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[Carte blanche] "préparer les lecteurs de demain" par Georges Guillain

Par Florence Trocmé

PRÉPARER LES LECTEURS DE DEMAIN 
 

La réforme du CNL et ses implications sur la visibilité et les conditions d’existence institutionnelles de la poésie ont fait couler ces derniers mois beaucoup d’encre. Je ne me prononcerai pas sur la légitimité des procès intentés par ceux qui croyant mortellement menacée l’avenir de notre poésie ont eu, quels que soient leurs possibles excès, le mérite d’attirer l’attention des pouvoirs publics et d’amener la toute nouvelle ministre de la culture, Aurélie Filippetti à suspendre la réforme projetée et à proposer surtout qu’il en soit discuté dans le cadre d’une vaste concertation. 
Chacun s’accordera sans doute à penser que si l’ancien système permettait assurément de soutenir l’existence de ce genre si particulier, si populaire au niveau du discours mais si confidentiel au plan économique, ce système délicat et complexe n’en était pas pour autant parfait. Toute aide est bien entendu sélective. Et de nature à susciter les critiques de ceux qui à tort ou à raison n’en bénéficient pas. Toute aide suscite aussi des convoitises et tend à développer des stratégies visant à en obtenir la meilleure part. Les mieux informés, les mieux introduits en profiteront toujours davantage bien entendu que les autres. Tout cela est connu. Et chacun illustrera selon son expérience, sa connaissance des choses et sa position dans le système, ces remarques toutes bêtes.  
Je voudrais plutôt attirer aujourd’hui l’attention sur la situation du livre de poésie à l’école. Pour tenter de faire vivre depuis plus d’une quinzaine d’années avec l’appui du Printemps des Poètes et le soutien officiel du Ministère de l’Éducation nationale, le Prix des Découvreurs, prix de lecture de poésie contemporaine destiné aux collégiens de troisième et aux lycéens, j’ai pu réaliser à quel point les bibliothèques d’établissements, les fameux CDI, étaient pauvres sinon misérables en terme de proposition d’ouvrages de poésie contemporaine. Là où certains établissements croulent sous le nombre de livres appartenant au secteur si bien portant de la littérature dite de jeunesse, il n’est pas rare de constater qu’ils ne possèdent aucun ouvrage de poète contemporain vivant, qu’il soit français ou étranger. Chaque année alors que les établissements n’éprouvent à ma connaissance jamais de difficultés à trouver les fonds ou les dotations leur permettant d’offrir aux élèves un choix plus ou moins judicieux de romans ou de récits, parfois rapidement traduits, de ce qui relève quand même d’une littérature de consommation trop souvent fabriquée pour répondre d’abord aux attentes supposées des publics adolescents, beaucoup de responsables de CDI m’informent qu’il leur est impossible de faire participer leurs élèves au Prix des Découvreurs faute de moyens pour acheter les livres.  
Une telle situation est déplorable. Car elle touche un public potentiel, celui de l’avenir, que seule ou presque, l’école est en mesure actuellement de tourner vers la poésie. Un public qui a bien besoin qu’on l’aide à se délivrer des préventions de toutes sortes qui lui font voir la poésie comme une forme dépassée et exagérément compliquée d’expression, une disposition sentimentale, incompatible avec l’affirmation de sa virilité, qui l’interdit massivement au public soi-disant masculin.  
Chaque année quand je constate à quel point les jeunes gens et jeunes filles qui ont participé aux Découvreurs sont parvenus grâce aux livres qu’on a réussi à mettre entre leurs mains à élargir cette vision tellement étriquée de la poésie, je me dis qu’il est bien dommage qu’on ne puisse donner à beaucoup plus de ces jeunes la chance, du moins la possibilité, de découvrir à côté des productions attendues des littératures trop bien accordées à leurs lecteurs, ces livres inventifs, déroutants, questionnants, toujours autres, que sont les vrais livres de poésie. Qui stimulent vraiment. Refusent les clichés sociologiques. Les platitudes de tous ordres. Et engagent non seulement l’esprit mais tout l’être dans une confrontation de Sujet à Sujet. 
Y aura-t-il alors une place dans la concertation prévue par Aurélie Filippetti pour que le désamour supposé de nos concitoyens pour la poésie soit aussi questionné et traité à la base ? Pour que l’action du CNL ou de ce qui en tiendra lieu tienne compte de la nécessité non seulement de voir publier des livres, de soutenir les poètes qui en ont vraiment besoin, mais surtout de leur assurer quand même de vrais lecteurs, et plus nombreux, demain.  

[Georges Guillain ]
 
Georges Guillain est poète et chargé de mission, pour la promotion de la littérature contemporaine, à la Direction Académique des Arts et de la Culture de Lille, entre 1995 et 2010, il a fondé le Prix des Découvreurs, un prix inscrit au B.O. de l’Education nationale, qui vise à introduire à l’école la poésie de notre temps. Animateur de rencontres, il collabore aussi depuis plusieurs années à la Quinzaine littéraire ainsi qu’à la revue Poezibao. Son dernier livre, Avec la terre, au bout, Atelier La Feugraie, mars 2011, a été publié avec l’aide du CNL. 
Le Prix des Découvreurs a introduit dans le milieu scolaire des représentants majeurs de la poésie actuelle de langue française et fait entrer dans les CDI des milliers d’ouvrages de poésie contemporaine. 


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