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Çà y est, c'est parti ... L'horloge de la rentrée a sonné. On annonce près de 650 romans cette fois ci ... Il va falloir opérer un tri ou choisir au hasard pour tenter de débusquer les bonnes surprises. Et puis il y a les incontournables que, quoiqu'on en dise, on aura envie de lire pour se faire sa propre opinion. Comme le nouveau Nothomb, conservé tel un sujet de philo pour l'examen du baccalauréat, dans le plus grand secret, et selon le rituel désormais habituel.
On m'a rapporté avoir vu hier devant un libraire une queue digne de l'époque glorieuse de la sortie d'un nouveau tome d'Harry Potter. Cette fois le mystère n'est pas organisé pour exciter ses lecteurs et fans. Jamais ce ne fut davantage à propos puisque la question du secret est au coeur de l'intrigue.
Il y a deux manières de lire Nothomb. Avec la raison en cherchant des liens avec les livres précédents ou les rares éléments biographiques (cette femme ultra médiatique sait rester discrète) ... et c'est plutôt facile, comme si l'auteur s'amusait à semer les indices comme des cailloux blancs. Soit avec le coeur, en vivant les émotions sans chercher à les intellectualiser.
Les partisans de la première voie expliqueront qu'Amélie s'est souvenue de ses jeunes années pour nouer l'affaire, alors que fraîchement débarquée à Paris l'innocente jeune belge avait du mal à se loger. Le système de la colocation n'offrait pas encore une solution à ce casse-tête et pour gagner en prime le moyen astucieux d'habiter au centre de Paris. Mais elle aurait adoré ...
Ils poursuivront, une coupe de champagne à la main (ils ont le choix de la marque pourvu qu'il ne soit pas rosé), en lâchant que le personnage de Grand d'Espagne n'est pas tout à fait nouveau. Il apparait à plusieurs reprises dans les cahiers sur lesquels l'auteur prolixe couche ses ébauches de manuscrits. Il était donc normal qu'il réussisse un jour le casting du nouvel opus. Et puis ce noble espagnol n'aura guère de mal à être plus sympathique qu'Henri VIII.
Ils se souviendront que dans Une forme de vie l'écrivaine se mettait elle-même en scène, face à un guerrier, et qu'elle boit beaucoup de champagne depuis le Fait du prince. Ils seront soulagés d'apprendre qu'elle apprécie aussi la vodka, avec un très bon caviar. Ils pointeront que, ces dernières années, les personnages principaux masculins sont apparemment solides et inébranlables, mais qu'il finissent par cesser de colmater leurs failles et que cela ne se termine pas très bien pour eux. Ils constateront que la femme est supérieure à l'homme, ce qu'Amélie confirme dans toutes ses interviews.
Ils jugeront que Barbe bleue est une sorte de métaphore de l'intolérance à la frustration qui marque au fer rouge les nouvelles générations.
Ils analyseront sans doute le rapport (névrotique ?) que l'auteure entretient avec l'art photographique puisque les plus grands lui ont tiré le portrait pour chacune de ses couvertures : Pierre et Gilles, Sarah Moon, Agnès Rosenstiehl, les studios d'Harcourt ... Ils chercheront sans succès à savoir qui est le dernier, un certain Pablo Zamora, peut-être espagnol lui aussi. Il fallait bien qu'un jour la photographie soit au coeur de l'action.
Ils établiront une échelle de valeurs, pour estimer la plus belle des couleurs, en hésitant entre le noir de la chambre et le rouge du sang, et noteront qu'Amélie leur fait un clin d'oeil sur la dernière couverture. Ils concèderont alors comme elle que De gustibus et coloribus non disputandum (page 152).
Ils éprouveront une volupté orgasmique avec la révélation que couleur et amour sont synonymes en japonais. Ils se régaleront de l'érudition dont leur auteure favorite fait preuve ici et comme toujours en les mettant sur la piste du Traité du sublime de Kant et de l'Ars magna de Lulle (p. 140).
Si on lit Barbe bleue en oubliant qu'on va écrire une chronique sur le sujet, quelque chose d'horrible se révèle très vite. On ne peut pas ignorer que le conte finit mal mais on devine que l'on a entre les mains une version féministe. On lit entre les lignes d'effroyables prévisions astrologiques. L'homme a Saturne en soleil et son destin est écrit d'avance.
On s'interroge, en buvant une tasse de thé, sur ses motivations à signer sans méfiance un contrat avec cette candidate dont le nom de famille est Puissant et qui travaille à l'Ecole du Louvre. Autant faire entrer la louve dans la bergerie, de luxe j'en conviens, puisque c'est un fastueux hôtel particulier parisien.
