Alors là, on ne peut pas dire que je l’ai fait exprès !
Je n’ai pas de détracteurs à Science-fiction, il s’agit
juste d’une (heureuse !) coïncidence.
Mais laissez-moi expliquer le contexte de cette exclamation :
Lorsque j’ai découvert les piles relativement instables de Services de presse qui
ornaient la table de ma librairie, je me suis dit « diantre, je n’en
viendrais jamais à bout ». Ma responsable m’a alors un peu parlé des
livres (qui ont une aura, à ce qu’il paraît) et m’a fortement encouragé à lire certains
titres en premier lieu. Il s’avère que Dieu sans les hommes faisait parti de
cette liste. Et ma responsable a été très perspicace (je soupçonne quand même très fortement un pur hasard…) lorsqu’elle m’a tendu le roman de Hari Kunzru après avoir zyeuté la quatrième de couverture et m’avoir
dit « tenez, ça, ça devrait vous plaire ».
Or, effectivement, cela m’a
plu, mais pas pour les raisons qu’évoquent la quatrième de couverture qui ne
rend absolument pas honneur au livre. On y parle d’un couple dont l’enfant de
quatre ans disparaît et s’enfonce dans la culpabilité, d’une rockstar en quête de rédemption et d’une
irakienne jouant à la guerre avec les Marines américain. Hm, dans le tas, seule
la rockstar en quête de rédemption m’a
tapé dans l’œil. Mais je me suis dit « pourquoi pas ? »
Mais concrètement, ce résumé est loin de rendre justice au roman, il est trop court, trop fermé, laisse imaginer la lecture d'un roman tout autre, et j’ai
compris que celui qui l’avait écrit cherchait certainement à toucher un public
très large, d’où la réduction à trois éléments distincts et sans liens apparents
de ce long roman aussi étendu que le désert de Mojave dans lequel il se situe.
Car Dieu sans les hommes est un roman d’une ampleur impressionnante.
Mes amis, il est rare, notez-le bien, que je lise un livre en une
journée. Le dernier en date était un roman jeunesse de 250 pages écrit en
police 18. Dieu sans les hommes relate lui ses histoires sur 500 pages denses
et nerveuses.
Laissez-moi essayer d’en faire mon résumé.
1947, Schmidt
cherche à s’éloigner des horreurs aperçues lors de la seconde guerre mondiale
où il a participé à la mission Hiroshima. Dégouté par l’humanité, il trouve un
repère de solitude au milieu du désert de Mojave, dans les Pinnacles, paysage
lunaire aride et poussiéreux à deux heures de Las Vegas. Il s’installe dans la
propriété abandonné d’un vieux fou mort depuis peu, où il découvre un énorme
sous-sol creusé et assez d’espace pour entreprendre ses propres folies. Il est
persuadé qu’il peut changer l’humanité, la sauver d’un désastre imminent causé
par la découverte du nucléaire. Or un soir apparaît au-dessus du désert un
disque rayonnant, duquel des êtres supérieurs l’appellent.
2008, Dawn tient
un petit motel aux abords du parc national des Pinnacles dans le désert de Mojave.
Elle se souvient encore du temps où elle était jeune et où elle faisait partie
de la communauté du Commandement galactique d’Ashtar, les Enfants de la
lumières, appelés un jour à réunir l’humanité avec une entité extraterrestre supérieure
qui les sauverait d’un désastre mondial. Drogue, sexe et psychédélisme, avant
que la communauté ne finisse de façon dramatique. De l’ancien temps.
Nicky fait partie d’un groupe de Rock anglais venu aux US
pour s’immerger dans l’ambiance du rock Californien. Mais le musicien a perdu l’inspiration.
La Californie est loin de l’image qu’il s’en faisait, loin du brillant et de l’extravagance
londonienne. Excédé, déprimé, il prend le volant pour se perdre dans le désert
de Mojave, finit par s’arrêter un motel miteux au bord des Pinnacles, un lieu bizarre et étrangement attirant.
Jaz et Lisa sont en route pour un week-end en famille qui s’annonce
mouvementé. Raj, leur petit garçon de quatre ans a été déclaré autiste.
Bruyant, instable, ses crises les mettent à la porte des meilleurs hôtels,
aussi s’arrêtent-ils dans un petit motel à deux heures de Las vegas dans le
désert, le même que celui d’une rockstar aux jeans jaunes poussin et à la coupe
Mohawk.
Laila habite la Californie depuis quelques années déjà.
Avant, elle était à Bagdad, mais elle vit maintenant avec son petit frère
Samir chez son oncle et sa tante, dans un trou paumé sans grand intérêt. Elle y
a tout de même découvert une nouvelle culture dans laquelle elle s’est plongée ;
elle lui doit son look gothique, et surtout ses vinyles qu’elle vénère, en
particulier ceux de ce groupe anglais dont le chanteur aux airs de junky vient
de s’installer au motel de la ville. Une véritable aubaine…
Pour tout dire, Dieu sans les hommes retrace une partie de l’histoire
des Pinnacles depuis l’arrivée des missionnaires espagnols jusqu’en 2008, où
Jaz, Lisa, Raj, Nicky, Dawn et Laila se retrouvent liés par les phénomènes
étranges qui peuvent parfois survenir dans des lieux aussi extrêmes que le
désert de Mojave.
