L'argumentation est généralement que les coûts à l'étranger sont inférieurs aux coûts en France en raison d'une protection sociale moindre. Le protectionnisme pourrait forcer les étrangers à adopter le mode de protection sociale français.
Par Vladimir Vodarevski.
La France a créé un poste de « ministre du redressement productif », et a mis à sa tête un adepte de ce qu'il appelle la « démondialisation », si tant est que cela ait un sens, le terme de mondialisation n'étant lui même pas très bien défini. Cependant, le terme démondialisation semble impliquer du protectionnisme. Une idée qui revient toujours en période de crise économique.L'argumentation est généralement que les coûts à l'étranger sont inférieurs aux coûts en France en raison d'une protection sociale moindre. Le protectionnisme pourrait forcer les étrangers à adopter le mode de protection sociale français.
Une première question se pose : jusqu'à quelle point ce type d'argumentation est-il sincère ? Nos économistes et nos politiciens ont une vision qui peut être qualifiée d'ultra-comptable, ou d'ultra-mécanique, de l'économie. Ils considèrent l'économie comme un système de vases communicants. Ainsi, la réduction du temps de travail doit forcément diminuer le chômage. De même, la fermeture des frontières doit forcément augmenter la production industrielle en France.
Mais l'économie est humaine, pas mécanique ou comptable. D'abord, en matière de protection sociale, le mode de protection sociale est un choix de chaque pays. Ainsi, en Grande Bretagne, la santé est nationalisée, et coûte cependant moins cher qu'en France. De même, l'Allemagne a diminué sa dépense publique depuis une dizaine d'années, ce qui représente moins de prélèvements sur l'économie. La protection sociale est un choix de gestion. Ce n'est pas par rapport à des pays émergents que la France est handicapée dans ce domaine, mais par rapport aux autres pays développés. Ce qui relativise la concurrence des pays à salaires moindre.
L'aspect mécanique de la fermeture des frontières, qui entraînerait une augmentation de la production en France est lui aussi à relativiser. D'abord, la France est un petit pays. L'industrie française, pour survivre, pour faire des économies d'échelle, doit exporter. Donc, si les frontières sont fermées, elle ne pourra plus exporter, car les autres pays feront de même en représailles. Donc, les prix de l'industrie française augmenteront. Les prix augmentant, soit les Français devront se priver, et donc diminuer leur consommation ailleurs, pour acheter ces produits. Soit, ils achèteront moins de produits industriels. Dans les deux cas, cela signifie baisse de la consommation, récession, chômage.
Enfin, le protectionnisme entraînerait une diminution de l'activité de services en France. La France accueille ainsi énormément de touristes, elle est aussi une place de congrès et d'expositions professionnels. Ce qui entraîne de multiples dépenses, pas forcément comptabilisées en exportation. C'est tout ce flux que le protectionnisme tarirait.
Le protectionnisme entraîne aussi une augmentation des produits nécessaires au processus industriel achetés à l'étranger. Par exemple, le tsunami dont a été victime le Japon en 2011 a interrompu la livraison de certains composants électroniques à l'industrie automobile en France. Ce qui a ralenti la production. Une augmentation du prix de ces composants importés augmenteraient le prix des véhicules fabriqués en France. Et fabriquer ces composants en France ne serait pas forcément possible, pour des raisons de brevets, de technologie, ou tout simplement de coût. En effet, les produire à grande échelle dans un pays permet de diminuer les coûts, tandis que les produire uniquement en France pourrait devenir trop onéreux.
Le protectionnisme produirait donc une grande perturbation dans le tissu économique, l'obligeant à des restructurations douloureuses, et conduirait à une probable diminution du niveau de vie.
Une proposition est de pratiquer le protectionnisme au niveau européen. Ce qui donnerait accès à un marché important à nos industries. Néanmoins, l'exemple donné plus haut de composants qui deviendraient trop onéreux pour notre industrie reste valable. De nombreux composants proviennent de l'extérieur de l'Europe. Et pas seulement pour des raisons de coûts. Ainsi, l'industrie de Taïwan investit en Chine continentale, en raison des coûts, mais aussi de proximité géographique et culturelle. En Chine se sont créées des usines vastes et modernes.
D'autre part, un protectionnisme européen ne favoriserait aucunement la France, qui est en déficit même avec ses partenaires européens, qui ont les mêmes exigences sociales qu'elle.
Enfin, les autres pays européens, plus compétitifs que la France, n'ont pas intérêt à un protectionnisme européen. Et par ricochet, la France non plus. En effet, l'Allemagne doit beaucoup à ses exportations dans les pays émergents. Ce sont ces exportations qui font la force de son industrie automobile par exemple. Ou de son industrie de machine-outils. De même les ports néerlandais vivent du commerce international.
