La vie secrète et remarquable de Tink Puddah, de Nick DiCharrio

Par Guixxx @zeaphra

Une part de ( Tink ) Puddah ?


Imaginez-vous devant la devanture de vieux bois verni de cette boutique. Vous poussez la porte et balayez la pièce du regard. Devant vous se dressent de hautes bibliothèques sur lesquelles dorment de lourds volumes aux dos multicolores et parés de lettres d’or. Sur votre droite, un comptoir de bois massif derrière lequel apparaît la silhouette affairée d’un libraire.  Vous faites un pas, le plancher grince, et la tête ensommeillée d’un chat apparaît au-dessus de la pile de livres qui encombre le grand fauteuil de velours rouge près de l’entrée. Il vous jette un coup d’œil suspicieux, puis ennuyé, avant de reprendre sa sieste, les oreilles chauffées par les rayons du soleil qui illuminent la pièce à travers les vitrines. Vous foulez doucement le sol, approchez d’une étagère bien remplie au ventre rebondie, prenez un livre au hasard, vous laissez retomber sur un bord du fauteuil moelleux, bercé par la musique ambiante, le silence de tous ces livres pourtant emplis de plus de mots que n’en contient votre vocabulaire, et vous ouvrez la première page, lisez la première ligne, décollez pour un autre univers…


C’est mon rêve. Depuis… fioutre ! Une sacrée lurette ! C’est pour ça que je dresse mon félin à être un bon chat de librairie. Dormir au soleil n’est pas un problème pour lui. Cesser de déchiqueter les livres aussi, mais depuis moins longtemps. J’ai encore quelques soucis en ce qui concerne les papiers volants, mais ça pourrait être une solution à quelques situations ennuyeuses, (mon chat à mangé ma facture *sic*)… Bref. Dans peu de temps, Guixxx va encore changer de cadre professionnel. Depuis l’ouverture de notre terrain de jeu immatériel, c’est la seconde fois. Guixxx va intégrer une boutique tout à fait agréable, renommée, de prestige dit-on. Mais Guixxx ne rêve que de mètres linéaires de romans de science-fiction et Fantasy à sniffer au petit-déjeuner. Guixxx est en manque. Bien, Guixxx se sèvre avec des produits de synthèse de grande qualité (certains disent de la « pure » même… chacun ses goûts), mais ça n’est pas toujours facile. Aussi Guixxx se fait quand même de temps en temps quelques lignes de SF. C’est pourquoi Guixxx a lu pour vous (et surtout pour elle-même !)  La vie secrète et remarquable de Tink Puddah. Mon représentant m’en avait fait une telle interprétation scénique qu’il me paraissait inconcevable de ne pas le lire après (l’image d’un VRP mimant de toute son âme la puissance d’un sac d’aspirateur m’est venu à l’esprit, mais passons sur ce sujet - d'autant plus que les représentants de livres vont se sentir insultés et vouloir me taper à coup de sac à aspirateur universel -....).



Initialement sorti chez Télémaque en 2010, j’ai pour ma part, et comme la moitié des français, dû attendre sa parution en poche chez Folio SF pour le découvrir. Je ne fais absolument pas de discrimination éditoriale, mais il est vrai que je me penche rarement sur les ouvrages Télémaque. Néanmoins ce titre exotique est aguicheur et la petite histoire de l’auteur est pour le moins convaincante, et pousse à se laisser tenter par une part de Tink Puddah. En effet, Nick DiChario a, selon nos sources, été finalistes

 de nombreux prix outre-Atlantique. Citons le World Fantasy Award pour commencer doucement, hein, puis le Hugo Award, et le J. Campbell Award, rien que ça. Alors on se dit que ça a plutôt intérêt à être bon, parce que sinon ça implique que le jury à des déjections canines dans les yeux et des goûts de fèces. Bref, de toute façon ce n’est pas son cv qui m’a fait craquer mais surtout la façon dont le nom de Tink Puddah roulait agréablement dans ma bouche. Il m’en faut peu à moi, parfois.

L’histoire de Tink est véritablement remarquable. D’une part parce que Tink est un extraterrestre bleu, débarqué sur terre en 1845, d’autre part parce qu’elle est selon moi d’une originalité peu commune dans la Science-fiction d’extraterrestres actuelle. Le roman débute avec l’enterrement de Tink Puddah. Tink Puddah a été abattu d’une balle en plein crâne (qu’il a aussi de bleu et dégarni si l’on excepte son maigre toupet de cheveux) quelques jours plus tôt.  Villageois ou bandits de chemins, nul ne sait. Tink était un personnage peu commun. Sa peau bleuâtre, son corps un peu difforme - comme si sa croissance n’avait jamais totalement aboutie -, avaient toujours poussé les gens à se tenir loin de lui. Et voilà qu’après sa mort, les gens évoquent cet étranger aux manières discutables (il ne croit pas en dieu, vit seul en faisant du troc, et il est bleu !) d’une façon tendre et émue. Et tous veulent faire la lumière sur son meurtre. Peu à peu, le roman le scinde en deux et on en apprend plus sur Tink Puddah. Une partie est contée par le curé du village où l’extraterrestre est mort, Jacob, et sur l’influence de Tink après sa mort. L’autre narre l’arrivée et l’enfance de Tink sur Terre, et comment il en est venu à s’installer dans ce petit village perdu de Pennsylvanie à la seconde moitié du XIXème siècle. L’histoire de Tink Puddah est une petite brise d’air frais dans le renfermé de la science-fiction (certains me trouveront catégorique, mais aujourd’hui j’ai besoin d’originalité pour finir mes lectures, j’ai lu trop d’œuvres de même inspiration). J’ai particulièrement aimé l’écriture de Nick DiChario (ou la traduction de son écriture ?), légère, fluide et vraiment agréable, sans fioritures et bien adapté à la simplicité de la situation du roman. Il se lit d’une traite, court et efficace, et on s’attache tout de suite à Tink, ce petit personnage bleu venu d’ailleurs, ainsi qu’aux autres personnages. Tink Puddah, c’est une histoire à la fois heureuse et malheureuse, de tolérance et de vengeance. Quoiqu’il en soit, il y a deux siècles, dans les années 80 de E.T. ou aujourd’hui, il est difficile d’être un petit extraterrestre à la peau bleu. Heureusement, Tink Puddah a plus d’un poil à son toupet. Et moi, je veux un Tink Puddah sur l’une des étagères ployant de ma librairie.

Maintenant relisez la description du début de l'article en écoutant Loreena McKennitt (que je suis allée voir jouer et chanter la semaine dernière au Grand Rex) et tout prendra son sens (celle-là est pour toi Luxie !)