De tous les endroits de la planète, le désert de Mojave est
celui qui fait le plus penser à la surface de la lune, avec ses excroissances
rocheuses et son absence d’humanité. Il est d’ailleurs utilisé pour de
nombreux tournages de films et séries de SF, dont Battlestar Galactica ou Star
Trek, tout ça pour vous dire qu’en y mettant les pieds, on a vraiment l’impression
d’être dans un autre univers. Je pense que c’est pour cela que Kunzru a développé
ce roman dans ce lieu, où l’extraordinaire côtoie le quotidien banal - heureux
ou dramatique - de chaque homme. Tous ses protagonistes sont des voyageurs
perdus à la recherche d’un équilibre et d’une réponse à leurs questions, d’un
dénouement.
Vous aurez compris que le roman parle à certains moments d’extraterrestres,
d’où mon exclamation d’introduction ! Mais le roman n’est pas à propos de
ça. Extraterrestre, Dieu ou esprits, Kunzru donne juste plusieurs noms aux
différentes croyances des personnes qui ont arpenté la terre qu’il dépeint. Bon, par contre, ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi l'éditeur français, Lattès, à traduit le titre original Gods wihtout men, par "Dieu" au singulier, mais bon, j'imagine que ça sonnais mieux.
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Mais cette histoire là n’est qu’un aspect de ce roman à tiroir, où l’on passe chapitre après chapitre d’une époque à une autre, 1778, 1947, 1920, 1943, 1986, 2008, et où l’auteur attaque une Amérique sous plusieurs angles, sa colonisation, son incompréhension des indiens et ses rapports violents avec eux, sa volonté de croire à une nouvelle mythologie, sa décadence, sa mixité raciale, religieuse, sa passion pour l’art et la musique, ses guerres, ses préjugés, sa perfection comme ses nombreux défauts qui font ce qu’elle est aujourd’hui. Le Mojave et les événements étranges qui s’y passent ne sont qu’un prétexte pour raconter la vie de ces gens : la volonté de Dawn d’échapper au destin sans consistance qui l’attend au village et le réconfort qu’elle avait trouvé en devenant un Enfant de la lumière au sein de la communauté. Le traumatisme de Schmidt suite à la guerre où son travail a été exploité pour détruire des villes entières, et son espoir de rédemption. La lente dislocation du couple de Jaz et Lisa due à leur impuissance face à la maladie de leur enfant, ce qui n’a fait qu’exacerber les problèmes déjà présents : le rejet de Lisa et son enfant malade par la famille indienne Penjabi de Jaz, ou l’indécision de Jaz face à son boulot à Wall Street qui pourrait selon lui déclencher une crise incontrôlable. La détresse de Nicky qui ne sait plus pourquoi il fait ce qu’il fait, s’il est vraiment heureux de s’être éloigné de la femme qu’il aime pour s’enfermer dans un studio avec des musiciens drogués et alcooliques qui semblent avoir oublié le concept de l’amitié et de la liberté. L’attente de Laila dans ce pays en guerre contre ses origines, l’attente de l’arrivée de sa mère qui n’arrive pas à obtenir de visa, l’attente de quelque chose qui donnera un sens à sa vie de jeune adolescente. Et tous se rejoignent dans cet endroit catalyseur, les Pinnacles, endroit mystérieux, comme doté de magie, capable de bouleverser leur vie à jamais et de leur donner une direction à prendre. J’aime quand un brin de fantastique s’insère dans les rouages d’un roman comme celui-ci. J’aime que Kunzru laisse une porte ouverte à la fin de son récit, laissant au lecteur le soin de croire ce qu’il a envie de croire, tout comme ses personnages. Le pouvoir qu’il attribue au désert est totalement subjectif, modelé par ce que chacun à envie de voir et de croire. Au final, on ne saura jamais si les Pinnacles sont un vrai récepteur d’une énergie spirituelle quelconque, et comme toujours, ce sont les lieux les plus reculés, déserts, solitaires, où apparaissent les miracles, maisons hantées, villages fantômes, grottes, champs, déserts, ce sont toujours les mêmes histoires. Mais moi, j’adore ça ! Alors oui, vu tout ce que je vous ai raconté, le livre est dense, part dans plusieurs histoires aux nombreux méandres, mais l’écriture de Kunzru est très fluide, et ce qu’il écrit semble couler de source. Il sait vraiment manier la langue, passer d’un style à un autre selon les périodes de l’histoire, l’adapter aux situations selon les personnages qui les vivent, comme lorsque Lisa conte l’attente douloureuse du retour de Raj, mystérieusement disparu dans le désert. Sa narration devient complètement déconstruite à cause des médicaments qui l’assomment complètement, et on arrive à percevoir l’angoisse sourde, le désespoir de Lisa qui ne sait pas si elle doit considérer ça comme une punition ou un soulagement, alterne entre culpabilité, horreur et incompréhension. Je me souviens maintenant de la dernière fois où j’ai lu un roman aussi parfaitement maîtrisé, où malgré l’ampleur de la tâche narrative dont doit s’atteler l’auteur, le roman reste construit, cohérent et captivant ; il s’agissait des Monstres de Templeton, de Lauren Groff, où l’histoire était certainement un poil plus légère, mais où l’on retrouvait cet étrange aspect de saga sur plusieurs siècles, ce résumé d’histoire des Etats-Unis par ceux qui la peuplent, et cette volonté d’y introduire un aura de mystère, d’irréel, d’inexplicable.
Bon, maintenant j’ai ajouté un lieu à visiter pour un road trip au Etats-Unis, le désert de Mojave, les Pinnacles, et avec un peu de chance je pourrais faire un arrêt dans ce village sans nom, peut-être si je retrouve son motel Dropp In miteux et son diner aux murs couverts d’affiches de science-fiction et au menu extraterrestre. Ouais, ça serait vraiment chouette ! En attendant, le roman sort aux éditions Lattès le 3/09/2012, et n’hésitez pas à le lire, c'est un vrai coup de coeur, foi de Guixxx.