DJ /rupture est l’une des figures les plus mémorables de la musique électronique du siècle. Sur plusieurs de ses influents et excellents albums et mixes, il mélange musiques du monde, hip-hop, dubstep, dancehall et autres pour créer la rupture entre différents genres musicaux et cultures. Découvrez notre interview de ce DJ cosmopolite !
Dans les travaux de DJ /rupture, on se souviendra surtout d’Uproot, que nous avions chroniqué, Gold Teeth Thief ou encore Minesweeper Suite. Tous ces mixes ont eu énormément de succès critique, et on révolutionné la manière même de mixer, en étant les premiers à mélanger musique du monde, du moyen orient et autres, avec des sonorités plus noise, hip-hop, breakcore, ambient, dubstep et autre. L’influence de ces mixes a été spectaculaire sur la manière de concevoir un mix, comment mélanger des sons, s’ouvrir musicalement sur d’autres cultures, etc. Ils se sont retrouvés dans de nombreuses listes best-of : on se souviendra des critiques de Pitchfork, Resident Advisor, etc. Mêlant Hip-Hop, World Music, Dubstep et autres, il s’est imposé par son éclectisme, l’étendue des cultures diffusées, et la cohérence paradoxalement géniale des cultures qu’il clashe entre elles.
Aussi, il a un projet de musique traditionnelle arabe, Nettle, qu’il a créé au Maroc. Eh oui, Jace Clayton est un grand amoureux du Maroc, d’où il a acquis plusieurs influences, dont le all-time famous groupe Nass El Ghiwane. Il a récemment sorti les Sufi Plug-ins, logiciels musicaux s’inspirant de la musique africaine et autres.
Il est aussi écrivain et blogueur, pratiquant sur plusieurs grands sites tels que The Fader, mais aussi sur son propre blog, mudd up!
Découvrez sans plus attendre notre entrevue avec cet artiste aux multiples talents !
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Simoh: Racontez nous : Comment avez-vous découvert le Maroc ? Comment expliquer votre amour pour notre culture ?
DJ /rupture : La musique a été mon introduction à la culture marocaine. Au début, j’ai écouté de la musique Gnawa sur une compilation, au lycée. J’ai trouvé ça incroyable, et j’ai simplement commencé à chercher plus de musique après ça. J’ai vécu en Espagne pendant un moment, ce qui a rendu l’accès à la musique marocaine plus facile, et c’est de là qu’a commencé mon projet : Nettle.
S. : Comment vous est venue l’idée de monter un groupe de musique orientale : Nettle ?
DJ /r : Nettle s’est développé à partir de mon intérêt pour la musique électronique et les sonorités maghrébines. Ça s’est solidifié quand je vivais en Espagne, où j’ai travaillé avec un violoniste de Fès, Abdelhak Rahal. Ça m’intéressait d’explorer comment mes sons électroniques et mes beats pouvaient devenir plus flexibles et organiques, et en même temps, je travaillais avec Abdel pour voir comment faire sonner son violon plus électronique des fois, en essayant de mélanger les univers acoustiques et électroniques. En gros, après avoir passé tellement de temps en tant qu’auditeur de la musique marocaine, j’ai eu besoin de passer à un autre niveau, et de commencer à m’y engager avec une vision plus collaborative, en travaillant avec des musiciens et en explorant des idées face à face.
S. : Vous aviez dit sur votre Guest List sur Pitchfork que vous aimeriez que Nass El Ghiwane soient plus connus. Est-ce que c’est votre groupe marocain préféré ? Vous a-t’il influencé ?