Or, l'Allemagne est le premier partenaire économique de la France. Une baisse d'activité dans ce pays signifie une baisse d'activité en France. Plus encore, une diminution des exportations allemandes hors d'Europe pourrait entraîner une réorientation de ces exportations vers la France, augmentant encore les exportations allemandes en France, et diminuant la part de marché de l'industrie française.
Enfin, une autre proposition est de prendre des mesures de rétorsion envers des pays qui ne respecteraient pas les règles du commerce mondial, en n'ouvrant pas suffisamment leur marché intérieur aux produits européens. Ce que permet le règlement de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Le gouvernement a cité la Corée, pour le marché automobile. Il aurait pu citer le Japon, réputé pour instaurer des règles techniques, des normes spécifiques, qui renchérissent le coût des véhicules importés.
Cependant, cette stratégie doit être menée avec circonspection. Par exemple, les Allemands parviennent parfaitement à vendre des voitures au Japon. Ils exportent même en Chine, des véhicules pourtant surtaxés (une partie est produite sur place, mais il y a toujours des importations). Soyons lucides, les Coréens, comme les habitants de tous les pays possédant une industrie automobile, vont acheter des produits nationaux. Ce qui pourra les en détourner, ce sont des véhicules bien moins chers. Comme les Français achètent des coréennes pour leur rapport qualité prix. Ou des véhicules plus prestigieux, comme les marques allemandes. La France n'est présente dans aucune de ces deux gammes. PSA commençant à peine à développer une gamme premium, avec les Citroën DS.
Par contre, la France a d'autres produits à exporter. Ses produits de luxe, fabriqués en France. Les marchés émergents sont une opportunité formidable pour les parfums, l'art de vivre, les cosmétiques de luxe, la maroquinerie. La France est aussi une destination touristique de rêve pour ces touristes.
Les esprits chagrins répliqueront que ce ne sont pas des secteurs nobles, qu'il faut développer l'industrie. C'est un très mauvais calcul. L'exportation, dans le luxe comme ailleurs, suppose une industrie logistique, des services informatiques pour la gestion, et toujours la logistique. Le tourisme suppose aujourd'hui un développement sur internet. Il peut aussi servir à développer une industrie agro-alimentaire haut de gamme, avec toutes les spécialités françaises. Il peut également être une formidable vitrine pour les produits français.
Par exemple, dans l'automobile, Citroën a présenté son concept car DS Numéro Neuf en le photographiant dans des endroits prestigieux de Paris, comme la place de la Concorde. L'objectif étant d'associer l'image du luxe à la française, prisée en Chine, à la marque DS.
Ajoutons enfin que le développement des pays émergents provoque également des investissements de leur part dans les pays développés. L'indien Tata Steel a ainsi prévu d'investir dans un nouveau procédé de fabrication en 2013 dans son usine de Hayange, en Lorraine. A une autre époque, les constructeurs automobiles japonais faisaient figure d'épouvantail. Depuis, Toyota exporte aux USA depuis la France, et va faire fabriquer ses utilitaires pour l'Europe par PSA, grand pourfendeur de l'automobile japonaise quand Jacques Calvet en était le président.
L'économie est ainsi un tout, un ensemble complexe. Intervenir dans un secteur peut avoir de multiples effets indésirables, et aboutir à l'effet contraire de celui désiré. Comme l'écrivait Frédéric Bastiat, « il y a ce qu'on voit, et ce qu'on ne voit pas ». D'un côté, un affichage politique, une mesure bien visible, bien diffusée. De l'autre, des conséquences néfastes, qui annulent les effets de la mesure, sans que personne d'ailleurs n'attribue ces conséquence à la mesure en question.
Pour conclure, il est courant de faire un parallèle entre la crise d'aujourd'hui, et celle des années trente. Alors, rappelons ce qui a été fait dans les années trente, et les leçons qui en ont été tirées par la suite. Le protectionnisme a été mis en pratique dès le début de la crise, en particulier par le président Hoover, aux USA. Les autres pays ont répliqué par d'autres politiques protectionnistes. Ce qui a aggravé la crise. Certains considérant même que le protectionnisme a mené à la guerre. C'est pourquoi une des premières mesures prises après guerre a été le General Agreement On Tariffs and Trade : les accords du GATT. L'objectif étant de ne pas répéter les erreurs des années trente, en luttant contre le protectionnisme.
Voici une courte vidéo qui explique le rôle du protectionnisme dans la crise des années trente :
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