Comme chaque année depuis 15 ans, le Festival « Voix de la Méditerranée » a eu lieu à Lodève (à ne pas confondre avec celui de Sète).
Cette année, on a pu entendre et rencontrer Jacques Roubaud, l’invité d’honneur, Paul Louis Rossi, mais aussi Rachid Boujedra, Bernard Chambaz, Isabelle Garron, Mordechaï Geldman, James Sacré… On a pu y remarquer également en soirée la chanteuse de fado moderne Misia, le poète et ténor galicien Antonio Placer, le spectacle Soleils, à rebours de la poésie algérienne de la compagnie Choliambre … parmi d’autres.
La programmation poétique était due en particulier à Marc Delouze, ainsi qu’à Edith Azam, Marie Poitevin… et à un comité international présidé par Julien Blaine. On peut trouver dans l’anthologie du Festival, éditée par La Passe du Vent, un texte de chacun des poètes invités. Le Musée de Lodève accompagnait la manifestation par une exposition en hommage au peintre belge néo impressionniste Théo Van Rysselberghe(1862-1926). Quant à la dynamique et chaleureuse librairie de la ville, qui exposait les ouvrages des auteurs, elle fut un lieu permanent de rendez-vous et de rencontres spontanées.
Comme il ne nous est pas possible de rendre compte de tout, nous ne retiendrons, de ce foisonnement généreux, de cette ville à la fois discrète et superbe, qu’un auteur, Ali Podrimja, dont la disparition dramatique a bouleversé les festivaliers, un spectacle déjà cité, Soleils… et un lieu, le cloître de la Cathédrale Saint-Fulcran, typique du gothique médiéval, où se tenaient des lectures le soir.
Commençons par le Cloître, dont nous n’évoquerons que la magie, quand le ciel du crépuscule s’animait tout à coup d’un vol d’oiseaux impérieux, que le soir tombait sur les auditeurs assis entre les fleurs, sur les poètes et les comédiens éclairés par des chandelles.
Le spectacle Soleils, à rebours de la poésie algérienne, créé à l’occasion de l’indépendance algérienne, sur une idée et d’après un montage de Samira Negrouche, fut donné lui aussi dans un cadre magnifique, le Jardin de la Mégisserie, dont le bâtiment était autrefois dédié au traitement des peaux et des cuirs. Les arbres, le ciel, les oiseaux, et ce soir-là un peu de vent, accompagnaient le comédien metteur en scène Dominique Delpirou et la musicienne Françoise Rivalland. Comment rendre compte du bonheur éprouvé durant cette soirée ?La musicienne, assise derrière ses instruments, percussions et santour, est sur scène à l’arrivée du comédien qui s’immobilise et demeure un moment silencieux, concentré, instaurant immédiatement de la part du public une attention qui ne se démentira pas. Puis il dit ou il lit les poèmes retenus, une heure durant, peut-être davantage, debout, ou bien assis sur des sièges disposés comme pour des haltes dans un parcours. Mais il les dit ou il les lit à la manière d’un amoureux de la littérature, c’est-à-dire à la manière de quelqu’un qui donne sa pleine mesure aux textes, qui ne leur vole pas la vedette, mais qui, bien au contraire, s’efface. Qui s’efface et pourtant qui existe fortement, dans la douceur et dans la fermeté, dans la complicité avec la musicienne qui elle non plus n’envahit rien, dont la musique contemporaine n’est pas illustration mais contrepoint, dont la présence physique, humaine, dit l’intérêt qu’elle porte à la dramaturgie, aux relations entre le texte, la voix, la musique et les gestes.
Parmi ceux qui étaient au programme, (Youcef Sebti, Mohamed Dib, Jean Sénac, Jamel-Eddine Bencheikh, Tahar Djaout, Ahmed Azeggagh, Rabah Belamri, Kateb Yacine, Djamel Amrani, Anna Gréki, Bachir Hadj Ali, Malek Haddad, Jean Amrouche, Noureddine Aba, Ismaël Aït Djafer, Myriam Ben, Nabile Farès, Samira Negrouche), nous retiendrons six auteurs, dont voici les textes :
Je suis né dans l’enfer
j’ai vécu dans l’enfer
et l’enfer est né en moi
et dans l’enfer
sur la haine -ce terreau qui flambe-
ont poussé des fleurs.
