Alors là, on ne peut pas dire que je l’ai fait exprès !
Je n’ai pas de détracteurs à Science-fiction, il s’agit
juste d’une (heureuse !) coïncidence.
Mais laissez-moi expliquer le contexte de cette exclamation :
Lorsque j’ai découvert les piles relativement instables de Services de presse qui
ornaient la table de ma librairie, je me suis dit « diantre, je n’en
viendrais jamais à bout ». Ma responsable m’a alors un peu parlé des
livres (qui ont une aura, à ce qu’il paraît) et m’a fortement encouragé à lire certains
titres en premier lieu. Il s’avère que Dieu sans les hommes faisait parti de
cette liste. Et ma responsable a été très perspicace (je soupçonne quand même très fortement un pur hasard…) lorsqu’elle m’a tendu le roman de Hari Kunzru après avoir zyeuté la quatrième de couverture et m’avoir
dit « tenez, ça, ça devrait vous plaire ».
Or, effectivement, cela m’a
plu, mais pas pour les raisons qu’évoquent la quatrième de couverture qui ne
rend absolument pas honneur au livre. On y parle d’un couple dont l’enfant de
quatre ans disparaît et s’enfonce dans la culpabilité, d’une rockstar en quête de rédemption et d’une
irakienne jouant à la guerre avec les Marines américain. Hm, dans le tas, seule
la rockstar en quête de rédemption m’a
tapé dans l’œil. Mais je me suis dit « pourquoi pas ? »
Mais concrètement, ce résumé est loin de rendre justice au roman, il est trop court, trop fermé, laisse imaginer la lecture d'un roman tout autre, et j’ai
compris que celui qui l’avait écrit cherchait certainement à toucher un public
très large, d’où la réduction à trois éléments distincts et sans liens apparents
de ce long roman aussi étendu que le désert de Mojave dans lequel il se situe.
Mais cette histoire là n’est qu’un aspect de ce roman à tiroir, où l’on passe chapitre après chapitre d’une époque à une autre, 1778, 1947, 1920, 1943, 1986, 2008, et où l’auteur attaque une Amérique sous plusieurs angles, sa colonisation, son incompréhension des indiens et ses rapports violents avec eux, sa volonté de croire à une nouvelle mythologie, sa décadence, sa mixité raciale, religieuse, sa passion pour l’art et la musique, ses guerres, ses préjugés, sa perfection comme ses nombreux défauts qui font ce qu’elle est aujourd’hui. Le Mojave et les événements étranges qui s’y passent ne sont qu’un prétexte pour raconter la vie de ces gens : la volonté de Dawn d’échapper au destin sans consistance qui l’attend au village et le réconfort qu’elle avait trouvé en devenant un Enfant de la lumière au sein de la communauté. Le traumatisme de Schmidt suite à la guerre où son travail a été exploité pour détruire des villes entières, et son espoir de rédemption. La lente dislocation du couple de Jaz et Lisa due à leur impuissance face à la maladie de leur enfant, ce qui n’a fait qu’exacerber les problèmes déjà présents : le rejet de Lisa et son enfant malade par la famille indienne Penjabi de Jaz, ou l’indécision de Jaz face à son boulot à Wall Street qui pourrait selon lui déclencher une crise incontrôlable. La détresse de Nicky qui ne sait plus pourquoi il fait ce qu’il fait, s’il est vraiment heureux de s’être éloigné de la femme qu’il aime pour s’enfermer dans un studio avec des musiciens drogués et alcooliques qui semblent avoir oublié le concept de l’amitié et de la liberté. L’attente de Laila dans ce pays en guerre contre ses origines, l’attente de l’arrivée de sa mère qui n’arrive pas à obtenir de visa, l’attente de quelque chose qui donnera un sens à sa vie de jeune adolescente. Et tous se rejoignent dans cet endroit catalyseur, les Pinnacles, endroit mystérieux, comme doté de magie, capable de bouleverser leur vie à jamais et de leur donner une direction à prendre. J’aime quand un brin de fantastique s’insère dans les rouages