Restaurant du Vieux Pont Nicole & Michèle Fagegaltier par Patrick Faus
: cuisine banale
: cuisine d’un bon niveau
: cuisine intéressante et gourmande
: cuisine de haut niveau… à tous les niveaux
: cuisine exceptionnelle
C’est un village comme on en rêve. Accroché au flanc de la falaise, il existe depuis aussi longtemps que la mémoire peut s’en souvenir. Il descend jusqu’au bord de l’Aveyron car, en plus, au milieu coule une rivière. Calme, sérénité, nature, chant des oiseaux, sont les premières impressions qui vous saisissent puis vous imprègnent, vous pénètrent. Le fameux vieux pont est celui qui enjambe l’Aveyron depuis au moins huit ou neuf siècles. Beauté rude, éternelle. Sur chaque rive, il y a les sœurs Fagegaltier : rive gauche le petit hôtel, rive droite le restaurant. Il suffit de passer le pont… A Belcastel, on n’échappe pas aux sœurs, on y vient même spécialement pour les voir.
La famille est là depuis toujours. La mère de Nicole, la cuisinière, et avant elle sa mère, tenait déjà une table pour les amis et les gens de passage. Le père, et avant lui son père, était à la ferme… qui donnait au restaurant les volailles, le cochon, et les légumes du potager. La rivière donnait les goujons, car il y en avait à l’époque, et la friture de la mère était bien fameuse au point que le nom commença à circuler de bouche à oreille dans la région. On y goûtait aussi des plats de famille, comme on disait, et des gâteaux sortis tout chaud du four qui chauffait la salle et les clients. Ambiance, rires, le vin était bon, on était bien ensemble pour des plaisirs simples et des nourritures qui faisaient du bien au corps et au cœur.La petite Nicole, revenant de l’école, adorait ces moments de bonheur, où elle passait par la cuisine pour sentir, tremper un doigt dans un plat qui mijotait, lécher une cuillère aux traces de chocolat, elle aimait tellement ça… qu’elle décida un jour de faire comme sa maman. Destin quand tu nous tiens. Ecole hôtelière, travail, découragement, volonté, désir d’être à la hauteur de ce monde rêvé. En 1983, elle reprend les cuisines du restaurant, avec, pour quelque temps encore, sa mère à ses côtés. Bonheur de ces instants complices, du partage, mais déjà Nicole fait une autre cuisine, plus de son temps qui a changé, plus dans son style qui commence à se former. Des plats plus élaborés, plus allégés comme le veut l’époque, et ce talent qui éclot doucement mais sûrement. Elle travaille toujours avec les produits de son père jusqu’à sa disparition. On se presse maintenant au Vieux Pont, la notoriété s’étend, sa sœur Michèle la rejoint pour s’occuper de la salle et du vin, et pour former ensemble le duo le plus aimable, le plus vivant, le plus adorable qui se puisse trouver. Le Michelin arrive et lui donne une étoile en 1991. Le mari de Nicole, Bruno Rouquier, sortant tout droit de chez Michel Bras, le Dieu de l’Olympe là-haut dans les montagnes de l’Aubrac, arrive aussi pour donner son approche, son style, qui deviennent parfaitement complémentaires de celui de Nicole. Harmonie, travail, respect et modestie. Les clés de la durée.
L’année prochaine, en 2013, ils fêteront leur 30 ans de travail, on a presque envie de dire de vie commune. Il y aura un menu spécial avec trois plats marquants de Nicole pour chaque décennie et un plat de sa mère, qui est toujours là à 86 ans et qui aime tant les plats de sa fille… La boucle est bouclée.
Il faut toujours revenir chez les sœurs Fagegaltier. Les retrouver ou les découvrir, entrer dans cette salle avec vue sur la rivière, se mettre à table accompagné par le sourire de Michèle, se plonger dans la carte des mets qui déjà vous met en appétit, tout est un plaisir ineffable.