Je les senties
je les cueillies
et en moi a circulé
l’amertume.
Arrêt. Souffle. Ombre.
Espoir. Départ. Recommencement.
Amours perdues. Amours dérobées. Amours possibles.
Sur le chemin d’un recommencement
sur le chemin d’une lutte
j’ai débouché sur la folie.
J’ai plongé dans la folie
et j’en ai ramené des algues.
Et l’enfer se continue …
Du brasier à la mer
de la mer au brasier
de la combustion
a l’immersion,
l’enfer demeure
et les insurgés
ont pour destinée la folie…
Youcef Sebti est né en 1943 à Boudious. Etudes d’Agronomie et de Sociologie rurale. Auteur d’un recueil de poésie L’enfer ou la folie publié en 1981 à la SNED et réédité en 2003 aux éditions Bouchène. Il a été assassiné dans la nuit du 27 au 28 décembre 1993, égorgé par des extrémistes islamistes.
Ne demandez pas
Si le vent qui traine
Sur les cimes
Attise un foyer ;
Si c’est un feu de joie,
Si c’est un feu des pauvres
Ou un signal de guetteur.
Dans la nuit trempées encore,
Femmes fabuleuses qui
Fermez vos portes,
Rêvez.
Je marche, je marche :
Les mots que je porte
Sur la langue sont
Une étrange annonce
Mohamed Dib est né à Tlemcen en 1920, écrivain et poète, auteur d’une œuvre majeure. Il écrit ses premiers poèmes en 1934. Son premier recueil de poésie Ombre gardienne a été préfacé par Louis Aragon et publié en 1960 aux éditions Gallimard. Ses œuvres complètes Poésies ont été publiées en 2007 par les éditions de La Différence à Paris. Il est décédé en 2003 en France.
Nous tapis dans la parole qui se fissure
Murmurant nos îles fables et nous ouvrant sur le sable
A la semence des départs
Nous mendiants d’infime beauté
Poignet et chevilles marqués de l’angoisse
Des labyrinthes
Nous reins étoilés de fatigue
Qui échangeons le miel de nos sexes avant
D’écouter à la conque
Nous qui méritons l’incandescence
Et déchiffrons la prophétie à l’aigle
Jailli des prunelles
Nous porteurs d’imminence
Qui chutons du vertige enlacés au moment
De prendre naissance l’un de l’autre
Nous qui regardons la mort nous dissoudre
Au dehors de nous au dessous de nous et nous tendre
La triple image
Sans que nous sachions comprendre le tatouage
Entre les yeux
Le nuage profond des paupières sui promet le
Regard
Le fard des lèvres qui assèche la parole
Nous qui pactisons avec le désert avec le sel
Et la ronce
Qui écoutons le tambour des sables nouer
L’angoisse à la ferveur et rythmer
Nous qui sommes
Jamel-Eddine Bencheikh est né en 1930 à Casablanca. Il est poète, écrivain et spécialiste de la poétique arabe. Après avoir entamé des études de Médecine à Lyon, il revient à Alger pour étudier l’arabe et le droit. Il s’impose un exil volontaire pour protester contre les restrictions de libertés imposés par le régime de Boumediene. Les éditions Tarabuste ont publié son œuvre poétique en trois volumes : Le silence s’est déjà tu, suivi de L’homme-poème en 2002, Sans répit de lumière en 2003 et Métamorphose de la mort en 2010. Il est décédé à Tours en 2005.
Paranoïa mon amour !
Paranoïa verticale !
(Ce-très tôt- fut
Un mur dont j’examinai la prison
Après retraite des épaules
Aveugle infiniment
Nu jusqu’au feuillage du ciel
Nulle lézarde !)
… Patienter, ou rebrousser ?
… Aller «ailleurs» ?
… Ailleurs, linéairement ?
… Reculer pour mieux sauter ?
… Sauter quoi : le «Néant» ?
… Camper ?
… Camper à l’ombre du désert ?
… Pactiser avec l’ombre jusqu’à désert de soi-même ?
… Tout outil est une clef …
… Mais quel outil ? OU EST LA CLEF ?
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