moins la possibilité, de découvrir à côté des
productions attendues des littératures trop bien accordées à leurs lecteurs,
ces livres inventifs, déroutants, questionnants, toujours autres, que sont les
vrais livres de poésie. Qui stimulent vraiment. Refusent les clichés
sociologiques. Les platitudes de tous ordres. Et engagent non seulement l’esprit
mais tout l’être dans une confrontation de Sujet à Sujet.
Y aura-t-il alors une place dans la concertation prévue par Aurélie Filippetti
pour que le désamour supposé de nos concitoyens pour la poésie soit aussi
questionné et traité à la base ? Pour que l’action du CNL ou de ce qui en
tiendra lieu tienne compte de la nécessité non seulement de voir publier des
livres, de soutenir les poètes qui en ont vraiment besoin, mais surtout de leur
assurer quand même de vrais lecteurs, et plus nombreux, demain.
[Georges Guillain ]
Georges Guillain est poète et chargé de mission, pour la promotion de la
littérature contemporaine, à la Direction Académique des Arts et de la Culture
de Lille, entre 1995 et 2010, il a fondé le Prix des Découvreurs, un prix
inscrit au B.O. de l’Education nationale, qui vise à introduire à l’école la
poésie de notre temps. Animateur de rencontres, il collabore aussi depuis
plusieurs années à la Quinzaine littéraire ainsi qu’à la revue Poezibao.
Son dernier livre, Avec la terre, au bout, Atelier La Feugraie, mars 2011, a été publié avec
l’aide du CNL.
Le
Prix des Découvreurs a introduit dans le milieu scolaire des représentants
majeurs de la poésie actuelle de langue française et fait entrer dans les CDI
des milliers d’ouvrages de poésie contemporaine.