Comment décrire au mieux la (pauvre) situation du ministre de l'intérieur ? Loué par les uns, déjà détesté par les
autres, il horripile la droite sarkozyenne.
Et pourtant, il est surtout essentiel pour François Hollande.
Ni plus, ni moins.
A la Rochelle, il a été fortement applaudi par les
militants socialistes.
Procès en gauchitude
Manuel Valls (y compris parfois dans
ces colonnes) a reçu et continuera de recevoir des critiques pour des positions jugées trop à droite. Depuis sa nomination, il a mutiplié les interventions et déclarations.
A peine nommé, des associations, y compris comme RESF, se sont émues que les expulsions et arrestations d'immigrés
clandestins se poursuivent comme s'il n'y avait eu aucune alternance politique. Le candidat Hollande n'avait pourtant promis aucune régularisation massive. Et rapidement le gouvernement avait
tenté d'imprimer quelques changements: suppression de la circulaire Guéant contre les étudiants étrangers, création d'un nouveau titre de séjour pour 3 ans, interdiction des rétentions
familiales, audit sur les conditions d'accueil des étrangers en préfecture, assouplissement des conditions de
naturalisations.
Fin juin, quelques phrases devant une délégation sénatoriale sur la nécessité de démanteler des camps insalubres et illicites
de Roms lui ont valu d'être comparé à l'ignoble discours de Grenoble du 30 juillet 2010
de Nicolas Sarkozy. La plupart des critiques n'avaient pas lu le fameux discours, ou l'avaient oublié, ou étaient de franche mauvaise foi. A Grenoble, Sarkozy avait mis en scène une violente
diatribe contre l'immigration.
Fin août, il s'est inquiété de la délinquance roumaine. Le souvenir des statistiques Hortefeux puis Guéant sur l'exacte même délinquance nous faisait encore frémir.
Bref, le procès en gauchitude instruit contre Manuel Valls est presque exemplaire de ce qu'une fraction de la gauche pourrait
faire au gouvernement Hollande/Ayrault. Mon confrère Vogelsong a récemment livré un
rigoureux réquisitoire: « Manuel Valls est-il de droite ? ».
Valls... indispensable ?
On peut effectivement débattre pour savoir si le ministre de l'intérieur défend et applique des mesures concrètement
cohérentes avec le camp auquel il appartient. Le soupçon est d'autant plus légitime que l'ancien candidat aux primaires, avant de rallier sans hésitation le vainqueur Hollande, défendait une
certaine forme de la TVA sociale et quelques autres idées plutôt à droite des positions socialistes, elles-mêmes déjà centristes.
1. La lutte contre la délinquance et la question migratoire sont de vrais sujets. Le premier est un échec,
le second une diversion. Contre la délinquance, on a répété, ici et ailleurs, combien l'échec de Nicolas Sarkozy depuis 2002 a été patent. Il fallut le temps pour le découvrir, mais les chiffres
ne mentent plus. Quant à l'immigration, Nicolas Sarkozy avait cru bon, dès 2007, d'en faire un épouvantail politique.
2. Il faut effacer le souvenir de Sarkozy. En charge de notre sécurité, de l'intégration et des libertés
publiques, le ministre a multiplié les interventions, à cause de l'actualité (comme par exemple les émeutes à Amiens le 12 août dernier), mais aussi l'importance symbolique de ce poste. Pour le
dire court, Manuel Valls a repris la fonction emblématique de Nicolas Sarkozy. Il efface, jour après jour, l'image sarkozyenne. Samedi à l'université d'été de la Rochelle, le « Tigre »
a parait-il fait sensation. Valls aime se comparer à George
Clémenceau, président du Conseil pendant la Grande Guerre.
3. Il faut sortir la délinquance et l'immigratiion du champ des surenchères politiciennes. L'enjeu n'est pas
tant de faire du Sarkozy à la place de Sarkozy. Il s'agit non seulement d'effacer Sarkozy, mais aussi de cesser l'instrumentalisation systématique de ces sujets:
«Il faut désigner les problèmes et s'y attaquer. C'est ce que je fais en matière de lutte contre la délinquance, contre le trafic d'armes, contre le trafic de drogue». Manuel Valls, La Rochelle, 25 août 2012
4. Le terrain politique est favorable: la droitisation du débat n'a pas porté ses fruits. Nicolas Sarkozy
n'avait cessé, comme Marine Le Pen, de replacer le sujet migratoire au coeur du débat politique... en vain. Les Français ont d'autres préoccupation (chômage, dette, précarité, santé,
etc).
5. Manuel Valls remplit ainsi une fonction essentielle dans le dispositif Hollande. L'un des échecs majeurs
de la gauche gouvernementale depuis plus d'une décennie fut d'avoir laissé les thèmes de l'immigration et de la sécurité aux délires xénophobes de l'extrême droite et d'une frange de la droite
prétendument classique: «La République, c'est d'abord la France (…) La gauche a laissé à d'autres, à la droite et à l'extrême droite, son langage, ses couleurs, son hymne national, son
histoire, ses valeurs» a rappelé Valls à La Rochelle.
En défendant la loi et
l'ordre, avec des termes bien différemment de l'ancienne agitation sarkozyenne, sans instrumentalisation outrancière ni dérapages verbaux, Manuel Valls les prive d'arguments. Et tente
de normaliser la gestion de ces sujets.
« la reconquête de la République passe par l’amour de la patrie »
Manuel Valls, La Rochelle, 25 août 2012.
Chroniques de Juan