DJ /r : Oui. Nass El Ghiwane sont tellement incroyables ! C’est mon groupe préféré tout court (pas simplement mon groupe marocain préféré). En habitant en Amérique, tu as surtout l’occasion d’écouter du Gnawa au début, puis peut-être d’anciens enregistrements ethnographiques… Le type de musique marocaine qui arrive jusqu’aux Etats-Unis a vraiment peu de choses à voir avec ce qu’écoutent réellement les gens. Donc quand j’ai découvert Nass El Ghiwane, j’étais ébahi. Et ce n’est qu’après que j’ai découvert qu’ils étaient tellement célèbres, et que j’ai pu me documenter sur leur histoire… Je parle beaucoup d’eux. En fait, j’ai fait une tournée avec eux au Royaume Uni et en Belgique, appelée Streetmusic Arabe. Les organisateurs anglais ont découvert le groupe à travers moi, et ils ont vu qu’ils étaient encore actifs…
S. : Vous semblez travailler dans la même vision culturelle que Filastine, que vous avez déjà remixé et avec lequel vous avez déjà collaboré. Est-ce que vous trouvez que vous englobez la même vision de la World Music tous les deux ?
DJ /r : J’étais le premier à sortir sa musique, en fait ! On a fait un 7″ ensemble sur mon label, Soot. Ensuite, j’ai sorti son premier album. On a beaucoup d’idées différentes, mais il y a quelques années, au tout début des 2000′s, il était l’un des premiers américains que je connaissais qui essayait réellement de s’inspirer de la World Music à un niveau très sérieux, comme collaborer en visitant les pays qui l’inspiraient, une approche ground-up.
S. : Si vous pouviez mixer au Maroc un jour, quelle sélection proposeriez-vous au public ? Un programme plus orienté dubstep, dancehall, hip-hop ou world music ?
DJ /r : J’ai joué à Casablanca l’été dernier à l’institut Cervantes ! Où étais-tu ? Bien sûr, j’ai joué un mix… un peu de musique marocaine, mais aussi du hip-hop, du dubstep, des sonorités expérimentales. Quand je mixe, c’est comme raconter une histoire, donc plutôt que de me concentrer sur les genres que j’utilise, je préfère m’exprimer en utilisant tous ces sons. Ce n’est pas éclectique, mais plutôt concentré, ciblé. Ce qui était fun en mixant ici, c’était que les marocains pouvaient comprendre toutes les références à la musique marocaine… donc j’ai joué un acappella de Nass El Ghiwane sur un beat hip-hop, de la musique berbère mélangée à d’autres sonorités, des trucs comme ça.
S. : Votre Sufi Plug-In est fascinant. Pourriez-vous nous raconter ce qui vous a poussé à partager votre connaissance en musique arabe à travers ce plugin ?
DJ /r : Il y a une vidéo sympa en français qui explique comment les utiliser… Les Sufi Plug-Ins sont en même temps un instrument musical et une oeuvre d’art. Genre 5000 personnes les ont téléchargées et chaque semaine de plus en plus de personnes viennent me dire qu’elles les utilisent… Ce qui est incroyable ! J’ai été inspiré par mon travail avec Abdel à Barcelone, mais aussi par le temps que j’ai passé à Casablanca et au Souss, à Issafen, l’été dernier. Je me suis exprimé sur mon inspiration ici !
S. : En plus de votre travail en tant qu’artiste, vous écrivez beaucoup, que ce soit sur votre blog, muddup!, ou que ce soit des articles sur plusieurs sites. Est-ce que vous avez toujours été passionnés par l’écriture ?
DJ /r : Oui. J’écris pour des magazines comme Frieze ou Fader. Et j’écris un livre qui sera publié début 2014, traitant de musique bien entendu…
S. : Uproot, Gold Theeth Thief, Minesweeper Suite… Tous les trois ont eu un impact énorme sur la scène underground, et sont considérés comme des classiques. Est-ce que vous comptez un jour revenir à vos mixes ?
DJ /r : Je crois au zeitgeist – que chaque époque a son esprit. Donc il y a 10 ou 12 ans, quand j’ai fait Gold Teeth Thief et Minesweeper Suite, tout était différent dans l’univers du DJing. Personne ne mixait comme ça à l’époque, mais aujourd’hui les DJ mixes et les attitudes ont beaucoup en commun avec ce que j’explorais sur Gold Teeth Thief. Donc ouais, je crois que mes prochains projets (surtout le livre !!!) seront aussi influents que mes premiers mixes, mais ce seront des projets différents… Par exemple, au printemps prochain, je travaillerais sur un projet appelé The Julius Eastman Memorial Dinner. C’est entièrement nouveau pour moi. Je travaille avec des pianistes pour réinterpréter la musique de cet incroyable compositeur minimaliste, Julius Eastman. On utilise des vidéos, et quelques acteurs aussi. C’est quelque chose de totalement nouveau… donc je continue d’avancer…
