Pour expliquer pourquoi je vais parler du livre
cité dans l’en-tête de cet article, je me dois de revenir dans mon passé trouble (?! juste un effet de style, imaginez le brouillard et les croassements de corbeaux), à l’époque
de mes fréquents sauts de puces entre les genres littéraires, lors de mon
apprentissage de l’amour de la lecture, cette époque agitée où l’Homme se
cherche encore : il faut remonter à mon enfulte/adulescence.
J’ai commencé à lire plus par mimétisme et dépit que par
passion, voyant ma mère, mon père, mon frère, ma sœur, absorber des livres
jusqu’à des heures indues, me laissant ainsi une bibliothèque largement fournie.
Agatha Christie, Boileau-Narcejac, Catherine Missonnier, Evelyne Brisou-Pellen
et Daniel Pennac furent mes premiers coups de cœur, et m’orientèrent vers une appréciation
des romans policiers, d’enquêtes
abracadabrantesques, vers des contrées moyenâgeuses et des aventures épiques
que je m’efforce aujourd’hui de transmettre aux enfants que je conseille dans
mon rayon jeunesse.
Puis un auteur anglais insignifiant que vous ne connaissez
certainement pas du nom de J.K. Rowling m’a plongé la tête dans un lac où nageaient
magiciens, elfes, géants, monstres et loups-garous, de quoi étoffer mon amour
du merveilleux, déjà alimenté par les contes et légendes mythologiques
ingurgités pendant la petite enfance.
Puis j’ai découvert tout un univers d’auteurs dont l’imagination
frôlait la sorcellerie, vu la manière simplement enchanteresse qu’ils avaient
de faire évader votre esprit de la cage terre à terre qu’est votre corps de
petit humain. Les noms des genres qu’ils prônaient étaient aussi exaltants que
leurs livres : fantasy, fantastique, science-fiction.
Puis, m’étant largement délectée de ces genres, j'ai tenté vers l’âge de 16 ans de lire quelques autres textes qui renoueraient
avec mes lectures d’enfance. Ayant les hormones d’une adolescente en
ébullition, je me suis ruée sur les Jane Austen qui traînaient, et puis j’ai
découvert ce qui restera ma Bible, j’ai découvert Charlotte Brontë.
J’avais de vagues souvenirs d’enfance du film Jane Eyre, avec
Charlotte Gainsbourg et William Hurt. Notamment cette scène terrible où l’on
enferme Jane Eyre, encore petite, dans « la pièce rouge », présumée
hantée, juste après l’avoir battu sans ménagement.
C’était la couverture du film sur le livre, qui avait déjà
les pages jaunies et pris un peu la poussière sur l’étagère de la bibliothèque de ma sœur. J’ai
commencé, et je crois que c’est et ça restera la lecture la plus addictive que
j’ai connu. Et le seul livre que je relis régulièrement – car je ne relis
jamais mes livres.
Alors plus tard, je n’ai pas hésité à me jeter sur un livre au titre qui sentait bon la nostalgie de ma dépendance, à la couverture exubérante qui fleurait bon le livre bien barré : il s’agissait de L’Affaire Jane Eyre, de Jasper Fforde. Je ne me souviens pas qui a eu la fulgurance de l'acheter, certainement ma sœur qui a toujours su dénicher de bons romans,
et a toujours été mon dealer de livres jusqu’à ce que je puisse m’en payer
moi-même.
Et L’Affaire Jane Eyre, mes amis, c’est une œuvre de fiction
purement géniale, et je pèse mes mots.
Il y a des auteurs dont le bulbe fêlé cache une imagination
hors du commun et beaucoup d’idées. Ils les mettent par écrit, puis
débroussaillent, expurgeant le trop plein d’excentricité et d’absurdité, ne
gardant que le meilleur. Et il y a ceux qui se servent de toute leur matière
première pour en faire un roman purement absurde, excentrique, littéraire, sans
un seul faux pas. C’est le cas de Jasper Fforde.
Souvenez-vous, j’avais mentionné ce livre dans mon article sur Sans parler du chien de Connie Willis il y a peu. Voilà, on y est. J’ai décidé d’en
parler, suite au revival de Jane Eyre au cinéma (Michael est beau à croquer
mais ne surpasse pas William Hurt, et Mia Trucmachinchépakoi n’arrive pas à un
poil de nez de l’interprétation de notre frenchy Charlotte, mais bon le film
est beau quand même), suite encore au fait qu’on m’ait demandé ce livre trois fois ce
dernier mois (des enfants dont l’institutrice avait conseillé cette lecture pour l'été –
qu’elle soit bénie par l’esprit des sœurs Brontë), et que la nouvelle apprentie
de ma librairie (ça y est, je forme une apprentie ! C’est mon tour,
youhouhouhou, hm.) m’a dit « hey, t’as du lire ça toi, non ? C’est
extraordinaire » et je n’ai pu que plussoyer, heureuse qu’elle ait de bons
goûts, en me disant « bon, elle a les bases, on va bien s’entendre ! »
(Quelle condescendance).
