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On m'avait prévenue : ce n'est pas joyeux mais çà démarre en douceur. C'est vite dit. Dès le début l'affaire sent le vinaigre, et même avant parce que le titre lui-même n'est pas optimiste. Le lecteur n'est pas pris en traitre : il sait que cela finira mal, et même très mal.
Alors pourquoi le lire ? Et pourquoi ai-je envie d'être dithyrambique à son propos ? Parce que c'est excellemment écrit, qu'il y a une dose d'humour faramineuse, et que les querelles amoureuses d'un couple de septuagénaires c'est assez nouveau pour qu'on le souligne.
Cela commence comme une dédicace par les quatre premiers vers du Vase brisé que Sully Prudhomme a publié dans le volume Stances et Poèmes et dont je vous donne ici les quatre derniers :
Toujours intact aux yeux du mondeIl sent croître et pleurer tout basSa blessure fine et profonde ;Il est brisé, n'y touchez pas.
Zika a développé une maladie cardiaque et doit subir des examens dans un grand hôpital. Joseph se porte bien mais il ne pourrait pas se "débrouiller" pendant l'absence de sa femme. Dans l'idéal ils aimeraient autant ne pas être séparés. Mais il faudrait trouver un hébergement suffisamment grand dans une ville importante. Et cela coutera cher. Charitables, chacun de leurs enfants a décidé de porter un peu du poids de la corvée : le fils prend son père en charge. La fille hébergera sa mère.
Zika et Joseph n'ont jamais été séparés. Ils ne savent pas ce qui les attend. Ils s'écriront. Leur amour fou devrait pouvoir s'accommoder d'une séparation qui ne sera que momentanée. La forme épistolaire permet de grandes fantaisies et justifie les quiproquos, ce qui laisse le champ libre à l'auteur pour nous conter les sautes d'humeur des protagonistes. C'est la fougue de Zika qui surprend le plus : pestant contre la situation que Joseph qualifie de manière un peu excessive de grand bazar. L'épouse adorée s'en caille le sang comme autrefois nos grand-mères se faisaient du mouron. Pour arrêter de mettre sa cervelle à bouillir il faudrait qu'elle rabote un peu ses humeurs, ce dont elle est incapable, faute de quoi elle se raplaplatine.
Frédérique Martin avoue n'avoir qu'une obsession, l’Homme. Sa grandeur, sa démesure, son impuissance, sa cruauté, sa bêtise, son avilissement, sa déchéance, sa rédemption, son impossible quête, sa peur constitutive de vivre, son audace, son courage, sa tendresse parfois et son acharnement à aimer, malgré tout.
Son livre explore toutes ces facettes. Et bien d'autres. Il n'y a pas que les mots qui surprennent au fil des pages. Les situations sont inédites à cet âge avancé de la vie. La grande scène de jalousie (page 97) deviendra je le parie un texte d'anthologie. L'auteur pointe admirablement toutes les supercheries que le couple a imaginé sans penser à mal, tout simplement pour assurer une qualité de vie quotidienne, à commencer par la comédie de la délectation. Les rebondissements s'enchainent au fil des pages avec une montée constante d'une tension dont on croit jusqu'au bout qu'elle pourrait s'apaiser.
D'autres avant elles nous l'ont appris. André Gide comme Jules Vallès l'ont crié : Famille je vous hais. Frédérique nous démontre cette vérité avec maestria. Et puis une autre, encore plus implacable : vieillir est une manière lente de disparaitre (page 70) dans une agonie d'une lenteur incalculable.
Le roman sort aujourd'hui, 23 août. Il est d’ores et déjà sélectionné parmi les six romans de la rentrée qui reçoivent le soutien de Cultura par le biais de l’opération Talents à découvrir qui fête sa dixième année d’existence en 2012.
Et si vous voulez rencontrer l'auteur, je vous donne un tuyau : elle sera à Nancy pour le Livre sur la place.
Site Officiel de Frédérique MARTINLe vase où meurt cette verveine de Frédérique Martin, aux éditions Belfond, août 2012