S. : Quels sont vos projets pour le futur ? Vous avec apparemment l’air de vous orienter plus vers vos sonorités arabes.
DJ /r : Je passe le reste de cette année à finir mon livre ! Et ensuite, au printemps prochain, il y a le Julius Eastman Memorial Dinner. En même temps, oui, je suis très déterminé à continuer à travailler et à apprendre sur la musique marocaine, donc j’espère revenir bientôt. Je continue de travailler avec un grand musicien Amazigh qui habite à Casablanca, Hassan Wargui, et ses amis. On a réédité son album Imanaren sur Dutty Artz il y a quelques mois.
S. : Enfin, j’ai toujours voulu vous poser une question assez personnelle. Dans la chanson Strategy Decay/Timeblind sur Uproot, à la fin, la dernière parole est traduite de l’arabe, Fness ttri9 w9ef, 7sel, n3arfou klah lb7er, par Il s’est arrêté au milieu du chemin, bloqué, j’ai su que la mer l’avait emporté. Juste après, vient Uranium, qui nous fait réellement sentir comme si la mer nous avait emportés dans ses profondeurs avec son dark ambient. Je trouve que c’est le moments le plus génial du mix. Est-ce que vous connaissiez le sens de cette chanson ? C’était fait exprès, ou vous avez simplement trouvé que les chansons se mélangeaient bien ensemble ?
DJ /r : C’est incroyable ! Je connaissais le sens de la chanson quand j’ai utilisé l’acappella, mais personne ne l’avait traduit line par line. Quelle merveilleuse coïncidence. C’est comme ça que la musique fonctionne, c’est une très belle chose.
S. : Choukrane !
Vous pouvez suivre DJ /rupture sur Twitter, Facebook, son blog…
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The interview is also available in english:
Simoh: Tell us: How did you discover about Morocco? What made you love our culture?
DJ /rupture: Music was my entrance to Moroccan culture. First I heard Gnawa music on some compilation album when I was in high school. I thought it was incredible, and I just started looking for more music after that. I lived in Spain for awhile and there it was much easier to get access to Moroccan music, and that’s whether I began my Nettle project.
S.: Where did the idea of Nettle come from?
DJ /r: Nettle evolved out of my interest in electronic music & Maghrebi sounds. It became in full when I was living in Barcelona, and I started working with a violinist from Fez, Abdelhak Rahal. I was interested in exploring how my electronic sounds + beats could become more flexible and organic, and at the same time, I was working with Abdel to make his violin sound more electronic sometimes, trying to pull together the acoustic and electronic soundworlds. Basically, after having engaged with moroccan music as a listener for so long, I needed to take things up a level, and start engaging with it at a more collaborative level, by working with musicians & exploring ideas face-to-face.
S.: On your Pitchfork’s Guest List, you said that you wished Nass El Ghiwane had more impact worldwide. Is it your favorite Moroccan band? Did it influence you?
DJ /r: Yes. Nass El Ghiwane are so incredible. My favorite band of all (not just my favorite Moroccan band). Living in America, you mostly hear Gnawa music first, then maybe some old ethnographic recordings… The type of Moroccan music that makes it to the U.S. has very little to do with what people actually listen to. So when I heard Nass El Ghiwane, I was amazed. And only later did I discover that they were so famous, and learn more about their story… I talk about them a lot. In fact, I did a tour with Nass El Ghiwane in UK and Belgium, called Streetmusic Arabe. The British organizers found out about NeG through me, and then they discovered that they were still active…
S.: You seem to work in the same emphasizing on world culture as Filastine.You remixed his music once. Do you feel like you share the same views on World Music in Electronic music?
