L’été, les sorties discographiques sont minces, se réservant l’automne ou mieux encore la fin d’année pour exploser, période où le porte-monnaie à tendance à s’entrouvrir de lui-même. Il faut donc profiter de ces quelques mois de répit pour se replonger dans les rayonnages oubliés de sa discothèque afin d’en exhumer les pépites négligées depuis trop longtemps. C’est ce que j’ai fait récemment, en réécoutant mes CD du groupe Aynsley Dunbar Retaliation.
Ce groupe à la carrière éphémère (1968-1970) reste néanmoins l’un des fleurons du British Blues Boom, ce courant musical des années soixante qui verra en Grande-Bretagne, des musiciens Blancs remettre à l’honneur et faire découvrir au monde entier, le Blues, la musique des Noirs Américains. Sous la houlette de Cyril Davies, Alexis Korner et bien entendu John Mayall, des jeunots porteront aux nues ce genre musical, parmi eux citons Eric Clapton, Peter Green et son Fleetwood Mac, Chicken Shack, le Ten Years After d’Alvin Lee etc. Grâce à ces groupes, les – souvent - vieux bluesmen verront leur carrière boostée et leurs noms reconnus d’un public plus large (Muddy Waters, John Lee Hooker, BB King etc.).
C’est donc dans ce contexte, qu’Aynsley Thomas Dunbar dit Aynsley Dunbar, né le 10 janvier 1946 à Liverpool, va monter son propre groupe après avoir fait ses armes avec John Mayall qu’il quitte après l’album Hard Road (avec Peter Green) en 1967. Aynsley Dunbar (batteur), va s’entourer de John Moorshead (guitare/chant), Alex Dmochowski (basse) et Victor Brox (chant/orgue/guitare/cuivres). Durant les deux années suivantes, trois albums vont sortir de leur collaboration, pour moi trois pépites à la valeur inestimable et finalement assez peu connues.
Le premier disque (1968),The Aynsley Dunbar Retaliation, éponyme du nom du groupe, qu’on a l’habitude de nommer Retaliation tout simplement. D’emblée, Watch’n’Chain, le morceau d’entame surprend par son minimalisme avec ses percussions aériennes, la mélodie sifflée et la voix grave de Victor Brox, le suivant My Whiskey Head Woman cadre parfaitement le sujet, un blues bien baveux avec un piano, la guitare concise et superbe de Moorshead, le son de trompette ample de Brox, le jeu de batterie souple et inventif de Dunbar et la voix de Brox. Cette voix, j’en suis juste dingue ! Une grosse voix avec un écho caverneux qui m’a rendu inconditionnel de ce groupe. Sur le même album, Double Lovin’ (voir ci-dessous la vidéo) me met à genou à chaque écoute depuis plus de quarante ans, c’est d’ailleurs avec ce titre sorti en single à l’époque que j’avais découvert le combo. Sans oublier Roamin’ and Ramblin’ ou Trouble No More. Le second opus (1969), Prescription, est plus abouti, débutant par un tonique Change Your Low Down Ways complètement convaincant. Tout en écrivant cette chronique, j’écoute le disque, et ce qui me frappe et me chagrine, c’est qu’aujourd’hui plus rien ne me cause ce coup de cœur comme ces galettes d’autrefois savaient me le procurer. Il y a aussi ‘Till Your Lovin’ Makes Me Blue, sur ce genre de blues lent, la guitare légère, les nappes d’orgue en fond sonore, la frappe sèche du batteur, contrastent avec la voix du chanteur et l’ensemble crée une ambiance moite et pesante qui ne peut que séduire. J’ai l’air de négliger le bassiste, n’en croyez rien, cet Alex Dmochowski tisse des lignes rythmiques qui tombent avec la précision d’une horloge bien réglée, rondes et chaudes, à l’égal d’un John McVie (Fleetwood Mac). Peu de compositions personnelles ici, excepté le premier morceau du disque (collectif) et un Call My Woman (John Moorshead) qui dépote. On distinguera aussi The Devil Drives acoustique ou l’inquiétant Tuesday’s Blues avec ses nappes d’orgue lourdes, les roulements de batterie dans le lointain et Victor Brox… Le troisième volet (1969), To Mum From Aynsley And The Boys, est produit par John Mayall. Tommy Eyre (piano/orgue) est sur la photo de pochette mais n’est pas crédité sur mon CD. Le disque débute par un morceau étrange à l’instar de leur premier album, Don’t Take The Power Away, minimaliste avec une trompette mexicaine genre Fort Alamo, d’une tristesse infinie, comme pour nous signifier que le groupe vit ses dernières heures ? Heureusement le titre suivant, Run You Off The Hill est plus ébouriffant, avec solos de guitare, drumming puissant et ligne de basse à l’avenant. On sent à l’écoute de ce disque que les musiciens nourrissent de nouvelles ambitions mais c’est aussi ce qui l’amoindrit, Journey’s End est un instrumental assez faible et un peu pompeux surtout à la réécoute aujourd’hui, Unheard instrumental encore est chiant car sans construction, bref ce dernier chapitre de l’aventure laisse un goût un peu amer d’inachevé, à chercher une autre voie, le groupe s’égare et nous perd.Au final, le groupe nous laisse deux disques (et quelques bricoles du troisième) qui resteront pour moi le trésor secret de ma discothèque. Ils ont su réaliser l’impossible, associer le lourd et la légèreté, la basse d’Alex et la voix de Victor en opposition avec la guitare de John tandis qu’Aynsley en chef d’orchestre derrière ses fûts marie les deux aspects, selon les besoins des morceaux interprétés.
Que sont-ils devenus, me demanderez-vous ? Pour être franc, je n’en sais trop rien. Si Aynsley Dunbar est toujours dans le circuit musical pour les autres, depuis les années 80’ ils sont sortis de vue de mon radar. Je crois que Victor Brox n’est plus très actif musicalement parlant, mais il a d’autres centres d’intérêt, non seulement il est un véritable historien du Jazz et du Blues mais il est romancier et archéologue (Grand connaisseur et collectionneur de reliques, d'ossements de dinosaures, de bifaces et autres outils ou armes préhistoriques...) Si vous en savez plus, n’hésitez pas à me tenir informé, je suis preneur !