Fantômes et au-delà
Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas ressenti le genre de frissons que j’ai ressenti en lisant ce livre là. Il m’a même donné la chaire de poule une fois. Bon, j’ai fait l’erreur de le lire tranquillement dans mon lit, à la lumière tamisée de ma lampe de chevet, recroquevillée sous ma couette pour échapper au froid mordant de la pièce (non, je n’ai toujours pas allumé le chauffage, je fais des économies d’énergie tant que je peux, et mon compte en banque m’en remerciera un jour), avec pour seul accompagnement sonore les craquements du plancher et les ronflements ténus de mon félin domestique, roulé en boule au pied du lit. Donc, je lisais mon livre, et je sentais cette présence qui hante le roman planer dans ma chambre, presque palpable, qui faisait se dresser tous les poils de mes avant-bras et me donnait un vague sentiment de malaise. Je me disais « Voyons Guixxx, ça fait longtemps que t’as plus peur des fantômes et des bêbêtes sous le lit, reprends-toi ! ». Oui parce qu’il faut savoir que Guixxx a longtemps été une grosse pleureuse. Premièrement j’étais persuadé depuis le visionnage d’un épisode d’Au-delà du réel que des monstres vivaient vraiment sous mon lit. Des trolls précisément. Parfois j’imaginais poser le pied sur la moquette et me faire attraper la jambe par une main aux ongles longs et crasseux, et je n’osais pas sortir de mon lit pour aller aux toilettes. Finalement, ma vessie au bord de l’explosion, je posais les deux pieds sur la moquette avec une agilité digne de Spiderman, filait d’un bon pas vers les water (dire Ouataire, comme mon pôpa), au passage j’allumais très vite la lumière du couloir pour éloigner les vampires (si si, une ampoule à économie d’énergie suffit à les éloigner je vous assure, dites ça à vos enfants ça les rassurera) puis je faisais mon affaire, pressait la chasse d’eau et me jetais hors de la pièce comme un diable sort de sa boîte, faisait le chemin jusqu’à mon lit en quatre bonds avant de sauter littéralement sur mon matelas, afin d’éviter le retour potentiel des mains de Troll. Parfois j’étais terrifiée en pensant qu’un voleur pouvait rentrer dans ma chambre dans mon sommeil, certainement venir voler mon portefeuille rose à pois avec mes pièces de 5 francs réservées aux bonbons de la boulangerie, et me poignarder en plein cœur. La nuit était parfois dure. Bon, donc j’étais une grosse pleureuse, mais une addiction pour la littérature fantasy/fantastique/sf et films du même genre m’a aidé à passer outre mes terreurs de jeunesse. Sauf que là, j’avais peur de voir surgir une ombre. Un ectoplasme. Je m’attendais à ce qu’il fasse claquer ma cuvette de toilette pour m’effrayer, prenne possession de Mimzi et que sa tête se mette à tourner à 360°. Bref ça m’a fait un effet bœuf cette lecture. Maintenant je sais que vous voulez savoir de quoi je parle. Il ne s’agit pas de l’un des romans fantastiques de Milady, ou bien d’un Nora Roberts qui aurait dégénéré en Amityville chez J’ai Lu. Non il s’agit du roman tout juste sorti en poche (10/18) de Sarah Waters : L’indésirable. Il m’avait fait de l’œil à sa sortie en 2010 chez l’excellent éditeur Denoël, mais j’étais quand même passée à côté. Donc je me suis rattrapée. Bon, voilà l’histoire en quelques mots. Après-guerre, dans le petit village de Lidcote dans le Warwickshire en Angleterre. Le docteur Faraday a été appelé à Hundreds Hall, la demeure de la grande famille des Ayre, pour soigner leur jeune domestique, Betty. C’est la première fois depuis presque trente ans que le docteur met les pieds à Hundreds, il se souvient avec tendresse de sa première visite aux Ayre dans son enfance et garde un souvenir émerveillé de cette grande demeure luxueuse et imposante qu’est le Hall. Mais après le passage de la guerre, le domaine n’est plus ce qu’il était, de même pour la famille Ayre, dont