DJ /r: I was the first person to release Filastine’s music! We did a 7″ on my label, Soot. Then I released his debut album. We have a lot of different ideas, but especially back then in the early 2000′s, he was one of the first Americans I heard who was really trying to take inspiration from world music at a very serious level, like doing collaborations by traveling to the countries where he was inspired, meeting musicians, a ground-up approach.
S.: If you could mix in Morocco one day, which music would you play? Hip-hop? Reggae? Dancehall? Dubstep? Or even Moroccan music?
DJ /r: I played in Casablanca last summer at the Instituto Cervantes! Where were you? Of course, I played a mix… some Moroccan music, but also some hip-hop, dubstep, experimental sounds. When I DJ it is like telling a story, so rather than focus on the genres I use, I’m interested in expressing myself using all these different sounds. It’s not eclectic, but rather, focused. The fun part about DJing in Morocco was that people would get the Moroccan music references… so I played a Nass El Ghiwane acappella over a hiphop beat, some Berber music mixed with other sounds, things like that.
S.: Your Sufi Plugin is fascinating. Tell us what inspired you: is it your desire to share your oriental music knowledge?
DJ /r: There is a nice French-language video that explain them… The Sufi Plug-Ins are both a musical tool and an art piece, like 5000 people have downloaded them and each week more people will tell me that they are using them. Which is incredible! I was inspired by working with Abdel in Barcelona, and also by my time in Casablanca and Souss country (Issafen) last summer. I wrote more about the inspiration here.
S.: On top of your work as an artist, you also write a lot: On your blog, muddup!, but also on a lot of websites. Is writing a passion?
DJ /r: Yes. I write for magazines like Frieze and Fader. And I’m working on a book that will be published in early 2014, about music of course…
S.: Uproot, Gold Teeth Thief, Minesweeper Suite… Both of them had a significant impact on the underground scene. Pitchfork put them on a lot of their best of lists, same for Resident Advisor and a lot of references. Do you think you’ll ever make something as influent as this again?
DJ /r: I believe in the zeitgeist – that each age has it’s spirit. So ten or twelve years ago when I did Gold Teeth Thief & Minesweeper Suite, everything was different in the DJ world. Nobody was mixing like I was then. But now DJ mixes and attitudes have a lot in common with stuff I was exploring with Gold Teeth Thief. So, yes, I believe that my future projects (especially the book!!!) will be as influential as the early mixes I did, but they’ll be different types of projects… For example, next spring I’m working on something called The Julius Eastman Memorial Dinner. It’s completely new for me. I’m working with piano players to reinterpret the music of this incredible minimal composer, Julius Eastman. We’re using video and some actors too. It’s a whole different thing… so I keep moving…
S.: What are your projects for the future? You seem really involved in your oriental music idea.
DJ /r: I’m spending the rest of this year finishing my book! And then next spring is the Julius Eastman Memorial Dinner. At the same time, yes, I am very committed to continuing to work with and learn about Moroccan music, so I hope to return soon. I keep working with a great Amazigh musician who lives in Casablanca, Hassan Wargui, and his friends. We re-released his album Imanaren on Dutty Artz a few months ago.
S.: And finally, I always had a personal question I wanted to ask you: On the Uproot track, Strategy Decay/Timeblind, the Moroccan rapper concludes, translated: In the middle of his way, he stopped, I knew the sea has eaten him (he was too late). After, comes Uranium, where the dark ambient really makes us feel like we’ve been eaten by the deep sea. I always thought it was the most genius moment of the album… Did you actually knew the meaning of this sentence and put it on purpose, or did you just felt it would be cool to blend them together?
DJ /r: That’s amazing! I knew what the song was about when I used the acappella, but nobody had translated it line-by-line. What a wonderful coïncidence. That’s how music works, it’s a beautiful thing.
S.: Thanks a lot.
Si Mohammed El Hammoumi (Si Mohammed El Hammoumi)Je suis le rédacteur en chef du site. Je suis marocain, j'ai 18 ans et je suis étudiant... Bref, sachez surtout que je suis un énorme passionné de musique underground et de journalisme musical qui connaît le sujet de fond en comble. Je trouve énormément de plaisir à écouter, partager, découvrir, parler, débattre et autres activités tant que ça concerne la musique. Voilà !
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