Ces jours-ci, je pensais que les petits ennuis étaient peut-être plus difficiles à supporter patiemment que les grandes souffrances. Par exemple, un bon Samaritain vient s’installer à votre chevet quand vous avez mal à la tête ou qu’une laryngite vous rend la parole difficile ; on voudrait être aimable, mais la nature vous trahit, et le consolateur s’éloigne après avoir reçu un congé qu’on aurait voulu poli et qui ne l’a pas été tout à fait. Vous vous retrouvez seul. Vous remarquez alors que votre chambre est trop froide ou trop chaude, et personne n’est plus là pour ouvrir la fenêtre ou mettre une bûche dans le feu. Vous cherchez un livre et le seul qui vous intéresse est justement hors de portée. Faute d’occupations, vous songez comme le lièvre au gîte, et, devant vos yeux, se déroule la lente procession des ennuis quotidiens. Vous les connaissez par coeur : aucun ne manquera à l’appel et le même effort sera requis exactement à la même heure. Demain ce sera la même chose, après-demain pareillement, et il n’y a aucune chance terrestre pour que, dans un mois ou dans un an, le programme soit modifié.
Je parle ici du malade isolé et privilégié ; l’autre, l’hospitalisé, est beaucoup plus à plaindre : il doit compter avec le voisin qui parle pour ne rien dire ou qui tient des propos pénibles, sinon orduriers ; avec les humiliations de la vie en public ; avec l’atmosphère épaissie et peu odorante d’une salle encombrée, à moins qu’il n’ait à supporter au contraire une glaciale aération ; avec les mesquines tracasseries de l’entourage.. Mais je m’arrête : je voulais parler des petites épreuves et non des grandes.
Les mystiques appelleront cela des « feuilles de rose » ; les autres des « embêtements », des scies ou des « embiernes » (s’ils sont lyonnais). Le nom ne fait rien à la chose. La vérité toute nue est qu’il faut encaisser et pour combien de temps ?
Arrivée là, ma plume est restée en suspens, car il ne suffit pas de définir un mal pour y remédier, sans quoi nous serions tous guéris ; et j’étais bien embarrassée pour vous offrir un encouragement quelconque. En allongée professionnelle, j’ai regardé le ciel à travers mes carreaux : un, deux, trois moineaux arrivaient à tire-d’aile pour chercher leur pitance quotidienne. Ils savent que, sur le bord de ma fenêtre, il y a des miettes de pain ; quand, par hasard, la provende est épuisée, ils s’envolent en ayant l’air de dire : « Ce sera pour une autre fois. » Leur confiance n’est point ébranlée : ils reparaîtront le soir ou le lendemain, et ainsi ils traverseront la mauvaise saison, car le printemps vient toujours.
Faut-il donc que nous ayons besoin de ces volatiles bornés pour rassurer nos esprits sottement inquiets ? Déjà Jésus-Christ nous rappelait à la sécurité de chaque jour en parlant du moineau dont pas une plume ne tombe sans la volonté du Père Céleste. Les miettes de réconfort, les miettes de distraction, les miettes de soulagement nous seront accordées en leur temps, non à l’heure que nous exigeons, mais à celle que notre Père a marquée. Elles ne manquent qu’aux âmes de peu de foi. Et quand les journées paraissent trop longues et les efforts sans gloire, rappelons-nous que toutes les douleurs de la Passion n’ont pas été mentionnées : que le Christ connut peut-être le tourment des mouches comme le supplice de la couronne d’épines, de la lance et des clous, et que nous, ses enfants, devons continuer à notre pauvre manière la rédemption d’un monde toujours à sauver.
Marguerite-Marie TEILHARD DE CHARDIN (1883-1936).
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