L’Affaire Jane Eyre, c’est toute une histoire.
Thursday Next
n’est pas une héroïne comme les autres. Tout d’abord elle est la fille du
Colonel Next, voyageur temporel, et nièce de Mycroft Next, scientifique fou qui
a inventé le papier carbone correcteur et une machine pour voyager dans les
univers littéraires. De plus, lorsqu’elle était petite, elle s’est
malencontreusement perdue dans un livre de Charlotte Brontë, Jane Eyre,
découvrant qu’elle avait la capacité de faire d’elle-même ce que son oncle s’était ingénié à inventer.
Vétéran de la Guerre de Crimée qui oppose l’Angleterre (et
non les Royaume-Unis qui n’existent plus, le Pays-de-Galle étant devenu une
démocratie populaire) à la Russie Impériale depuis plus de cent ans, célibataire trentenaire, elle vit avec Pickwick, son
dodo (un animal à la mode depuis que l’ingénierie génétique fait des miracles
et que l’on peut ressusciter et cloner les espèces disparues, comme les mammouths), et exerce le métier éreintant
de détective littéraire au sein du service des opérations spéciales de Londres (les SpecOps),
où elle lutte contre les contrefaçons, les fraudes et les vols d’œuvres littéraires.
La tuture appartient à monsieur l'auteur, lequel
l'a repeint comme celle de son personnage
Thursday Next dans le roman !
C’est ainsi qu’elle se retrouve confrontée à Achéron Hadès, sa Némésis, un
dangereux criminel qui s’en prend aux plus grands auteurs. Après avoir volé le
manuscrit de Martin Chuzzlewit de Charles Dickens qu’il a défiguré de l’un de
ses personnages, il part se cacher dans le manuscrit original de Jane Eyre pour
échapper à Thursday, menaçant ainsi de bouleverser l’entièreté du roman préféré
de notre héroïne.
Ce résumé, c’était pour faire simple.
Parce qu’en fait, c’est
bien plus tordu que ça, et tellement plus foisonnant ! L’Affaire Jane
Eyre, c’est un mélange de genres littéraires incroyable : de l’uchronie
(lorsqu’on modifie le cours de l’Histoire), du policier, de la science-fiction,
du fantastique, et même par moments du romantique. C’est de plus une ode à la littérature,
le roman faisant référence au monde littéraire de nombreuses façons, d’une part
par l’essence même du métier de son héroïne, mais aussi par le biais de petits
détails, les noms des personnages, les situations, et si vous êtes un amateur
de littérature, vous serez comblé par cette hymne de Jasper Fforde.
Et cet auteur est en plus un véritable anglais ! Il manie un humour propre à son pays, sophistiqué, subtil, parsemé de jeux de mots qui éclaboussent tous les dialogues, de situations
irrévérentes et d’une absurdité digne des Monty Python. Lors d’une critique, un
journaliste anglais s’est même demandé si Fforde était plus un « Monty
Python croisé avec Terry Pratchett ou bien J.K. Rowling mélangée à Douglas
Adams.»
Et si aucun de ces termes ne me convient complètement, je comprends
cette comparaison. On ne peut s’empêcher de cherche à le comparer à de grands
auteurs de genres apparentés vu comme lui-même tire son imagination et son inspiration de
leurs œuvres.
Mais je dirais que ce roman hybride de Fforde est tiré de son imaginaire repu d’œuvres de toutes sortes et origines, pas seulement de
romans fantastiques et humoristiques, il tire son inspiration de Shakespeare,
des sœurs Brontë, de Dickens et Wilkie Collins, de Lewis Carroll et de Jerôme
K. Jerome, de la littérature fondatrice du roman anglais par excellence, en
plus de son goût immodéré pour la science-fiction et le fantastique.
De quoi
ravir ceux qui se délectent de littérature classique et de grands romans
gothiques, on trouve de tout dans ce roman de Jasper Fforde, mais surtout on y
trouve une œuvre innovante, surréaliste, débridée, qui mérite qu’on lui fasse
une place dans le panthéon des grands auteurs anglo-saxons, et surtout qu’on le
lise et le reconnaisse pour son génie (je vous disais bien que je pesais mes mots).
Alors n’hésitez pas à lire l’Affaire Jane Eyre, en poche
chez 10/18, premier tome d’une saga de six romans, et même si les derniers sont
un peu décevants, ce premier opus de Thursday Next est un coup de génie qui
vous donnera envie de rire, et de lire, encore et encore, sans s’arrêter, comme moi quoi.
Une affiche pour une dédicace du Jasper Fforde, j'admire l'imagination déployée, et espère un jour avoir le même honneur !