d’un roman comme celui-ci. J’aime que Kunzru laisse une porte ouverte à la fin de son récit, laissant au lecteur le soin de croire ce qu’il a envie de croire, tout comme ses personnages. Le pouvoir qu’il attribue au désert est totalement subjectif, modelé par ce que chacun à envie de voir et de croire. Au final, on ne saura jamais si les Pinnacles sont un vrai récepteur d’une énergie spirituelle quelconque, et comme toujours, ce sont les lieux les plus reculés, déserts, solitaires, où apparaissent les miracles, maisons hantées, villages fantômes, grottes, champs, déserts, ce sont toujours les mêmes histoires. Mais moi, j’adore ça ! Alors oui, vu tout ce que je vous ai raconté, le livre est dense, part dans plusieurs histoires aux nombreux méandres, mais l’écriture de Kunzru est très fluide, et ce qu’il écrit semble couler de source. Il sait vraiment manier la langue, passer d’un style à un autre selon les périodes de l’histoire, l’adapter aux situations selon les personnages qui les vivent, comme lorsque Lisa conte l’attente douloureuse du retour de Raj, mystérieusement disparu dans le désert. Sa narration devient complètement déconstruite à cause des médicaments qui l’assomment complètement, et on arrive à percevoir l’angoisse sourde, le désespoir de Lisa qui ne sait pas si elle doit considérer ça comme une punition ou un soulagement, alterne entre culpabilité, horreur et incompréhension. Je me souviens maintenant de la dernière fois où j’ai lu un roman aussi parfaitement maîtrisé, où malgré l’ampleur de la tâche narrative dont doit s’atteler l’auteur, le roman reste construit, cohérent et captivant ; il s’agissait des Monstres de Templeton, de Lauren Groff, où l’histoire était certainement un poil plus légère, mais où l’on retrouvait cet étrange aspect de saga sur plusieurs siècles, ce résumé d’histoire des Etats-Unis par ceux qui la peuplent, et cette volonté d’y introduire un aura de mystère, d’irréel, d’inexplicable.
Définitivement, le roman de Kunzru plaira aux amateurs de grande littérature américaine, car Dieu sans les hommes est une oeuvre à la voix puissante et troublante, mais aussi aux lecteurs de SF, puisque la porte reste ouverte, et toutes les théories restent possibles. Je me suis un peu renseignée, certains faits racontés par l’auteur, dont l’histoire du missionnaire Fray Garcès en 1778, sont réels, bien que romancés, mais d’autres comme l’apparition d’une communauté d’excentriques fan d’ufologie semble avoir été inventée de toute pièce, ainsi que les histoires des personnages en 1920 et 2008. Le nom de la ville n’est même jamais évoqué, on peut seulement situer l’endroit grâce aux indices que laisse l’auteur sur les distances entre les villes alentours et la proximité avec le Momument National des Pinnacles, il fait référence à une « trinité » de montagnes pour indiquer le lieu exact où campait la communauté avant que le terrain soit transformé en parc naturel, mais il ne précise pas exactement l’endroit où se situe son roman. En cherchant sur la communauté d’Ashtar, je suis tombée sur un site de fans qui ont décidé de faire réellement vivre ce Commandement Galactique. Vous pouvez vous inscrire et tenter de devenir un believer, héhéhé, à cette adresse : http://www.ashtarcommandcrew.net/Bon, maintenant j’ai ajouté un lieu à visiter pour un road trip au Etats-Unis, le désert de Mojave, les Pinnacles, et avec un peu de chance je pourrais faire un arrêt dans ce village sans nom, peut-être si je retrouve son motel Dropp In miteux et son diner aux murs couverts d’affiches de science-fiction et au menu extraterrestre. Ouais, ça serait vraiment chouette ! En attendant, le roman sort aux éditions Lattès le 3/09/2012, et n’hésitez pas à le lire, c'est un vrai coup de coeur, foi de Guixxx.