Si sa fabrication s'effectue en fruitière, l'affinage peut être confié à un spécialiste car il faut de l'espace pour conserver 2 à 3 ans les meules ... de 35 kilos. Marcel Petite est une entreprise dont le patron a révolutionné la pratique. On se trouvait à l'époque en pleine euphorie d'industrialisation et l'affinage lent à basse température était un pari risqué.
C'est ce que cet homme a mis en oeuvre grâce à la découverte de deux forts désaffectés, celui des Rousses et le Fort Saint-Antoine, que j'ai visité cet après-midi. Un moyen comme un autre de s'assurer de la fraicheur par ces temps de canicule (et même plus encore) puisque la température y demeure de 6-7 ° à longueur d'année avec une hygrométrie à saturation de 95%.
Le fort a été construit à 1100 mètres d'altitude, entre 1879 et 1882, à la fin de la guerre franco-prussienne pour assurer la défense de la région. 600 tailleurs de pierre, 600 maçons et 3 000 soldats ont travaillé d'arrache-pied pour recouvrir 718 mètres de terre car on le voulait invisible. Trois ans plus tard l'invention de l'obus-torpille et de l'explosion à retardement rend l'édifice obsolète. Il est abandonné.
A croire que l'expérience des anciens ne sert pas. Aujourd'hui on entreprend d'autres travaux pharaoniques en saignant Besançon, à l'instar de beaucoup de grandes villes, afin de réimplanter un tramway arraché au nom du progrès au siècle précédent. Mais tandis qu'on s'énerve dans la capitale (c'est fou toutes les conséquences négatives et les déboires occasionnés par la construction du tramway, mais là n'est pas le sujet aujourd'hui) un homme a eu l'idée de recycler l'erreur de construction des forts.
Son pari est aujourd'hui réussi puisque si on posait l'une sur l'autre toutes les meules conservées sous terre on montera au-delà de l'Everest. La visite est très bien conçue, par l'office du tourisme de Malbuisson. Elle commence par un accueil en musique ... avec les sonnailles de cloches et des chants d'oiseaux.
Marcel Petite s'impose un minimum de 10 mois. Son petit-fils a repris l'affaire. Il assure 10% de la production AOC en comté, soit 5500 tonnes par an. Et comme on est sur un fromage où la demande excède l'offre tous les éleveurs sont certains que leurs meules seront achetées.
Le moment crucial est l'étape du triage, effectué par un des 5 trieurs-dégustateurs. Il tapote sur le fromage avec une sorte de marteau minuscule. Sonner la meule est un travail d'écoute, pour rechercher là où le bruit va révéler une fissure ou pire un creux plus important, la lainure, le comble de la honte pour le comté qui, je vous le rappelle n'a pas d'yeux, à l'inverse de son voisin l'emmental.
Le talent consiste à affiner le plus possible, mais pas trop. Et à expédier les meules à ses clients en fonction de leurs goûts. Il existe 6 familles aromatiques et le dégustateur va chercher quels arômes se dégagent parmi les 86 possibles.
Un comté plus vieux pourrait développer davantage des descripteurs épicés, torréfié ou des senteurs animales. Une heure trente s'est écoulée. Le soleil s'est un peu calmé, rendant le choc thermique inverse moins brutal. La fin de journée est ainsi plus propice à la visite.
Cave d'affinage du Fort Lucotte - Comté Marcel Petite - 25370 Saint-Antoine 03 81 69 31 21