En la voyant débouler avec son son allure de pirate, le sourire carnassier et la fleur au chapeau, le fervent admirateur de Charles Perrrault n'a pas oublié que les frères Grimm ont revu et corrigé la version originale du Petit chaperon rouge. La dévoration est punie par les chasseurs et l'enfant sort indemne de l'aventure.
J'ai rêvé un instant que cette neuvième colocataire (ou plutôt "locataire" car le noble a les moyens financiers d'assurer son train de vie sans aide) aurait l'âme de Marlaguette, que le prédateur deviendrait son ami et qu'elle allait le guérir de son addiction. C'était oublier qu'Amélie n'était pas née à la sortie de cet album écrit par Marie Colmont et illustré par Gerda Muller, en 1952 pour les éditions du Père Castor.
Emelerio est aristo jusqu'au bout des ongles. Il se conduit en seigneur, rêvant d'une sorte d'association avec cette nouvelle partenaire que le ciel, ou l'enfer, lui envoie. Il connait les principes des alchimistes pour transformer le plomb en or et Saturnine a un nom la prédisposant à cela. Aurait-il en prime été ensorcelé par un parfum ensoleillé de mimosa ?
L'homme a des talents multiples. Il cuisine divinement, même si sa passion théologique pour les oeufs confine à l'obsession. Il confectionne des robes de princesse plus belles que celles que Catherine Deneuve enfilait dans le Peau d'Ane de Jacques Demy. Il est juste un peu trop psycho-rigide pour être tout à fait vivable mais, en tant que propriétaire, je n'espérerais pas mieux.
On imagine un instant le coup de foudre malgré la forte attente de Saturnine, pour qui l'amour suppose l'estime, sentiment qu'elle ne semble guère porter à son hôte après ce qu'on lui a raconté de ses pratiques. La logique de leurs joutes conversationnelles devient effrayante si aimer c'est accepter d'être Dieu (page 73) ...
Le livre est très dialogué. Le lecteur est l'invité permanent derrière la vitre sans tain d'une série de dîners où l'intimité se construit et se renforce entre les protagonistes qui s'affrontent comme dans un duel. On y assiste impuissant. C'est théâtral dans tous les sens du terme.
Mais cela ne manque pas d'humour non plus. La mise en garde de la page 15 est amusante a posteriori : Si vous y pénétriez (dans la chambre interdite), je le saurais, et il vous en cuirait. Il faut beaucoup d'esprit pour oser glisser cette phrase anodine.
Comme pour ironiser sur son propre choix de donner à toutes les femmes du roman des prénoms qui se termine par "ine". Amélie Nothomb se raille elle-même (page 85) en persiflant qu'après elle ce sera Margarine ... Est-ce intentionnel que la dixième, la seule qui ait les pieds sur terre, s'appelle Corinne ? Il est vrai aussi qu'en doublant la lettre n on sort du domaine des alcaloïdes. Quant à l'homme de ménage, comme elle dit page 18, c'est Mélaine, une fin en ine, mais qui se prononce différemment.
Si on lit Amélie avec le coeur on rêve qu'une fois, au moins une, on puisse la savourer sans se précipiter sur le web pour affiner son opinion. On se demande pourquoi elle s'impose de sortir un livre chaque fin d'août. On s'inquiète de savoir si cela ne devient pas une contrainte plus qu'un plaisir. Quand aura-t-elle le cran de s'imposer un congé sans solde qui créerait le manque chez le lecteur ?
Elle qui dit écrire au stylo sur papier quadrillé ne pourrait-elle pas faire retraite quelques mois sur une île déserte où elle trouverait l'inspiration qui lui ferait écrire LE roman que nous attendons tous, sans la puiser dans ses tiroirs ? Face à tant d'interrogations on se dit en soupirant qu'il y a peut-être une raison cachée et que si chacun a droit a sa part de mystère, elle ne sort pas du lot.
Nous lui prouvons ainsi que nous avons le sens du secret ... et nous attendons notre récompense ...
A signaler qu'Amélie Nothomb présidera cette année le Livre sur la place à Nancy, où j'annonçais hier la présence de Frédérique Martin. Y seront aussi une des fidèles de la manifestations, Janine Boissard, dont j'ai fait le portrait en mai dernier, également Nadine Monfils en compagnie de Léon, et beaucoup d'autres dont la liste serait trop longue à énumérer ici. Je vous invite à vous reporter sur le site de la manifestation qui vient de faire peau neuve. Si le programme définitif des 14-15 et 16 septembre prochains n'est pas encore publié vous avez tout de même déjà beaucoup d'informations à y apprendre.
Barbe bleue, Amélie Nothomb, roman, Albin Michel, 23 août 2012, 170 pages, 16 € 50
Billet consacré à Tuer le père, 17 août 2011, 152 pages, 16 €
Billet consacré àUne forme de vie