Le mot de cyberguerre est régulièrement utilisé par les journalistes, d’autant plus fréquemment qu’ils n’y connaissent rien, ni à la guerre ni au cyberespace. Les spécialistes des deux domaines sont beaucoup plus réticents envers ce mot ou, pour être plus précis, envers ses abus. Voyons ici une tentative de définition de cette notion, après avoir évoqué dans un billet précédent les notions de cybersécurité et de cyberdéfense.
La perception traditionnelle de la guerre suggère l’existence de morts. Certains experts estiment que le seuil de 1000 morts permet de caractériser un événement du nom de « guerre ». Or, jusqu’à présent, aucun acte hostile dans le cyberespace n’a jamais provoqué 1000 morts ! Toutefois, la possibilité reste ouverte : la dérégulation d’un système de contrôle d’une centrale nucléaire pourrait provoquer son emballement et son explosion ; la mise hors service d’un réseau de distribution d’eau pourrait lever tous les contrôles sanitaires et envoyer de l’eau contaminée. Beaucoup d’exemples viennent à l’esprit. Mais ils n’ont pas eu lieu. Cela conduit à relativiser cette notion de cyberguerre.
Elle est pourtant valide, de deux façons.
La première tient à la dimension cybernétique que comprendra désormais toute guerre, qu’elle soit conventionnelle ou nucléaire. A partir d’aujourd’hui, une guerre sera forcément une cyberguerre.
La deuxième tient à la relativisation de la létalité. Il y a aujourd’hui plus de mille morts par an pour cause d’homicide par arme à feu aux Etats-Unis. De même, aux frontières de l’Europe, il y a plus de 1000 immigrants clandestins qui meurent chaque année dans leur tentative de rejoindre leur destination. Pourtant, la plupart des Américains et des Européens n’a pas le sentiment d’être « en guerre ». Pour beaucoup d’entre eux, à tort ou à raison, il ne s’agit là que des conséquences d’un ordre public nécessaire à la bonne vie en société.
Simultanément, le cyberespace présente l’opportunité de mener facilement des actions offensives. De ce point de vue, un cyberconflit se déroule déjà dans le cyberespace. Il n’occasionne pas (encore) de morts, mais il est de plus en plus virulent, notamment au Proche- et au Moyen-Orient où il s’articule à une conflictualité préexistante, et fort vive. De plus, on ne peut exclure le phénomène d’escalade de la violence (et il faut bien constater une augmentation des incidents à résonance politique). Dès lors, il est possible de parler de « cyberguerre » pour désigner des actions hostiles menées dans le cyberespace par des Etats pour résoudre par la violence (maîtrisée) leurs conflits.
Notons en incise que l’Etat est ici le critère de la « guerre » : la notion de « guerre privée » renvoie à des conflits de possession de territoire non soumis à des souverainetés étatiques. Les autres conflits dans le cyberespace relèvent plus de la cybersécurité que de la cyberdéfense.
O. Kempf