Dès l’entrée, on plonge dans l’Aveyron, pas la rivière la région, ses goûts et ses senteurs, sa beauté et sa fraîcheur. Le plat réunit tout cela, le potager et les sous-bois, à l’évidence et à la perfection. Elle l’appelle : De Belcastel : des pois gourmands et des girolles, galette de pomme de terre à la tome, beurre noisette aillé. C’est beau comme du Ronsard et bon comme l’éternité. Il y a un Veau du Ségala poêlé absolument grandiose, accompagné par de très mignonnes carottes au gingembre, un crumble aux câpres, de la crème d’anchois, et une huile aux feuilles de lime au goût puissant et subtil. Il y a du monde dans l’assiette mais tout le monde s’entend bien, sans anicroches. Le faux-filet est parfait, cuisson au cordeau, tendre et goûteux et les légumes du jardin bio qui l’accompagnent sont à croquer. Il ne faut pas sauter le plateau de fromages exclusivement de la région avec un choix remarquable, classiques et raretés, et une perfection d’affinage. Les desserts sont dans la continuité de l’excellence : Cerises et crème glacée à l’amandon, cerises confites dans un jus à la rhubarbe, crumble dragées/fouace, superbe coulis, remarquable crème glacée aux amandes en une belle alliance avec la cerise qui reste quand même la star. D’autres plats bien sûr, d’autres desserts, d’autres belles saveurs sont parfaitement mises en valeur par des cuissons franches, loin du désagréable et modeux « al dente ». Nicole Fagegaltier a trouvé un bel équilibre avec une cuisine certes assez sophistiquée mais qui garde les pieds sur terre, sachant d’où elle vient et où elle va. Un pur moment de bonheur dans un lieu d’exception. Que la cuisine française est belle et bonne vue de Belcastel !
Nicole Fagegaltier & Gourmets&Co – Rencontre
Quel a été le déclic cuisine pour vous ?
Le livre d’Alain Chapel « La cuisine c’est beaucoup plus que des recettes ». Il disait que suivant votre âge, où vous vous trouvez dans le monde, vous ne devez pas faire la même cuisine. Je me suis dit que j’étais née à Belcastel et que j’allais faire ce que je sais faire. J’ai foncé dans cette voie.
Pour vous, quelles sont les spécificités de l’Aveyron ?
On a toujours aimé manger en convivialité. Il y a une grande qualité des produits dans l’élevage avec le veau de Ségala, l’agneau allaiton, le bœuf de l’Aubrac, donc il est normal que cela donne des bons cuisiniers. Pour ma part, j’ai des jeunes qui viennent de s’installer à côté et qui font des légumes bios magnifiques. C’est du pain béni pour moi ! Les champignons il y en a partout dans les bois alentour. On est presque obligé de faire de la bonne cuisine…
Vous allez souvent à Paris voir ce qu’il se passe ?
On a toujours plaisir à voir ce que font les autres et de se mettre à table ! Je trouve qu’aujourd’hui où la valeur « travail » se perd un peu, c’est bien de voir des jeunes cuisiniers qui en veulent et qui donnent.
Vous avez des rêves d’ailleurs, parfois ?
Non. Je crois que je finirais ma vie ici à Belcastel. Par contre, il faut songer à la relève car on s’use quand même… C’est un métier où il faut être en forme sinon vous n’avez plus envie de rien.
Vous avez eu Cyril Lignac comme commis ? Il était bon élève ?
Il voulait vraiment y arriver. Il a eu un déclic lorsque ses grands-parents lui ont donné une somme d’argent pour Noël qu’il est venu dépenser chez nous avec un ami, et il a eu la révélation de sa vie. Je l’ai pris en cuisine vu sa motivation, mais il avait des choses à apprendre et il a beaucoup souffert au début. Il aimait ce qui était beau et bon. Après, il a voulu travailler à Paris chez un trois étoiles. Alain Passard a répondu le premier et il est parti à la capitale où il n’avait jamais été avant. Il nous téléphonait souvent et il pleurait tellement c’était dur. Puis, il a connu les Pourcel qui ouvraient la Maison Blanche et ça allait mieux. C’est un garçon très gentil et très travailleur.
On retrouvera tout l’univers de Nicole Fagegaltier dans un très beau livre sur les produits de l’Aveyron et les recettes du chef : « Un Goût d’Aveyron »
De Catherine Couderc-Vexiau et Nicole Fagegaltier
Photographies de Christine Fleurent
Editions du Rouergue
29 €
12390 Belcastel
Tél : 05 65 64 52 29
www.hotelbelcastel.com
Fermé du 2 janvier au 17 mars
Fermé lundi, mardi midi, et dimanche soir sauf en juillet – août
7 chambres de 85 à 105 €
Menu : 29 € (déjeuner semaine) – 46 € – 80 €
Carte : 65 € environ
Réservation indispensable