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Belle gueule de bois (Pierrot)

Par Mo
Belle Gueule de bois

© Pierrot – 2012

Nichée au pied de la montagne, la maison de Pierre semble être un havre de paix. La nature la protège du tumulte de la ville pourtant, en son sein, la réalité est toute autre. En proie aux maux de l’adolescence, Pierre doit veiller sur son père. Cet homme d’une quarantaine d’années semble avoir perdu toute raison de vivre depuis longtemps. Rongé par l’alcool, délaissé par la mère de ses enfants, il ingurgite son poison quotidiennement. Il balaye le passé, fait table rase de ses échecs et s’oublierait presque si son fils n’était pas là.

Sitôt réveillé, l’adolescent passe les premières minutes de la journée dans les ronflements tonitruants de son paternel. Ce dernier est encore sous l’effet de sa cuite de la veille, tout comme l’air de la maison qui est sous l’emprise permanente de la fumée des cigarettes. Rapidement, Pierre se prépare à prendre le chemin du collège. Il doit prendre sur lui car là-bas, le fait de devoir supporter des heures de cours inintéressants et le regard des autres le déprime. Pierrot n’a pas beaucoup d’amis. Heureusement, il y a son ami Omar.

A part son pote, il y a la petite Loula, la fille du dealer de son paternel. Pierre passe des heures entières avec la fillette, la mettant ainsi à l’écart des transactions et des défonces de leurs pères. Parce qu’il a le teint pâle, la fillette l’appelle « Pierrot la Lune ». Un surnom qui lui va bien car à l’instar de ce Lorialet, Pierre s’affranchit de sa dure réalité en se réfugiant dans son monde imaginaire.

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Belle gueule de bois est une nouvelle illustrée réalisée par Pierrot, un jeune auteur. A ce sujet, si vous êtes éditeur et que la lecture de mon article vous intrigue, n’hésitez pas à me contacter car Pierrot cherche à se faire éditer. Je pourrais vous mettre en lien.

Belle gueule de bois est une première. Le premier travail aboutit que l’auteur a conduit jusqu’à son terme. Car si Pierrot (l’auteur) dessine depuis de nombreuses années, jamais auparavant il n’avait développé un récit dans son intégralité. Alors oui, il y a des corrections à apporter et Pierrot en est conscient. Mais compte tenu de la difficulté à mener une histoire de bout en bout, de la nécessité de veiller à la cohérence de l’ensemble d’un point de vue narratif et du rendu visuel, je trouve que ce que Pierrot m’a permis de découvrir est prometteur.

Attention, jeune talent !

Le scénario développe donc l’histoire d’un adolescent. Ses parents sont séparés, il ne voit plus sa mère qui serait certainement plus soutenante que son père. Son père est un alcoolique. Passif, cet homme est plus affairé à entretenir sa léthargie qu’à veiller à l’éducation de son enfant. Voilà donc notre jeune héros confronté à des responsabilités qui ne sont pas celles d’un enfant de son âge. Parfois maladroit, le scénario prend ponctuellement le chemin du détail excessif, comme pour convaincre le lecteur que la situation de son personnage est difficile à gérer… mais nous l’avions compris. Pour le reste, il y a dans le style de Pierrot-l’auteur une qualité intrinsèque : celle de camper une ambiance, de l’entretenir par la suite et d’exclure absolument tout ce qui pourrait l’en écarter.

Le ton est grave et posé. Il décrit une situation finalement assez banale dans nos sociétés, celle d’un enfant qui se confronte à l’alcoolisme d’un parent. La situation décrite aurait pu être plus dramatique, mais Pierrot-l’auteur (c’est compliqué de gérer un écrit avec un Pierrot-l’auteur et un Pierrot-La-Lune !!) ne souhaite pas toucher au registre du pathétique même si parfois, il s’en approche dangereusement. Les envolées lyriques de son personnage soulagent son propos et emmène le lecteur dans une réflexion sur cette réalité sans le prendre à la gorge pour autant. S’il y a de l’indignation à la lecture de cette nouvelle illustrée, cela tiendra plus du rapport personnel du lecteur avec la situation décrite (vivre avec l’alcoolisme d’un proche). Enfin, l’homonymie qui existe entre l’auteur et son personnage m’a troublé, est-ce autobiographique ou purement fictif ? En cela, rien dans le récit ne nous permet de tirer une conclusion tranchée. Je me suis donc reportée sur l’idée qu’il s’agissait certainement un peu des deux et le fait que le mystère plane permet au lecteur de se positionner seul sur l’un ou l’autre des registres et d’accueillir le message qu’il porte de manière différente.

