Séance de rattrapage, messieurs dames.
Il est des livres que l’on recommande chaudement à ses amis,
quelques soient leurs goûts. Ce sont simplement des ouvrages d’une telle
qualité – à mes yeux – qu’ils méritent d’être lu, ou du moins notifiés,
martelés, à nos amis lecteurs, parce qu’ils se doivent, sinon de les lire, au
moins de savoir que ces livres existent, et qu’ils n’attendent que leurs nerfs
optiques.
C’est pourquoi, je fais une séance de rattrapage. Je passe
en revue ma bibliothèque personnelle (toujours ma magnifique Expedit, laquelle a souffert de quelques
déménagements mais est fidèle au poste, prenant poussières et poils de chat solennellement)
pleine à craquer de livres non chroniqués, et m’arrêtant sur ceux qu’il est
outrageant d’avoir oublié. Bon, y en a un paquet, mais parfois je n’ai pas le
courage de vous décortiquer certains livres. L’inspiration, vous savez, ce
genre de choses. Il y en a que j’ai adoré, mais quand j’essaye de me remémorer
ce que j’ai aimé dans leur lecture, je ressens comme un courant d’air entre mes
deux oreilles et j’entends siffler le train (3 fois ?)… alors je préfère
passer à autre chose. Et je remarque que le nombre de livres des genres littératures
classique et contemporaine prend le pas sur mon genre favoris, la littérature
de l’imaginaire, ce qui me chagrine, et perturbe l’esthétique de mes étagère
aussi… le code couleur tout ça tout ça… hm bref.
Mais cela va changer ! Dès que tous mes (satanés) représentants
reviennent de vacances (hmpf, franchement,
y a des gens qui travaillent en août, non mais.) je me mets au harcèlement
pour recevoir le plus de services de presse et pouvoir ingérer ma littérature
de prédilection à outrance, de quoi remplir le ventre vide de ma bonne vieille Expedit, satisfaire mon appétit et
redonner du lustre au nom de ce site, nom d’un bitoniau Ikéa.
Mais je m’égare.
Le livre que je vais présenter aujourd’hui rentre donc dans
cette catégorie (pour récapituler : celle des masterpieces oubliés de ma bibliothèque) et je suis d’autant plus
confuse qu’il s’agit du livre d’un grand auteur particulièrement admiré pour
son œuvre. Il écrit des polars, de la science-fiction, du fantastique, de l’historique,
il navigue entre les eaux mythologiques et les courants dickensiens, il s’agit
en fait de Dan Simmons.
Je l’ai découvert avec L’échiquier du mal, chef-d’œuvre du
genre fantastique, mais je l’ai encore plus apprécié avec Terreur.
Terreur n’est pas la première œuvre géniale de Dan Simmons :
le personnage est connu pour avoir signé la série Hyperion,
Ilium, Drood, ou encore, comme cité précédemment L’échiquier du mal, toutes des œuvres
que vous trouverez dans vos (bonnes, uhuh, soyons prétentieux) librairies, des
piliers fondateurs dans leurs genres respectifs.
Terreur est un peu différent, Terreur s’inspire d’un fait historique réel, mélange mythologie
inuit et roman d’aventure maritime, parfumé d’une horreur tenace, et d’un
suspens terrifiant. Car Terreur
relate l’histoire de l’expédition
Franklin, une flotte de deux bombardes – le HMS Erebus et le HMS Terror,
partie en 1845 pour trouver le passage de Nord-Ouest, passage polaire qui relie
l’océan Atlantique à l’océan Pacifique. Malheureusement, ce passage n’est
praticable qu’en été et la plupart du temps prit par les glaces en hiver. Bien-sûr, lorsque le commandant Franklin – commandant anglais de
grande renommée - est parti avec ses deux navires, accompagné d’un équipage de 128
hommes, il ne s’attendait pas à rester coincé dans les glaces.
Pour les curieux, cette expédition a donc réellement existé,
et sa fin est plutôt tragique. Personne n’a jamais retrouvé les deux navires de
l’expédition, seuls quelques objets ont été trouvés à plusieurs kilomètres de la
disparition présumée des vaisseaux. Franklin avait négligé l’organisation de
son expédition, et surtout de laisser des notifications de voyage derrière lui,
chose qu’il était censé faire pour qu’en cas de besoin on puisse remonter à lui.