le fils gérant du domaine es revenu boiteux et brûlé. Mais Faraday va tout de suite s’attacher aux membres de la famille. Caroline, grande, solide et vigoureuse, au charme déroutant, la vielle Mrs Ayre, toujours aussi belle, élégante et fine que dans sa jeunesse, et même Roderick, avec sa fierté et son orgueil blessé par la guerre. Mais Hundreds Hall est une lourde charge dont il faut s’occuper. Avec le rationnement encore en vigueur et le peu de revenus que dégage le domaine, les Ayre sombrent petit à petit dans le dénuement. Et plus le Docteur tisse des liens avec cette famille, plus d’étranges faits se produisent, et poussent la famille au bord du précipice… Tout y est ou presque, le domaine avec son manoir gothique entouré de champs et éloigné de tout, avec ses longs corridors poussiéreux et ses dix pièces abandonnées, ses fuites au plafond et son décor délabré. Tout pour faire un bon manoir hanté. Et c’est ce qu’on se demande jusqu’à la fin, est-il hanté ! Le roman commence comme une histoire banale. La famille Ayre survit difficilement à la fin de la seconde guerre mondiale. L’ancienne Gentry anglaise (la haute bourgeoisie britannique) tombe dans la décrépitude alors que le socialisme est au pouvoir et le conservatisme au fond des tiroirs. Ils ont encore un statut fort et tout Lidcote leur voue un profond respect, mais ils vivent dans une pauvreté plus crasse que les ouvriers du village. Le docteur Faraday assiste, impuissant, à cette plongée en enfer de la famille, terrassée par le manque d’argent et qui s’accroche malgré tout à un ancien mode de vie qui n’est plus du tout adapté au monde actuel. Petit à petit, un mal invisible semble s’insinuer dans le manoir, des faits étranges surviennent et viennent perturber le quotidien des habitants du Hall, les poussant un par un à la folie. Non ce n’est pas un roman de fantômes, le coup de maître de Sarah Waters est d’avoir fait de Faraday, médecin de famille, personnage sensé et lucide, le narrateur de cette histoire. Chacun des faits étranges survenus à Hundreds est relaté par ce qu’il a entendu dire des habitants du Hall, mais en aucun cas ou presque Faraday n’a assisté aux phénomènes qui agitent le manoir. Il pose des explications logiques là ou le lecteur va commencer à se faire des idées et à voir des ectoplasmes dans tous les recoins de la maison. Sa description de la ruine qui frappe la famille au fil du roman est juste saisissante. La narration mêle donc habilement le contexte historique, les bouleversements d’une société, le déclin d’une classe, le développement d’un autre mode de vie et son effet sur les habitants d’un petit village qui en subissent toutes les conséquences, avec des passages clairement gothiques, où le fantastique s’étend subtilement, fait frissonner, fait battre le cœur plus vite et tourner les pages avidement avec une angoisse tenace. La question quand on referme le livre est : ont-ils tout imaginé ? N’était-ce que psychologique ? Se sont-ils précipités dans un gouffre tous seuls ou bien existait-il vraiment une malédiction dans la famille, un fantôme du passé, un mal qui les a rongé et les a poussé à l’anéantissement ? J’ai passé du temps à ressasser ma lecture, encore perturbée. Et j’adore ça. Seuls les livres qui m’ont véritablement marqué sont capables de me faire réfléchir au sujet encore deux jours après, et de me faire frissonner rien que de repenser à des passages particuliers du livre. Bref, un roman que j'approuve ! Et qui m'a foutu une trouille bleue par moments... Même qu’après je n’osais plus aller aux toilettes, et que les pas de Mimzi sur le plancher m’évoquaient un vampire tapi dans l’ombre… pour vous dire.Ah, et voilà ma première histoire de fantômes préférées, Ebenezer Scrooge et compagnie... les éditeurs nous abreuvent bien de livres de Noël dès fin octobre, alors vous n'allez pas y couper !