Il y a, dans la situation décrite, beaucoup d’éléments que je retrouve concernant ces parents déviants et l’instinct de survie qui se développe chez leurs enfants. Chez Pierrot-La-Lune, il y a cette forme de culpabilité ténue, ce besoin de prendre à bras le corps le proche « malade d’alcool », cette complicité particulière et un certain sens du devoir (être présent pour l’autre, pallier à ses absences psychiques…) qui n’est pas aussi exacerbé dans les familles qui ne sont pas confrontées à l’alcoolisme.

Au niveau graphique, c’est un autre équilibre qui est en jeu. Si les illustrations portent en grande partie le récit, elles le soulagent aussi de ce travers pathétique vers lequel il pourrait aller. En effet, les détails contenus dans les illustrations viennent compléter les éléments descriptifs déjà sous-entendus dans la narration.

Ainsi, les visuels aident le lecteur à matérialiser ce quotidien peu banal et à limiter les projections sur la réalité de cet enfant. La maison est sale mais pas délabrée, l’enfant n’a pas d’hématomes, il n’est pas prostré… J’ai souvent fait cette réflexion à l’occasion d’autres lectures, notamment celles des ouvrages de Sacco sur le quotidien des civils en temps de guerre (voir Gaza 1956 par exemple). En effet, le fait de traiter de sujets aussi engagés (conflit armé, addiction, violences conjugales…) en s’aidant d’illustrations permet au lecteur de contenir son imagination. Mais si l’art graphique a cet avantage, faut-il encore que son auteur parvienne à proposer un support illustré pertinent. C’est le cas pour Pierrot-l’auteur qui s’est imposé une double peine puisqu’en plus de l’attention qu’il a dû consacrer à préserver la cohérence de son récit, il a particulièrement veillé à équilibrer ses compositions en doubles pages. En effet, son ouvrage ne trouve une cohérence graphique que par le fait que les vis-à-vis (page de gauche /page de droite) fonctionnent en écho. L’un ne va pas dans l’autre et si cette nécessité narrative est une réalité pour chaque auteur de BD, elle est ici la clef de voûte de ce recueil.

Ainsi, deux récits, l’un narré l’autre dessiné, s’assemblent pour se donner la réplique et se compléter, permettant ainsi au lecteur – lorsqu’il tourne une page – de commencer par profiter du rendu global de la double page qui se présente à lui. Ensuite, il se pourra se concentrer sur la lecture avant de revenir contempler la partie illustrée. Réalisés au stylo bille, les dessins se composent essentiellement de jeux de hachures, de forts contrastes entre l’ombre et la lumière et rendent généralement compte d’une impression de mouvement. Si le dessin est fluide dans l’ensemble, il y a pourtant encore quelques illustrations qui sont un cran en deçà en terme de qualité. Le rendu des expressions des personnages y est alors moindre, les mouvements n’y sont pas perceptibles et ils manquent d’une certaine profondeur.

Ça contraste fortement avec la majeure partie des planches qui sont finalisées, où l’on profite d’un style graphique riche, déjà maitrisé. Les jeux de perspectives sont efficaces, les proportions conservées (premier plan / arrière-plan) et régulièrement, la surprise de pouvoir contempler des envolées imaginaires matérialisées par des corps qui deviennent élastiques, des éléments décoratifs qui se tordent, accentuant ainsi les émotions du personnage lorsqu’il angoisse ou qu’il est en perte de repères.

Belle gueule de bois (Pierrot)
Une belle découverte me concernant même si j’ai quelque peu été pénalisée, durant ma lecture, par ce récit avare en transitions narratives et la présence de quelques éléments qui, à mon sens, n’apportent rien au propos. J’ai eu l’occasion d’en échanger avec lui et de lui dire aussi que cela m’a empêchée de ressentir une réelle empathie pour Pierrot-La-Lune. Bien à l’abri derrière sa carapace, cet enfant trop mature pour son âge ne donne pas l’impression qu’on veuille le prendre par la main et le protéger.

Mais Pierrot-l’auteur joue avec les silences et la mélancolie, la lumière et la poésie. On projette, on insuffle nos propres couleurs sur cet univers en noir et blanc, on donne du volume à ce monde et finalement, on referme cette lecture satisfait du voyage.

Pierrot travaille d’ores et déjà sur un autre projet… BD !

:D

David vous parle aussi de Belle gueule de bois.

Belle Gueule de Bois

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… des années de travail !

Bulles bulles bulles…

éé

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© Pierrot – 2012


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