Jusqu’à présent les chercheurs ne font que supposer les conditions de l’expédition,
le temps qu’a duré l’agonie des survivants, et la chronologie des faits selon
les détails trouvés pendant les recherches. A partir de là Dan Simmons imagine
ce qui aurait pu se passer. Et c’est plutôt… terrifiant ! (eh ouais ! le titre est bien trouvé)
Deux navires pétrifiés dans les glaces, 128 hommes attendant
un dégel (qui n’arrivera certainement jamais avant leur mort) dans un froid
variant entre 0 et -40°c, en proie au scorbut, à la faim, à la folie… et à une
chose plus inquiétante encore. Dans son roman, quelque chose de surnaturel, une
entité, que tous les marins décrivent comme une monstrueuse montagne blanche, s’en
prend à l’équipage des deux vaisseaux, ne laissant derrière elle que des
cadavres amputés et mutilés. L’expédition Franklin essaye de rationaliser :
un ours blanc certainement. Certes, il est très gros. Et très grand. Et ne
ressemble pas à un ours. Quoi d’autre sinon ? Ou bien l’équipage aurait-il
dérangé quelque dieu païen ? Est-ce un démon ? Et pourquoi cette
créature s’en prend-t-elle à eux ?
Le roman est épais, 720 pages (en livre de poche chez Pocket, un petit pavé quoi) pour raconter ce sursis avant
la mort. Simmons s’est extrêmement bien documenté pour l’écrire, voulant rester
fidèle à la réalité (supposée) des faits, malgré l’intervention de son
imagination : la créature blanche, ce monstre qui illustre son art
parfaitement maîtrisé du genre horrifique. Il prend pour personnage principal
Francis Crozier, le capitaine du HMS
Terror, grand explorateur de la Navy britannique,
malheureusement peu reconnu par ses pairs malgré ses nombreuses expéditions,
personnage le plus attachant, peut-être pour sa conception plus morale du
monde, et son désir d’aider son équipage à sortir du tombeau dans lequel il les
a mené avec Franklin. Dans sa biographie officielle, il est déclaré comme
décédé « vers 1848 »… Dan Simmons relate trois années de survie. Une survie
difficile, parsemée de tentatives pour trouver du secours, toutes ratées. Une survie
mise en difficulté par la maladie qui ronge, par la violence de la folie des
hommes, que la terreur, et surtout la famine, peuvent rendre plus dangereux
encore que le mal qui rôde autour des bateaux.
Après de nombreuses recherches d’experts, la cause la plus
probable de la mort des trois quarts de l’équipage reste la maladie, l’empoisonnement,
la faim et le froid. C’était le début de l’utilisation des boîtes de conserves,
qui étaient faites en plomb et parfois mal soudées, qui a contaminé une bonne
partie de la nourriture. Les pneumonies, le scorbut (une carence en vitamine C
qui tue lentement et de manière sale et sanglante…), feront les premières
victimes. Le temps fera le reste. Sur quelques os trouvés près du lieu des
naufrages, les chercheurs ont aussi trouvé des traces de dents… de quoi
alimenter l’horreur du récit.
Le roman de Dan Simmons est tout simplement fascinant. Je crois
que son caractère véridique et historique a finit de m'envoûter, et l’horreur
de la situation qu’a vécu l’équipage des deux navires est finalement adoucie par le côté fantastique du récit de Simmons. Il est plus facile de rester
stoïque face aux attaques d’une monstruosité polaire sans nom plutôt que d’imaginer
ce qu’ont enduré ces marins affaiblis par le saturnisme, se mourant atrocement
du scorbut, les os gelés par le froid, l’estomac tenaillé par la faim, s’entre-déchirant
pour assurer leur survie.
J’ai refermé Terreur le ventre noué, l’esprit engourdi,
encore piquée par les morsures du froid polaire, les yeux éblouis par le blanc
immaculé des banquises, entendant encore les échos de la glace qui craque.
Simmons a le don de vous plonger dans son récit, de vous placer à côté de ses
acteurs, de vous faire ressentir la douleur de leur supplice. Mais je l’ai
surtout refermé en me disant que je venais de lire un livre captivant, j’étais obsédée
par cette expédition, j’avais envie de découvrir si l’on connaissait aujourd’hui le
fin mot de cette histoire tragique. Je me suis donc précipitée sur la
documentation, pour me rendre compte qu’aujourd’hui encore le mystère persiste,
des expéditions de recherche canadiennes tentent toujours de situer les
épaves. Des sépultures, des traces de passages ont été trouvé à plusieurs endroits,
ce qui a permis de présumer de l’endroit où se sont retrouvés bloqués les
navires. Mais malgré la technologie de recherche avancée de notre siècle, les
deux épaves n’ont jamais été retrouvées.
De quoi laisser rêveur.
Pour les curieux, l'article de Wikipedia est plutôt complet et bien fait :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9dition_Franklin